La République des corbeaux

Chronique d'une fin de RégimeDécidément, la crise politique ne connaît aucune interruption. Sitôt retiré le CPE, voici le gouvernement plongé dans le cloaque de l'affaire Clearstream, dernier avatar des règlements de compte, chausse-trapes et affaires qui révèlent au grand jour la putréfaction du Régime. Il ne reste alors qu'à sortir Le Pen du placard où l'appareil d'État l'avait remisé et le flanquer, cette fois, d'un Villiers plus fielleux que jamais. À la fois repoussoirs propices à l'union sacrée de tous les " républicains " pour sauver l'ordre bourgeois et poissons-pilotes de la politique raciste et anti-ouvrière du gouvernement ... Ainsi, pour combler l'abîme politique béant que laisse derrière elle l'irruption de la jeunesse contre la précarité et l'exploitation, média et partis institutionnels ont ouvert, avec une bonne année d'avance, la campagne présidentielle. Tous les augures annoncent un duel Sarkozy-Royal et donnent gagnante l'émule poitevine de Tony Blair. Pourtant, tous savent ce que valent les sondages à un an ou six mois d'une consultation électorale sérieuse. En 1980, c'était Rocard puis Giscard qui étaient donnés successivement vainqueurs ; en 1987, c'était Raymond Barre et en 1994, c'était Balladur. En 2000, les média grimaient Chevènement en " troisième homme " et annonçaient un duel serré au second tour entre Chirac et Jospin.

Les masses n'attendent rien de 2007

Alors, bien malin qui se hasarderait à pronostiquer quelque résultat que ce soit pour 2007. De toute façon, les masses, elles, savent, par leur expérience, à quoi s'en tenir : elles n'attendent rien de 2007. Mieux encore : elles veulent chasser Chirac, Villepin, Sarkozy, sans plus attendre,et porter un coup d'arrêt d'urgence à trente années de précarité, d'austérité, de restructurations et d'attaques contre les droits ouvriers, par leurs propres moyens, leurs propres méthodes, celles de la grève générale, du " rassemblement au grand jour de tous les exploités et les opprimés contre la bourgeoisie " comme disait Trotsky à propos de la France en 1936, c'est-à-dire la mobilisation indépendante des masses contre les capitalistes, les banquiers et les hommes politiques, institutions qui sont les instruments de leur domination.

Ainsi, dans Le Canard Enchaîné du 10 mai, on apprend que la direction centrale des RG a émis, le 4 mai, une note " catastrophique " sur l'état de l'opinion dont le moral est plombé par les augmentations du carburant et du gaz et par la baisse du niveau de vie de la population. Des grèves se déclarent, comme à Michelin-Roanne. Des révoltes grondent, comme celle des marins-pêcheurs asphyxiés par la flambée des prix du carburant.

" Confusion extrême au sommet de l'État " (Les Échos)

À l'allure que prend la crise du Régime, beaucoup de gens se demandent si Chirac " tiendra " jusqu'en 2007. Rarement, voire jamais, un chef de l'État aura été à ce point isolé, vilipendé (par les siens plus que par la gauche qui lui avait donné ses voix en 2002), dénigré, piétiné par les sondages, lui qui est censé être, rappelons-le, la clef-de-voûte des institutions réactionnaires de la Ve République.

Surgit la ténébreuse affaire Clearstream aux multiples ramifications, implications et méandres, dans laquelle s'imbriquent espionnage, justice, financements glauques, défense nationale, manipulations et - c'est le journal patronal Les Échos qui le dit dans son édition du 9 mai - " confusion extrême au sommet de l'État. ". La Ve République finit en République des corbeaux, en République des balances. Chirac, visé par ricochet dans cette affaire, aurait, selon le carnet de notes à spirale du maître-espion désormais célèbre Rondot, mis de côté la somme rondelette de 300 millions de francs dans une banque japonaise, et fustige " la dictature des rumeurs ". Il est vrai qu'aujourd'hui les rumeurs ont le pouvoir de paralyser la machine gouvernementale. Paralysie que constate le quotidien Les Échos.

Vol de corbeaux au dessus d'un nid de vipères

Et ça n'en finit pas : Le vice-président du groupe aéronautique et de défense franco-allemand EADS (European Aeronautic Defence and Space Company), le dénommé Gergorin, est donc désigné comme le corbeau qui a envoyé les listings de personnalités détenant des comptes chez Clearstream au juge Van Ruymbeke, maintenant lui-même accusé d'avoir négocié avec ce corbeau de haut vol l'envoi de ces listings. Tandis que les notes du général-espion Philippe Rondot, ex-conseiller d'Alliot-Marie, tendent à établir que Chirac aurait donné des instructions pour rechercher dans ce dossier tout élément susceptible de compromettre Sarkozy, dont le nom figure sur le listing farlelu éventé par le corbeau.

Pour qui roule Le Monde ?

Gergorin est on ne peut plus proche de Dominique de Villepin. Il vient d'être débarqué de son poste au sein du groupe EADS tandis que la nomination du juge Van Ruymbeke à la fonction de président de chambre de la Cour d'Appel de Paris a été gelée par le Conseil Supérieur de la Magistrature à cause du rendez-vous informel entre le magistrat et Jean-Louis Gergorin dans le cadre de l'affaire dite des frégates de Taiwan, trois jours avant que le corbeau envoie sa première lettre anonyme.

Violation du sacro-saint secret de l'instruction, enquête discrète de la DST diligentée par Villepin lorsqu'il était ministre de l'Intérieur devenue secret de polichinelle, campagne médiatique orchestrée par Le Monde contre Villepin puis Chirac, d'une neutralité " objective " plus que bienveillante à l'égard de Sarkozy, " victime " qui semble tirer son épingle du jeu dans cette affaire. Victimes ? Ils le sont tous, comme autant d'arroseurs arrosés : Chirac, Villepin, Sarkozy, Alliot-Marie. Fort à propos, Le Canard Enchaîné (édition du 10 mai) rappelle que Sarkozy " n'est pas un perdreau en matière de coups tordus " : c'est lui qui, ministre du Budget, a fait ce que ses prédécesseurs socialistes n'avaient pas osé faire : transmettre le dossier fiscal du financier et faux facturier du RPR Jean-Claude Méry à quatre parquets, pas moins, dont celui de Créteil. De là, rapporte Le Canard, " Le juge Halphen déclenche une série d'investigations qui pourriront la vie de Chirac pendant dix ans et aboutiront à la retraite politique de Juppé. Merci qui ? Merci Sarko ".

PV et comptes-rendus baladeurs

Ajoutons à cela la guerre que se livrent le parquet et les juges, décrite là encore par Le Canard, auquel un magistrat aurait confié : " C'était pourri, ce dossier, et ça devient crapuleux ". Ainsi, un juge envoie le dossier d'instruction au parquet. Quarante-huit heures plus tard, le dossier lui est retourné mais des photocopies sans valeur juridique ont été substituées à des documents originaux, d'après le PV de constatation qu'il dresse le 27 avril. Ainsi, les originaux des interrogatoires de police de l'informaticien Imad Lahoud (celui qui a sorti les premiers listings de numéros de compte) et de J.-L. Gergorin ont été subtilisés, ainsi que le compte-rendu d'audition de Philippe Rondot. Quant au PV d'audition du patron de la DST, Pierre de Bousquet de Florian, il aurait tout simplement disparu du dossier. Une paille ! " Nul ne sait s'il s'agit là d'un simple problème de reprographie ou d'une sombre machination. Mais voilà de quoi alimenter la parano générale " commente Le Canard.

" La bombe Clearstream va exploser " (Le Parisien)

Dans son édition du 28 avril, Le Parisien titrait : " La bombe Clearstream va exploser ". Le 9 mai, il titre " Ça craque ". D'autres rumeurs courent, alimentées par les plus impatients parmi les partisans de Sarkozy, comme celles de la nomination du ministre de l'Intérieur à Matignon ... Toutes les interrogations fusent : Chirac finira-t-il son mandat ? Ici et là, on disait la Ve République à bout de souffle. Elle a rendu son dernier soupir. Il n'en reste que la dépouille, le cadavre rongé par le ver des affaires, des machinations et des déchirements.

Du Régime de la Ve République, il ne reste que la Constitution de 58-62, à laquelle se raccrochent désespérément le PC, le PS et les directions syndicales qui s'en remettent à Chirac, le suppliant, à l'instar de François Hollande, de remanier son gouvernement, en l'expurgeant de Villepin et de Sarkozy.

Parce qu'il n'y a pas de Régime de rechange tout prêt. Il y a le vide béant. Cela ne veut bien entendu pas dire que le gouvernement issu du Régime en décomposition soit " mort ". Il tente aujourd'hui de porter de nouvelles atteintes au droit de séjour des travailleurs immigrés. Mais le projet de loi CESEDA aurait été retiré si, prenant appui sur la grève généralisée des lycéens et étudiants contre le CPE, les directions syndicales avaient appelé à la Grève générale l'ensemble des salariés jusqu'au retrait du CPE et du CNE.

Il n'est pas encore trop tard. Au point où nous en sommes, quel autre moyen que la grève générale les travailleurs ont-ils pour affirmer et imposer leur volonté politique de voir satisfaites les revendications les plus urgentes, de voir sauvegardées les conquêtes sociales de juin 36 et 1945 et de voir Chirac, Sarkozy et Villepin balayés ? Assurément, aucun.
Modifié le mercredi 17 mai 2006
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