Le Régime se meurt

Chronique d'une fin de RégimeFronde de l'UDF contre le budget 2006 ; chahut indescriptible à la réunion du PS à Paris, le 25 octobre ; tension accrue entre le ministre de l'Intérieur et Chirac-Villepin ; non-lieu dans l'affaire des frais de bouche des Chirac. Tels sont les derniers rebondissements de la crise du système politique de la Ve République agonisante, dont les représentants politiques sont massivement rejetés par les Français, qui sont 70 % à ne plus leur accorder leur confiance, selon ce qu'indiquent les derniers sondages.A cette crise du sommet répond la résistance de la population laborieuse, salariés du public et du privé, mal-logés, chômeurs, retraités : plus d'un million de personnes dans la rue, le 4 octobre, dans une journée d'action pourtant sans objectif et répétant ces " temps forts " de 24 heures ; grève d'une combativité éclatante à la SNCM ; Marseille au bord de la grève générale (traminots, port autonome, etc). Autant de signes annonciateurs de la lutte prochaine qui se prépare dans ce pays, envers la politique des directions syndicales qui, on l'a encore vu à la SNCM, assurent la protection rapprochée de ce Régime qui ne tient qu'à un fil.

La moisson rouge

Les classes dirigeantes, elles-mêmes, ne s'y trompent pas. Un de leur porte-voix, Joseph Macé Scaron, écrivait, le 21 mai, dans le Figaro Magazine, à propos du " débat référendaire ", dont il pressentait l'issue en faveur du non une semaine plus tard : " il s'agit plutôt d'une moisson baroque et tardive des événements de 1995. [...] Dix ans plus tard, tout ressurgit intact, inentamé ... ". Une situation révolutionnaire se dessine, telle que la décrivait Lénine : " en haut, on ne peut plus gouverner comme avant ", ce dont témoigne la crise du système politique tout entier, et " en bas, on ne veut plus vivre comme avant ", ce dont témoigne, entre autres, la révolte des mal-logés, qui grandit de jour en jour tandis que la question du logement indigne l'immense majorité de la population.

" On a différé les réformes "

Autre représentant des capitalistes, Denis Kessler s'inquiète : " on a différé les réformes, on a pris du retard " (sur LCI, le 27/10). Ces " réformes ", le gouvernement entend pourtant les mener à bien. Ainsi, lors de sa conférence de presse du 27 octobre, Villepin prévient : " le service public n'est pas un type de structure particulière, c'est d'abord une mission ". En clair : une mission de service public peut être confiée à une " structure " privée, une " structure " publique peut être privatisée à tout moment. C'est ce qu'on appelle dans le Traité Constitutionnel Européen les " services d'intérêt général ". Après quoi, Villepin et Sarkozy vont se dire " différents mais unis ", ce qui n'empêche pas Sarkozy de hisser le pavillon de la " rupture ". Et le voici qui revendique le droit de vote des immigrés aux élections municipales. Nouvelle pomme de discorde lancée contre Chirac-Villepin par le ministre de l'Intérieur. Cette dernière singerie médiatique de Sarkozy obéit aussi à la stratégie de la carotte et du bâton contre tous les immigrés. Cette pirouette sur le droit de vote des immigrés accompagne l'offensive du ministère de l'Intérieur contre les étrangers qui n'ont pas de titre de séjour, pour les reconduire à la frontière.

Les temps changent, pas le PCF

Ainsi, trois ans après la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte qui accueillait des exilés, Afghans, Iraniens, Irakiens, Somaliens, Soudanais, Nigériens, pour une partie d'entre eux, montrés du doigt comme clandestins, Sarkozy déclare : " Je ne regrette rien ". Le journal La libre Belgique (25/10) rappelle à ce propos : " À l'époque, la fermeture du centre de réfugiés de la Croix-Rouge à Sangatte avait valu au déjà tumultueux n° 2 du gouvernement une salve d'applaudissements - venant de la gauche y compris ". Plus navrant encore, on peut lire dans Le Monde (25/10) : " Les Calaisiens observent, apparemment indifférents, les longues files qui se pressent devant le mobile-home installé en centre-ville. " Indifférence ? Pas vraiment ", rectifie Vincent Lenoir, de l'association Salam. " Les gens nous aident en apportant des dons. Mais ils le font souvent discrètement, à la mesure de leurs moyens. Calais compte 25 % de chômeurs. D'autre part, la ville compte très peu d'étrangers, contrairement à de nombreuses autres villes de la région. " Les réactions hostiles sont très rares. " l'agression commise le 9 octobre sur un couple de personnes handicapées (le mari a été battu et son épouse violée) n'a pas particulièrement fait monter la pression ", assure-t-il. Mais cela n'a pas arrangé les relations avec les autorités. Le maire, Jacky Hénin (PCF), a voulu devancer d'éventuelles réactions. Dans la lettre municipale distribuée aux Calaisiens, il évoque " un fait particulièrement sordide qui, relaté au quotidien, n'aurait probablement pas dépassé la rubrique des faits-divers aggravés. [..] Mais, en la circonstance, la réaction et les comportements risquent d'être bien différents, simplement parce qu'il semblerait que des " migrants " soient impliqués ". " Pourtant, insiste Vincent Lenoir, personne n'avait réagi. M. Hénin joue au pompier pyromane " " . Jacques Hénin, Maire PCF de Calais en 2005, ne rappelle-t-il pas étrangement un certain Robert Hue, Maire de Montigny-lès-Cormeilles en 1980, désignant à la vindicte populaire une famille marocaine injustement accusée de trafic de drogue ? Les temps changent, pas le PCF.

Sarkozy s'enferre

Une telle attitude, du côté de la gauche institutionnelle, ne peut qu'encourager Sarkozy à poursuivre ses menées anti-immigrés et anti-jeunes, en paradant dans les cités. En 2004 déjà, pour avoir insulté le ministre de l'Intérieur, un habitant de la cité Hautepierre de Strasbourg avait écopé d'un mois de prison ferme (ce qui tranche nettement avec le non-lieu sur les frais de bouche des Chirac qui représentaient 14 millions de francs, soit 2,13 millions d'euros, puisés par les époux Chirac dans le budget de la questure municipale pour des dépenses personnelles, notamment 4 000 F [600 €] de frais de nourriture par jour, pendant huit ans, dans leur logement de fonction). Plus que jamais décidé à rouler des mécaniques dans les cités, Sarkozy, flanqué de ses CRS, débarque en pleine nuit, le 25 octobre, sur la Dalle d'Argenteuil, où vit le tiers des 100 000 habitants de la ville et, cette fois, il est accueilli par des jets de pierre. Des centaines de jeunes se sont en effet rassemblés contre cette provocation. Sarkozy a beau riposter en fanfaronnant, claironner dans un style qu'il emprunte au FN qu'il va " éradiquer la gangrène ", même le Maire d'Argenteuil, qui figure pourtant parmi ses partisans, doit s'en démarquer en déclarant publiquement : " l'image locale montrée hier par Sarkozy a été exagérée ", ce que corrobore une habitante de 63 ans : " je vis là depuis quarante ans, je n'ai jamais été agressée.Tout son cinéma, c'est juste pour se montrer " (propos recueillis dans Le Parisien du 27/10).

Bayrou franchit le Rubicon

Au-delà des problèmes politiques posés par la tension permanente au sein du gouvernement, la crise du Régime vient de connaître une nouvelle aggravation avec le vote contre le Budget d'une partie des députés UDF (16 sur 30, 13 députés UDF s'abstenant) entraîné par François Bayrou. Ce dernier a raison de souligner que c'est " une première sous la Ve République ", puisque jamais auparavant un parti appartenant à la " majorité " n'avait voté contre un Budget. Sous la Ve République, voter contre le budget, cela revient à se placer dans " l'opposition ". Lorsque Bayrou lance : " Ceux qui votent ne sont pas les responsables de l'UMP mais les Français. Ils trouvent que cela va mal, nous sommes du même avis ", il fait savoir à sa façon que sa base électorale elle-même ne reconnaît pas ce gouvernement comme le sien, il indique à sa manière que le sol se dérobe sous les pieds de ce gouvernement.

PS : vers un congrès impitoyable

Du côté du PS, on s'oriente vers un congrès qui s'annonce impitoyable. On l'a vu, la réunion du PS parisien a tourné au chahut indescriptible, les partisans de Hollande, armés de cornes de brume, se prenant pour des supporters du PSG, alors que Fabius, marchant sur des oeufs, ne parvient toujours pas à fédérer autour de lui les " nonistes " du PS. C'est dans ce climat contraire que Marie-Georges Buffet tente, par des forums dans chaque ville, de rassembler " la gauche ", sans écarter - surtout pas - ceux qui ont fait campagne pour la Constitution européenne. Il est vrai que le PCF gère des municipalités avec ceux-là, planifiant, avec eux, les démolitions de cités HLM, les délégations de services publics municipaux aux exploitants privés, votant avec eux les hausses des tarifs des cantines scolaires, des centres aérés, etc.

Les classes dirigeantes ne voient pas d'issue à la crise politique. Les directions syndicales, les appareils du PS et du PCF, non plus. Les salariés, les jeunes, les mal-logés, eux, cherchent l'issue dans l'action.
Modifié le mercredi 02 novembre 2005
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