La foire d'empoigne

Chronique d'une fin de RégimeÀ propos de la campagne présidentielle qui s'avance, Michel Rocard, ancien Premier ministre, s'exclame : " il est urgent de se débarrasser de cette élection au suffrage universel ".Le Parisien. 31 août 2006 À ses yeux, cette élection s'annonce comme une " foire d'empoigne ", laquelle commence à la tête de son propre parti, le PS. Mais il est attendu ailleurs ... à l'Université d'été de l'UDF. Notons-le bien, Rocard n'était pas a priori contre l'élection du Président de la République au suffrage universel. En 1980, il se voyait déjà lui-même en haut de l'affiche : le 19 octobre, il annonça sa candidature. On connaît la suite ...Mais, en 1980, il n'y avait pas sept " candidats à la candidature " au sein de la direction du PS, comme c'est le cas aujourd'hui, depuis plusieurs mois déjà. Comme quoi, la crise aiguë de ce parti, provoquée par le référendum sur le Traité Constitutionnel européen, n'a pas été conjurée par le dernier Congrès du PS de novembre 2005, par la " synthèse " qui avait recadré Fabius, Emmanuelli, Mélenchon, dissidents d'un jour.

" Cette précampagne est destructrice "

Les tentatives faites, à l'occasion de sa " rentrée politique ", par Ségolène Royal, flanquée de Montebourg, pour dépasser le clivage sur le référendum du 29 mai 2005 n'apaisent en rien cette crise profonde qui ressurgit, autrement - mais avec la même toile de fond - à l'occasion de la campagne interne au PS en vue de la désignation d'un candidat en novembre 2006. Rocard ne mâche pas ses mots : " cette précampagne est destructrice ",Le Parisien. 31 août 2006 assène t-il. Les ambitions personnelles et règlements de comptes au sein de l'appareil social-démocrate sont symptômatiques. Comme le dit Jospin, le PS est un parti " sans leader ". C'est un bateau ivre qui ne sait plus quel cap prendre mais qui - l'expérience de ces trente dernières années l'a montrée - ne suivra pas le courant des aspirations des salariés, des chômeurs et des retraités.

Le socialisme des capitaines d'industrie

Ainsi, le " projet socialiste pour la France " ratifié par le conseil national de juin dernier parle certes d'abroger la loi Fillon sur les retraites, mais DSK précise dans la foulée : " S'il s'agit d'abroger d'un trait de plume la loi Fillon pour en revenir à la situation d'avant, c'est non ". S'agissant de la renationalisation d'EDF, il estime que celle-ci " ne [lui] paraît pas le plus urgent au regard de nos vraies priorités : l'éducation, la santé, le logement, la recherche ". S'agissant de la rémunération des dirigeants d'entreprise, DSK assure : " Je n'ai jamais été favorable à ce qu'on montre du doigt ceux qui réussissent dans leur entreprise. [...] Nous devons être capables de rémunérer le risque et de stimuler l'esprit d'entreprise. La gauche, qui avait fait des progrès considérables dans ce domaine, a plutôt régressé ". Après le socialisme bourgeois des salons incarné par Ségolène Royal, voici donc le socialisme des " capitaines d'industrie " revendiqué par Strauss-Kahn dans le quotidien le plus approprié, Les Échos (20 juin 2006).

Quel " logement pour chacun " ?

Strauss-Kahn évoque donc, comme priorité, le logement. Bien sûr, en vitrine, le projet du PS promet " un logement pour chacun ", le tout étant de savoir pour quand et quel type de logement. Ainsi, après l'incendie meurtrier qui a tué six personnes dans un immeuble-taudis du quartier populaire de la Pile à Roubaix, l'adjoint au maire PS de cette ville chargé de l'urbanisme assure que cette bâtisse était " vétuste mais pas insalubre ". Le propriétaire y avait aménagé quatorze chambres de 9 m2, Les loyers étaient de 250 à 300 euros par mois. Mais c'était conforme à la loi SRU élaborée par le ministre PCF Gayssot sous Jospin, en 2000 (voir Le Monde, 30/08/06). Après un premier incendie, cette municipalité a certes porté plainte mais s'est bien gardée d'appliquer la procédure de péril imminent prévue à l'article L 511 du Code de la construction et de l'habitat ou l'article L 2212-2 du Code des communes permettant au maire d'ordonner la démolition de tout immeuble menaçant ruine. Et cela, tandis que le Maire PS de Cachan prenait hypocritement fait et cause pour l'expulsion des familles qui occupaient un bâtiment désaffecté de la résidence université de cette ville, sous prétexte d'insalubrité. (Voir page CCSA). Ce qui n'empêche pas, autre aspect de cette crise du PS, le maire de l'Haÿ-les-Roses, commune limitrophe de Cachan, de figurer dans le Comité des personnalités soutenant les " 1000 de Cachan ".

" Fermeté à l'égard de l'immigration illégale "

S'agissant des sans-papiers, on aurait pu croire que le PS évoluait à gauche, en prenant fait et cause pour les enfants sans papiers. Mais que dit le projet socialiste à propos des habitants privés de titre de séjour ? " Nous reviendrons sur les dispositions des lois Sarkozy qui ont précarisé la situation des immigrés installés depuis longtemps dans notre pays. Nous restaurerons la possibilité de régularisation après 10 ans de résidence. Nous respecterons le droit au regroupement familial pour protéger les enfants scolarisés, nés en France, ou y vivant depuis longtemps. Nous mènerons une politique de fermeté à l'égard de l'immigration illégale. Notre pays ne peut accueillir tous ceux qui le souhaitent. " Hormis la " possibilité [sic] de régularisation après dix ans de résidence " nullement automatique, le projet du PS ne se distingue en rien de Sarkozy. S'agissant des enfants scolarisés, c'est la copie conforme de la circulaire Sarkozy du 16 juin dernier. Ainsi, Jeff, le jeune nigérien majeur, expulsé de force le 29 août du territoire français, séparé de sa compagne, arraché à ses études professionnelles, tomberait aussi bien sous le coup des dispositions d'une loi " socialiste " ferme, c'est-à-dire inhumaine et cruelle, à l'égard de l'immigration rendue illégale par les lois racistes édictées par les gouvernements, de droite et de gauche, qui se sont succédé depuis trente ans.

Jospin : le recours ?

Alors, comme dit Rocard, qui l'a appris à ses dépens il y a un quart de siècle, les sondages sont " volatils " : après l'Université d'été du PS, la cote de Ségolène Royal baisse pour la première fois dans les sondages, et le PS lui-même n'en sort pas grandi. C'est dans ce contexte que Jospin tente de se poser en recours et en candidat seul à même de maintenir l'unité du PS. C'est dans ce contexte que Hollande ordonne aux maires PS de ne parrainer aucun candidat d'autres partis. Dans l'éventualité où cette manoeuvre antidémocratique réussirait, elle n'aura qu'un seul effet : une nouvelle poussée abstentionniste faisant litière de toutes ces spéculations et occasionnant une nouvelle aggravation de l'état actuel du Régime.

" La logique majoritaire a éclaté "

Rares, en effet, sont ceux qui se hasardent à dire que le Régime peut encore durer. On l'a vu, même l'élection du chef de l'État au suffrage universel, qui faisait consensus depuis 1965, est contestée par des tenants de l'ordre bourgeois comme Rocard, soucieux de la continuité de l'État. Ségolène Royal, à son tour, fait miroiter une VIe République et le projet du PS invoque une nouvelle République mais cette " refondation " n'est qu'une ultime tentative de replâtrage des institutions vermoulues de la Ve, que ces gens-là ne veulent surtout pas abroger. En attendant, les élections présidentielles sont devenues des élections de moins en moins viables. Elles avaient pourtant vocation à être un gage de stabilité et de cohésion nationale. Le Monde, dans son éditorial du 21 août, s'en inquiète à son tour : " La logique majoritaire, pourtant fondement du Régime, a éclaté, transformant l'élection en une sorte de tribune où chaque courant de la société française veut être présent, quitte à rendre illisible le premier tour. En 1965 et 1974, les deux principaux candidats rassemblaient 76 % des suffrages. Au premier tour de 2002, les représentants des deux plus grands partis démocratiques, le PS et l'UMP, atteignaient à peine 36 % ... Loin d'être l'occasion majeure d'une clarification politique, le scrutin présidentiel est devenu un facteur de confusion. ". La bourgeoisie, dont Le Monde est la tribune, a conscience que le Régime est atteint dans son fondement. Ses " éditos " expriment la crainte que les prochaines élections ne dégagent aucune " majorité " crédible ayant autorité pour gouverner et, surtout, à même de parachever les " réformes " indispensables pour restaurer la compétitivité du Capital français dans une Europe intégrée et sur un marché mondial débridé. Ces " réformes " anti-ouvrières exigent un gouvernement fort, autoritaire, ayant une assise dans la population, comme ce fut le cas des premiers gouvernements de la Ve République ; elles réclament un " sauveur " d'une tout autre trempe que l'aspirant Sarkozy. Ces " réformes " réclament des syndicats domestiqués, ayant définitivement remplacé les revendications par les " propositions " pour accompagner les restructurations industrielles et les privatisations, organiser la répartition des efforts entre les salariés et la concurrence entre eux. Or, la victoire du non le 29 mai 2005, puis la victoire éclatante des masses contre le CPE, ont déjà démontré que la population laborieuse veut combattre ces " réformes ". Cette résistance des masses, systématique à chaque projet de " réforme ", est le moteur de la crise politique, la cause efficiente de cette " foire d'empoigne ".
Modifié le mercredi 13 septembre 2006
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