Temps de révolte

Pour Fadila, jeune salariée précaire chez Auchan, la fin d’année a tourné au cauchemar. Ce 22 novembre, elle ressent de violentes douleurs et demande à sa hiérarchie de se rendre aux toilettes. En vain. Rapidement la douleur devient insupportable. Elle se lève de sa chaise. Le fauteuil est ensanglanté. Elle se rend aux toilettes : c’est la fausse couche. Quelques jours plus tard, Valls se déclare choqué. Quelques mois plus tôt, une caissière avait manqué de peu d’être licenciée de Auchan pour une erreur de caisse de 85 centimes d’euros. Valls n’avait alors pipé mot.

Christine LagardeChristine Lagarde

Cette scène marquante de la vie ouvrière est à l’image de la situation de salariés qui doivent « se contenter » d’un emploi précaire (dans ce cas précis, un « contrat de professionnalisation »). A lui seul, ce drame pourrait résumer le bilan de la politique anti-ouvrière et antisociale qui a sévi pendant 5 ans.

« Selon que vous serez puissants ou misérables… »

Dans le même temps, Lagarde, ancienne ministre de Sarkozy et directrice du FMI, a finalement a été reconnue coupable d’avoir autorisé un « arbitrage privé » permettant à Bernard Tapie d’empocher 400 millions d’euros dans le litige qui l’opposait au Crédit Lyonnais. Coupable, certes, mais dispensée de peine par la Cour de justice de la République. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, disait La Fontaine.

Dans le même registre de la vulgarité crasse, Carlos Ghosn, PDG de Renault a, à son actif, la suppression de 9000 postes. Au bout de la chaîne, les conditions de travail sont celles du surmenage, de burn-out et d’incitations au suicide. Cet homme ne manque pas de flair financier. En effet, le 16 décembre, il a acquis 132 720 actions au prix unitaire contractuel de 37,43 euros qui a grimpé à 85,34 euros. Au titre de ses stock-options, ce capitaine d’industrie pourrait empocher 6,36 millions d’euros. En ce qui le concerne, « la France va mieux » comme l’a souligné Hollande tout au long de l’année écoulée.

Le « bon chemin »

Pour Hollande, l’année 2016 s’est donc achevée en queue de poisson. Sans surprise, son allocution présidentielle du 31 décembre est testamentaire. Il cherche visiblement une porte d’entrée dans la postérité, à deux doigts d’évoquer les forces de l’esprit sur lesquelles Mitterrand se fondait. François Hollande, la mine grave du président de la République qui ne se représentera pas, n’a exprimé qu’ « un seul regret », «avoir proposé la déchéance de nationalité ». « J e pensais qu'elle pouvait nous unir alors qu'elle nous a divisés ». Pour le reste, tout le reste, le satisfecit est total : « les résultats sont tardifs, mais ils sont là. ». En février 2012, souvenons-nous, Mélenchon avait assuré ses électeurs potentiels que Hollande était « sur le bon chemin » 1 Et, quel chemin ! Le chemin du pacte de responsabilité, de nouveaux coups portés à nos retraites et à l’assurance-maladie ! Le chemin de l’état d’urgence et de la « déchéance de nationalité » ! Le chemin qui conduit à la liquidation du droit du travail. Le chemin de la courbe irréversible du chômage et du travail toujours plus précaire et morcelé. Le chemin de la flexibilité mais aussi des matraquages, gazages, peines de prison infligées à de simples manifestants. Le chemin de l’islamophobie. Et, ne l’oublions pas l’obscur sentier de la guerre, de l’accolade aux dictateurs saoudiens, à Erdogan, à Ouattara (Côte d’ivoire), du soutien aux bombardements sionistes de Gaza. Le chemin du 49-3 et de la réforme qui tue la SNCF. Ce chemin dans lequel il a fini par se perdre lui-même. Oui, il a fini par se faire hara-kiri, pour éviter l’explosion de la tête de l’État. Il a fini par plier sous la pression de Cambadélis et Valls. Son extrême impopularité a eu raison de lui. La crise du régime en chute libre a fini par le rattraper.

Ruines politiques

Ainsi, sous la pression de la lutte des classes, l’année 2016 laisse un paysage politique en ruines à la veille d’échéances électorales majeures. En moins d’un mois, ont disparu des radars un ancien président de la République, Sarkozy, un ancien premier ministre, Alain Juppé, pendant que François Hollande, chef de l’État en exercice, annonce donc qu’il ne briguera pas un nouveau mandat, une première dans l’histoire de la V e République.

Valls, un peu vite, a cru que son heure était arrivée et que, bon prince, Hollande lui ferait la courte échelle. Dans la course à la candidature de la « belle alliance populaire », Valls bute sur un premier obstacle. Tiré du néant littéraire où il incubait, Peillon est placé en travers de sa marche. Il fait alors un faux pas dont tout indique qu’il s’en mordra les doigts, en se prononçant pour la suppression du 49-3 (hors débat budgétaire). Infatué de soi-même ou abusé par ses conseillers, il ouvre cette « immense blessure » (El Khomri, dixit, à propos du 49-3) qui ne s’était pas refermée. Et, très vite, il va devenir le Virenque de la politique, contant qu’il aurait usé de cette arme antiparlementaire à l’insu de son plein gré. Croyant se racheter une conduite, le temps d’une élection, il croit au pouvoir d’amadouer les choses. Au lieu d’essayer de mettre le 49-3 entre parenthèses ou de l’assumer devant la fraction la plus à droite de son électorat putatif. Le voilà, la risée de tous. Le voilà enfariné au cri de « 49-3, on n’oublie pas ! »

Monsieur 49-3

Aux yeux de tous, le 49-3 est frappé du sceau de l’illégitimité. La loi El Khomri en est marquée à tout jamais. Tout comme la loi Macron qui l’avait précédée. Tout comme Valls, soi-même ! A jamais, il restera Monsieur 49-3. Il ne peut en rejeter la faute sur les frondeurs sans fronde car dès le début mars 2016, El Khomri en avait vendu la mèche.

Donné favori par principe par les sondages, tout comme Juppé avant lui, Valls doit rivaliser avec trois de ses anciens ministres (Pinel, Hamon et Montebourg) et un ancien ministre de Hollande-Ayrault, Peillon, le saccageur des rythmes scolaires de l’Éducation nationale. Sans oublier Macron, d’ores et déjà candidat qui a sauté du train de Hollande en marche pour ne pas dérailler avec lui. S’ajoutent les ministres qui ne le soutiennent pas : Christiane Taubira qui a claqué la porte en février 2016, Ségolène Royal, Stéphane Le Foll et Bernard Cazeneuve. Les primaires « à gauche » nous donnent un aperçu saisissant de la crise du régime, foire d’empoigne d’hommes d’État que rien ne sépare pourtant sur le fond et qui n’ont cessé de se trahir mutuellement.

La mort annoncée du parti communiste

Ces primaires d’un côté et La France insoumise de l’autre privent totalement le PCF d’oxygène et de la moindre parcelle d’espace politique ou électoral. La longue période du déclin de ce parti autrefois très puissant cède le pas à l’agonie. Non, Chassaigne ne jouait pas les Cassandre lorsqu’il prévenait que le soutien à Mélenchon signifierait « la mort du Parti communiste ». Le parti qui, en 1958, alignait encore 10 000 permanents salariés, peine à regrouper aujourd’hui 40 000 adhérents dont on sait qu’une partie importante sont des encartés d’un jour, captés à la fête de l’Huma. Son emprise sur la CGT est en jeu, à présent et l’appareil de « la grande centrale » pâtit rudement de la liquidation rampante du parti qui fut sa colonne vertébrale. En son sein se disputent plusieurs chapelles, plus ou moins nostalgiques du temps où il faisait sa loi dans le mouvement ouvrier, son appareil assurant la protection rapprochée de tous les gouvernements en place, au prix de grands écarts et de double-langage ou d’équivoques en tous genres.

Chaos politique au sommet, lutte de classes en bas

Il y a, nous l’avons souligné, un chaos politique total au sommet et dans les appareils qui ont lié leur sort au maintien de l’ordre capitaliste et impérialiste en plaidant pour les « bonnes réformes » et les « bonnes remises en question » des conquêtes sociales ouvrières de 1936-1945. Mais, en revanche, la situation politique générale n’est en rien chaotique. Elle est aiguillée et encadrée par la lutte de classes. Ainsi, l’entrée en application de la loi El Khomri n’était en rien fatale après son adoption dans les pires conditions en juillet. Au lendemain de la dernière manifestation du 15 septembre, Mailly-Martinez avaient juré qu’ils trouveraient moyen de la combattre autrement et notamment sur le terrain juridique. Or, l’heure de la trêve pour cause d’élections avait sonné. Comme l’indique Mediapart : « À titre d’exemple, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (l’UIMM), la CFE-CGC, la CFTC et FO ont signé en septembre un accord qui permettra aux entreprises du secteur de moduler le temps de travail sur trois ans (contre un an actuellement), comme le permet la loi El Khomri . » 2 [la CFDT Métallurgie a également paraphé cet accord honteux - ndlr 3 ]. Où en êtes-vous, Mailly-Martinez dans votre guérilla juridique ?

Les syndicats, enjeux de la lutte des classes

Mais très nombreux sont les syndicalistes CGT ou FO et les salariés qui comprennent que le syndicalisme est un enjeu de la lutte des classes elle-même et que seul, un syndicalisme renouant avec la lutte des classes, et seule, une politique de lutte de classes, ont de l’avenir. Dans cette voie, tout est possible, à commencer par la satisfaction des revendications vitales et l’abolition de toutes les réformes scélérates. En face, les postulants tout en chérissant leurs ambitions sont glacés d’effroi face à la réaction que leurs plans destructeurs ne manqueront pas de déclencher soudainement par simplement accumulation de la chaleur : un degré de trop la transformera en vapeur révolutionnaire.

Wladimir Susanj,
08-01-2017

1. http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollande-est-sur-le-bon-chemin-pour-melenchon_1088038.html
2. https://www.mediapart.fr/journal/economie/291216/la-loi-sur-le-travail-entre-en-application
3. Fac similé de l’accord : https://uimm.fr/wp-content/uploads/2016/11/2016-09-23_Accord-national-relatif-%C3%A0-lemploi-dans-la-m%C3%A9tallurgie.pdf

Modifié le lundi 09 janvier 2017
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