Le legs Chirac

Chronique d'une fin de régimeAu mois de septembre 2000, Lionel Jospin, premier ministre et futur candidat à l'élection présidentielle s'exclamait à propos des révélations posthumes de Méry : "N'exploitons pas, nous les responsables politiques, ces affaires.-Je ne l'ai jamais fait depuis trois ans et demi et je ne le ferai pas." Dix-huit mois plus tard, Jacques Chirac était réélu président de la République après avoir obtenu au premier tour 13,75% des inscrits. Une fois de plus l'union nationale s'était constituée pour sauvegarder la V°République.-Retour sur les affaires à travers la "Chronique" de La Commune depuis son numéro 5.

Décembre 2002 : Une voix d'outre-tombe

"Abracadabrantesque". Chirac cite Rimbaud pour déclarer sur France 3, le 21 septembre 2000 : "On fait parler un homme mort il y a plus d'un an, on disserte sur des faits invraisemblables qui ont eu lieu (sic) il y a plus de quatorze ans." C'est que Le Monde daté du 22 septembre vient de publier un document explosif, le contenu d'une cassette vidéo enregistrée par Méry, décédé en 1999, homme-clé de l'affaire dite des HLM de Paris, surnommé "Méry-de-­Paris". Membre du comité central du RPR de 1986 à 1989, il avait la direction, dès 1982 de la "cellule logement" du parti de Chirac. C'est la première mise en cause publique et directe de Chirac dans l'affaire du financement occulte du RPR, via les marchés de la ville de Paris. Et Chirac n'est pas le seul à être montré du doigt, car Méry, selon son expression, "donnait à manger à tout le monde" . Le lendemain de ces révélations, le président est en Charentes. Le Monde rapporte : "Pendant la "visite de terrain" M. Chirac, tendu, le regard absent, s'éponge fréquemment le front. Le cortège a .. rejoint Angoulême .. pour une découverte du Centre national de la bande dessinée et de son "Pôle image" .. M. Chirac a été accueilli par Laurent Juppé, fils aîné de l'ancien Premier ministre... On présente donc au chef de l'Etat la dernière création interactive, Pinocchio. "Euh... ça va bien, chez toi ?", risque le chef de l'Etat au personnage animé sur l'écran. Les techniciens font la démonstration de la sophistication technique de leur figurine : "Tu sais mentir" demandent-ils au Pinocchio animé dont le nez s'allonge. Dans la délégation, personne ne dit mot. Pinocchio devait chanter une petite chanson : "je mens, tu mens, il ment", sur l'air des lampions, supprimée au dernier moment."

Janvier 2001 : Chirac doit parler

Casetta (RPR), Thomas (PR) et Peybernes (PS), anciens responsables financiers de leurs partis, sont mis en garde à vue dans l'enquête sur les marchés des lycées d'Ile-de-France (28 milliards de francs entre 1989 et 1996). Ils mettent en cause Roussin, ancien chef du cabinet de Chirac à Matignon, puis directeur de son cabinet à la mairie de Paris de 1987 à 1992. C'est sous son autorité que s'effectuait l'attribution des fonds, suivant un pourcentage convenu : 1,2 % pour le RPR et le PR, 0,8 % pour le PS (dont une part pour le PCF). Casetta, ancienne trésorière occulte du RPR, affirme aux juges que Chirac était informé des dons des entreprises au RPR. "Cette affaire, si elle est avérée, est gravissime. Nixon est parti pour moins que ça. Jacques Chirac doit absolument parler, il ne peut plus se taire", s'exclame le 2 décembre le député UDF Borloo. Aussitôt, Debré monte au créneau : "Il faut demander à Jospin de dire comment était financé le Parti socialiste, à Bayrou comment était financé tel autre parti. Bref, restons-en là... "
Chirac lui-même prend la parole le 14 décembre à la télévision : "Il n'y a pas de crise morale ou de crise politique en France aujourd'hui ...Je ne le savais pas ... Je ne peux pas y croire...Je suis la victime permanente dans cette affaire."
Tiberi confie à Corse, votre hebdo : "Il n'y a aucun système à Paris, tout au moins depuis 1995"

Mai 2001 : La victime permanente

Huit jours après le deuxième tour des élections municipales, Le Parisien révèle la convocation par le juge Eric Halphen de Jacques Chirac en qualité de témoin dans l'affaire des HLM de Paris. Ce même jour, 28 mars, à 6 heures du matin, tombe un communiqué de la présidence de la République dont voici la conclusion : "Compte tenu des règles constitutionnelles, il ne peut déférer à une telle convocation, contraire au principe de la séparation des pouvoirs comme aux exigences de la continuité de l'Etat." Jacques Chirac, qui a accueilli cette nouvelle dans "un état de très grande tension et de nervosité", s'entretient avec Lionel Jospin et lui demande de prendre "toutes les mesures utiles relevant de sa compétence pour faire respecter la Constitution".

Juin 2001 : Rien ne doit bouger

Le juge Eric Halphen a jeté l'éponge. Il s'est déclaré "incompétent pour instruire sur la participation de Jacques Chirac aux faits dont (il est) saisi" et a officiellement invoqué la compétence de la Haute Cour de justice pour examiner les soupçons retenus à l'encontre du chef de l'Etat. Dans son ordonnance, il affirme qu' "il existe maintenant des indices rendant vraisemblable que Jacques Chirac ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions" mises en évidence par son instruction. François Bayrou, répète à qui veut l'entendre ce bon mot qui circule au Parlement : "Il est aussi absurde de poursuivre Milosevic pour corruption que Chirac pour crime contre l'humanité... ". Le Monde du 28 avril publie un entretien avec François Hollande qui s'interroge : "A quoi cela servirait-il d'engager la procédure de la Haute Cour dès lors qu'il est établi qu'elle ne pourrait aller jusqu'au bout ? ". Puis, au journaliste qui lui demande : "S'agit-il pour vous d'une crise morale et politique ?", il répond : "Maintenant, il n'y a pas de crise politique. Nul ne conteste à Jacques Chirac sa légitimité de président de la République et le gouvernement peut, en respectant strictement l'indépendance de la justice, continuer à faire son travail." Il considère qu'"il y a déni de justice et la principale victime s'appelle Jacques Chirac puisqu'il supporte la suspicion et qu'il ne trouve pas son juge ".

Août-septembre 2001 : Avis de tempête

Maigre consolation pour Jacques Chirac, les juges chargés du dossier de l'imprimerie liée à la mairie de Paris se sont déclarés incompétents pour l'entendre, au moment même où l'on découvre que ce même Chirac avait réglé en argent liquide, entre décembre 1992 et mars 1995, pour un montant de 2 429 306 francs, des déplacements en avion et des séjours avec ses proches. l'étau se resserre autour de celui qui devrait être le porteur du projet adopté par le conseil national du RPR : "Vers une société de confiance". Ça ne s'invente pas !
Patrick Devedjian déclare qu'en répondant aux attaques, "le président instaurerait un précédent terrible de la domination du judiciaire sur l'exécutif". Ce n'est pas l'avis d'Hervé Morin, député UDF, qui s'exclame: " Pas du tout! Les juges estiment simplement que la décision du Conseil constitutionnel sur l'immunité du président est scandaleuse ...S'expliquer ? Mais c'est inexplicable ! Que dirait Chirac ? "J'ai épargné sur les fonds secrets ?" Ça fait vraiment désordre... ". Michel Rocard n'a "pas envie d'assassiner le chef de l'Etat." et avoue les avoir utilisés lui-même "en petit complément" pour financer ses vacances. l'affaire des billets d'avion a ouvert une situation extrêmement grave pour le président de la République. Il a fallu attendre sa conférence de presse du 14 juillet pour entendre ses explications. Se refusant à répondre aux questions gênantes - il y en a eu quelques-unes - Jacques Chirac, fait sans précédent dans l'histoire de la V° République, a consacré près d'une heure à tenter de se justifier par rapport à toutes les affaires où il se trouve impliqué. Sur l'utilisation des fonds secrets pour financer ses voyages privés, il a répondu : "Les fonds secrets ... c'est une tradition ... Je me suis inscrit très exactement dans la tradition antérieure", rappelant au passage que "le président de la République n'est pas un citoyen comme les autres". Trois jours plus tard, les trois juges chargés de l'enquête sur ses voyages confirmaient à leur manière ces propos en se déclarant "incompétents" pour poursuivre leurs investigations en convoquant Jacques Chirac.

Février 2002 : les affaires

La chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris examine une demande d'audition de Jacques Chirac en qualité de "témoin assisté" dans l'affaire des faux électeurs du 3° arrondissement de Paris. Le Syndicat de la magistrature partage "le constat amer fait par ce magistrat - le juge Eric Halphen - d'une justice à double vitesse, ne respectant pas l'égalité des citoyens devant la loi, et des difficultés extrêmes à éclaircir les affaires politico-financières...Les corrupteurs et les corrompus jouissent le plus souvent de l'immunité", et "invite les responsables politiques à prendre conscience de l'état profond de déréliction de la justice".
Didier Schuller, ancien conseiller général (RPR), rentré en France le 5 février après un exil de 7 ans, confirme au journal Le Monde, l'existence d'un système de financement illégal du RPR par les HLM : "Le système sur lequel enquêtent les juges n'est pas celui de Didier Schuller, mais celui d'un parti, le RPR et celui d'un département, les Hauts-de-Seine." Alain Juppé monte au créneau, il accuse les socialistes de "remuer la merde".

Janvier 2003 : Une épée de Damoclès

Mis en cause formellement par l'an­cien ministre RPR, Michel Roussin, dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Pa­ris à une époque où il était secrétaire géné­ral du RPR et adjoint aux finances de Jacques Chirac à la Mairie de Paris, Alain Juppé reste sous la menace des affaires, mis en exa­men dans l'enquête sur le financement du RPR, il aura à affronter en 2003 l'épreuve d'un procès devant le tribunal correctionnel. Cette situation l'expose à une condamna­tion à une peine d'emprisonnement, qui pourrait être assortie d'une période d'inéligi­bilité qui le priverait aussitôt de ses mandats électifs. Poursuivi pour "abus de confiance", "recel d'abus de biens so­ciaux" et "prise illégale d'intérêts", il a confié au Nouvel Observateur : "Je l'ai dit à Jacques Chirac, les yeux dans les yeux, je ne sais pas comment je réagirai si je suis condamné à une peine infamante."

Octobre 2003 : Un grand absent

Le substitut du procureur de Nanterre a requis contre Alain Juppé une peine de 8 mois de prison avec sursis et une amende laissée à l'appréciation du tribunal. Il risquait jusqu'à cinq ans de prison, 75 000 euros d'amende, mais aussi une peine d'inéligibilité, sanction que le magistrat considère comme "injustifiée". Le verdict sera rendu le 17 octobre. Avant l'ouverture de ce procès, le 29 septembre, l'éditorialiste de Libération écrivait : " ... quand il s'assiéra devant ses juges Juppé aura un extraordinaire et invisible voisin de banc des accusés : le président de la République en exercice lui même. Mais Juppé a beau être le collaborateur le plus intime de Chirac qui ait été invité à rendre des comptes à la justice, son procès ne peut pas remplacer celui de son supérieur et principal bénéficiaire des faits évoqués par l'ordonnance de renvoi. Déjà imperméabilisé par le Conseil constitutionnel, Chirac sait pouvoir compter sur son ancien plus proche compagnon pour le protéger de la pluie, juridiquement, il ne fait pas sens de le viser à travers Juppé : le droit ne peut connaître de responsabilité que personnelle. Politiquement, il n'en va pas de même ou, du moins, ce ne le devrait pas. Comment dans une démocratie honorable, admettre en effet que le pouvoir suprême puisse dériver d'un recel d'abus de bien social ? Et comment croire que, dans l'étonnante mécanique du RPR et dans ses rouages douteux, les seuls à ne rien savoir étaient l'horloger lui même et son premier commis ? Mais ces questions ne seront pas abordées et ce procès restera donc incomplet."

Et maintenant ?

Le 17 juin 2002, Renaud Donnadieu de Vabres, ministre délégué aux affaires européennes, renvoyé devant le tribunal pour une affaire concernant le financement du Parti Républicain, avait dû démissionner du gouvernement.-Plus récemment, ce fut le tour de Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, mis en examen, le 21 janvier, pour "corruption passive" et "recel d'abus de biens sociaux". "Les attendus ("a trahi la confiance du peuple".NDLR) du tribunal de Nanterre sont à reprendre en lisant le nom de Chirac sous celui de Juppé", écrit Libération. Alors à qui le tour
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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