Voeux brouillés

Chronique d'une fin de RégimeCe sont les enseignants précaires sans poste depuis la rentrée, à Créteil, ou bien les sans domicile à Paris, ou encore les familles mal-logées ou sans logis à Alfortville ... Dans ce pays, on campe en plein hiver. Les petits réchauds à pétrole, qui dégagent pourtant des vapeurs toxiques, se vendent à la pelle pour lutter contre le froid dans les taudis insalubres et les tentes de fortune. Mais réjouissons-nous, ne gâchons pas la fête : l'heure est aux voeux présidentiels, et à ceux des " présidentiables ".D'un côté, le hit parade des leaders politiques avec Ségolène Royal, virevoltant en tête de ce palmarès (tout en paradant en tailleur bleu BCBG dans les quartiers pauvres du Chili), et de l'autre les sondages trop vite oubliés qui montrent jusqu'à quel point la population se défie des représentations politiques qui briguent ses suffrages. D'où l'appel du Chef de l'État à la " confiance ".

Les voeux de Chirac contre la Sécu

Et le voici qui plaide en faveur d'une réforme du financement de la protection sociale sous le fallacieux prétexte de pénaliser les entreprises qui délocalisent et qui licencient. Il s'agit d'instaurer un calcul de la part patronale des cotisations sociales sur l'ensemble de la valeur ajoutée (salaires + profits). Devedjian se plaint, dès lors, que Chirac, en annonçant cette mesure, se placerait " à gauche ". Ce que corrobore Cambadélis (PS), lequel clame que Chirac présente des voeux contradictoires avec ce qu'il fait et avec la politique de son gouvernement. l'alliance royale, groupuscule royaliste fondé en 2001 et, de ce fait, composante de l'extrême-droite, salue quant à elle cette mesure, en revendiquant haut et clair ceci : " la politique sociale doit s'affranchir des organisations syndicales partisanes pour retrouver une place claire et transparente dans le budget public ". Tel est bien le but de la manoeuvre esquissée par Chirac : remplacer les cotisations sociales assises sur les salaires par une sorte de TVA sociale qui serait détournée par l'État, ce qui reviendrait à en finir avec l'existence de la Sécurité sociale comme institution basée sur la solidarité entre les salariés selon le principe : " chacun verse selon ses moyens et perçoit selon ses besoins ".

Un César de poche

Sarkozy, lui, annonce une mesure d'un autre genre, sous couleur de rendre le Chef de l'État responsable devant le Parlement, dans la logique introduite par le quinquennat. C'en serait fini du Chef de l'État, au dessus des partis, au dessus de la mêlée, se présentant, frauduleusement, comme l'arbitre entre les classes sociales. " Halte au guide suprême " avait scandé le ministre de l'Intérieur dès le 4 décembre dernier alors qu'il plaidait en faveur d'élections primaires du candidat aux présidentielles au sein de l'UMP. Et les média, souvent impressionnistes et scrutant le monde par le trou de la serrure des apparences, de considérer que Sarkozy formerait le projet de transformer la Ve République en un système politique à l'américaine. C'est un trompe-l'oeil parmi d'autres. Pour une simple raison : Sarkozy veut à tout prix préserver les pleins pouvoirs que la Ve République confère au Président de la République. Pour preuve : à aucun moment il ne dit qu'il donnera au Parlement l'initiative des lois, et il prône une subordination encore plus directe du Premier ministre au Président.

En réalité, Sarkozy, lui, se prend pour César, un César de poche sans gloire ni conquêtes, se préparant avec fébrilité à la guerre sociale, cherchant à administrer des soins palliatifs au Régime de la Ve République qui se meurt.

Samu social 94 : 105 appels par jour !

Lorsque les ambitions personnelles prennent le dessus sur la " raison d'État " et sur " l'intérêt supérieur de la nation " (qui obéit à l'intérêt général du Capital financier), nous avons là l'indice indiscutable d'une crise politique permanente, d'une crise incurable du " sommet ". Cette crise des institutions a été portée à son degré d'incandescence, le 29 mai 2005, lorsque le non l'a emporté, infligeant une défaite cinglante à tous les défenseurs de l'ordre établi. C'est dire que cette crise devenue irréversible, cette crise politique majeure, a un contenu social incompressible. En effet, la vie quotidienne devient de plus en plus cruelle pour des masses toujours plus larges d'habitants. Ainsi, dans le seul département du Val-de-Marne, le Samu social reçoit 105 appels de demande d'hébergement d'urgence par jour, et l'on apprend que, en France, deux millions d'enfants vivent au dessous du seuil de la pauvreté ...
Modifié le mardi 17 janvier 2006
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