Hollandevalls ou le bonapartisme débile
Pierre Laurent, le chef du parti communiste vient de faire une grande découverte : « Ce n'est plus la gauche qui gouverne ». La tonitruante Christiane Taubira vient de s'exclamer : « La gauche, ce n'est pas un chef bonapartiste ». Comme le notait l'écrivain Raymond Chandler : « le bon sens agit toujours à retardement », surtout quand il a le sens de l'opportunité. Pourtant, la V e république n'a jamais été « la gauche » et le « bonapartisme » est dans ses gènes.
A croire que le rétroviseur de Pierre Laurent est très embué : depuis quatre ans et dès les tout premiers jours, la politique conduite par Hollande a été très marquée à droite, dans la continuité, la poursuite et l'accentuation toujours plus poussée de celle de Sarkozy. Aucun état de grâce n'a touché Hollande dans les « cent premiers jours ». Pour Pierre Laurent, ce n'était alors qu'une question de cap à changer. Faute de rétroviseur, Pierre Laurent regarde devant lui et a pour seul horizon « la Primaire à gauche »
A bas la Présidence de la République
La Présidence de la République est pourtant l'une des pires institutions de la Ve République. Y compris pour qui se situe d'un simple point de vue républicain classique. Cette institution de « Chef de l'État » avait été dévaluée sous la III ème et IV ème République. Les républicains les plus modérés y étaient hostiles à la suite de l'expérience de l'éphémère seconde République où le Président de la République, Louis Napoléon Bonaparte, s'érigea en empereur le 2 décembre 1851 par un coup d’État. Dans les tout débuts de la IIIe République, en 1871, un compromis historique fut scellé entre républicains et monarchistes, dans le sang des martyrs de la Commune de Paris. Ce compromis mit en place la Présidence de la République.
Aussi bien, à l'heure où le culte de la « République » (à la française, bien entendu) est célébrée à chaque instant par tous les « politiques », de toute obédience, de Le Pen à Mélenchon en passant par Chevènement, rappelons ces quelques lignes d'un de ses pères fondateurs : Gambetta
« Un homme ne peut incarner la République ; non ! Il peut la représenter comme fonctionnaire , il doit la défendre comme citoyen (…) C'est précisément dans ce caractère collectif, unanime, général du gouvernement républicain que se trouvent son excellence et sa supériorité. C'est là ce qui fait que le régime républicain offre des garanties supérieures contre l'incapacité, contre les hasards de la naissance, contre les infirmités, contre les passions, contre les vices d'un seul homme » 1
Cette institution scélérate de « Président de la République » n'est pas désincarnée. Le principe de Lamarck 2 selon lequel « la fonction créé l'organe » s'y applique. Hollande en est l'organe, à l'heure où le vieux régime de la Ve République est dans un état désespéré, à l'heure où le parti godillot du Président est lui-même en charpie.
Il tient un gouvernement faible, rejeté par l'opinion publique, contesté au sein de son parlement croupion et du parti socialiste puisque le rejet de la population laborieuse s'y réfléchit. N'eussent été les attentats monstrueux, il serait en train de choir.
Jusqu'à présent, ce gouvernement tenait grâce à ceux qui, de l'extérieur et dans une contestation délibérément inconséquente et sans queue ni tête, occupaient, selon le mot de Maurice Thorez3, le « ministère des masses » : front de gauche et son annexe NPA, directions syndicales. Lesquels se trouvent à présent en équilibre sur une tête d'épingle, pour avoir été le dernier rempart de la paix sociale (très, très relative et très compromise, à ce jour).
La fonction créé l'organe
Or, il est un usage bien établi : plus un gouvernement est faible, plus il montre les crocs, plus il se barricade dans l'autoritarisme liberticide. Laissant le chien de garde policier monter sur la table. Donnant des ordres aux juges, comme l'a révélé la condamnation des 8 de Good Year. S'affichant avec les pires dictateurs, y compris ceux qui rivalisent dans l'horreur avec Daesh, y compris avec l’État sioniste qui torture les enfants. Le tout, dans une débauche de cynisme qui fait dire à Christiane Taubira qu'elle rompt avec eux « pour l'éthique et le droit ».
Christiane Taubira qui a donc fini par « claquer la porte », le 26 janvier. La seule ministre des gouvernements successifs de Hollande à ne pas avoir été ouvertement ou indirectement balayée par l'Exécutif. Non sans avoir bu le calice jusqu'à la lie. Après avoir avalé toutes les couleuvres depuis quatre ans. Mais là encore, il faut s'attarder sur la « fonction » : Garde des sceaux, ministre de la Justice et ainsi même, 4ème personnage de l'Exécutif. Une femme qui déclare « je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur ». Laissant derrière elle un gouvernement réduit à la portion congrue du clan Valls, le clan qui cherche ouvertement à liquider le Parti socialiste, corps et biens. Le clan qui, avec Macron, sert de matraque à Hollande.
Un gouvernement réduit à un clan
Certains, comme l'éminent Gérard Filoche4, pensent s'en tirer en réclamant la démission de Valls et Macron. Préservant Hollande du même coup. Certes, Hollande et Valls, ce n'est pas tout à fait la même chose, même si dans « l'action », ils ont fusionné. Hollande est un social-démocrate. Tant que la mer n'est pas démontée, il peut défendre platoniquement certains principes démocratiques, mais il est viscéralement attaché au maintien de l'ordre établi, organiquement même. Et, quand la crise se déchaîne, la défense de l'ordre établi prend alors le pas sur tous les principes pieux de la social-démocratie, sous le couvert du « pragmatisme ». Nous avons alors en face de nous un Bonaparte débile5, jusque dans ses actes manqués (posant son bulletin de vote à côté de l'urne ou se faisant « flasher » en scooter pour un autre motif que l'excès de vitesse).
Dans les débuts, le gouvernement embrassait tous les courants du PS et des Verts, ensuite tous les courants du PS, ensuite les courants du PS autres que « frondeurs ». Après le départ de « l'icône de gauche » (Taubira), il ne reste que les Hollando-Vallseux… De sorte que tous les tiraillements, couacs qui pouvaient être « aplanis » au sein du gouvernement se donnent maintenant libre cours… en dehors. Le fait que la commission des lois du parlement, tenue par le PS, ait rebuté la « déchéance », montre assez nettement le chaos politique que provoque l'accentuation des traits réactionnaires du pouvoir en place.
« victoire idéologique des patriotes »
La déchéance, nous l'avons vu, est un pont jeté vers la droite. Et, même, le plus à droite possible. « Si le principe de déchéance de la nationalité est bien présent dans le texte, alors, comme ce sera une victoire idéologique du camp des patriotes que nous incarnons, nous pourrons le voter » déclare donc Philippot, le n°2 du FN 6. Comme il le dit si bien, il s'agit d'une victoire idéologique et, en même temps, de l'arbre qui cache la forêt de la révision constitutionnelle. Le tout, dans la perspective (bien incertaine) de l'élection de Juppé en 2017 et d'un gouvernement intégrant Valls et une partie des caciques du PS, sous le signe de la « concentration nationale ». Juppé, dans l'hypothèse où il serait élu, n'aurait pas à chipoter sur « l'héritage »…
L'explosion sociale qui vient
Le temps qu'il reste avant cette élection antidémocratique et « antirépublicaine » d'un homme à la tête de l’État 7 promet bien des rebondissements propices à pulvériser tous les scenarii préétablis.
Ne nous y trompons pas, et tant pis pour les sceptiques professionnels du NPA et de Lutte ouvrière, l'état d'urgence, le bonapartisme agressif sont dictés par la peur de l'explosion sociale qui vient. Le gouvernement perd confiance dans la capacité des directions syndicales à « tenir » le mécontentement de l'ensemble de la population laborieuse, car ces mêmes directions syndicales sentent elles-mêmes qu'elles ne peuvent plus « tenir ». Ainsi, face à l'état d'urgence et au vote quasi unanime des députés de la loi prolongeant et renforçant l'état d'urgence, de nombreux syndicats, unions départementales CGT FO, et FSU se sont inscrites dans le front du refus, et se sont appuyés sur l'Appel des 333 pour la levée immédiate de l'état d'urgence. En région parisienne, un communiqué commun CGT et FO a été lancé pour sa levée.
Mais alors, quand aura-t-elle lieu, l'explosion sociale pour en finir avec le gouvernement et ses réformes scélérates ? Il n'y aura d'inattendu que le moment. Nous nous y préparons.
Daniel Petri,
2 février 2016
1 Cité par Gaston Bonheur/La République nous appelle/page 250/Robert Laffont éditeur-1965
2 Jean-Baptiste de Lamarck est un naturaliste français. Au début du XIXᵉ siècle, il a réalisé la classification des invertébrés, qui regroupent environ 80 % des animaux
3 Maurice Thorez était dans les années 30,40 et 50 le chef du PCF
4 Gérard Filoche : ancien dirigeant de la LCR, aujourd'hui, l'une des figures de « la gauche du PS"
5 Débile au sens initial du mot : Faible, qui manque de forces, de vigueur
6 http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-fn-votera-la-revision-constitutionnelle-si-decheance-de-nationalite-il-y-a_1759528.html
7 Le principe de l'élection du Président de la République avait été, en 1962, rejeté par le PC, le PS et la dite droite modérée. De Gaulle et son « parti » l'avaient imposé face à toutes les autres formations
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