Grand guignol et petits arrangements

Chronique d'une fin de régimeÀ peine la crise de l'UMP était-elle calmée, grâce à un compromis boiteux entre le chef de l'État et son ministre des Finances, qu'elle rebondissait de plus belle au PS, à propos de la Constitution européenne, au grand dam de Jack Lang exprimant sa grande tristesse à propos de la posture prise par Fabius, contre toute attente, en faveur du non au référendum. Référendum dont Chirac avait pris l'initiative pour sceller l'Union nationale autour de lui (comme en 2002!) sous le drapeau d'un oui martelé tout à la fois par l'UMP, l'UDF et le PS, laissant la place au PCF pour un non de façade et en trompe-l'oeil... en faveur d'un "autre traité".Calmée, la crise de l'UMP n'est cependant pas près d'être surmontée. Pour exemple, cette réunion des "libéraux de l'UMP" qui a rassemblé 800 personnes le 29 septembre et au cours de laquelle la salle a sifflé Chirac quand une représentante de l'association "liberté chérie" a souligné que le chef de l'État ne tenait pas sa promesse d'instaurer le service minimum garanti dans les transports publics. Parmi ces "réformateurs" de l'UMP, une cinquantaine de députés ont dénoncé "une dérive autocratique de nos institutions" et ont été rappelés à l'ordre aussi sec par l'ancien ministre (mais aussi ancien nazillon du groupuscule "Occident", NDLR) Gérard Longuet invitant ces messieurs à ne pas sombrer dans "le crétinisme simplificateur".

À quoi sert le Sénat?

Avant cela, il y avait eu l'intermède des sénatoriales. À quoi sert le Sénat? Cette "chambre haute" a encore moins de pouvoirs que l'Assemblée nationale. Sous la Vème République, le vote des députés prime sur le vote des sénateurs et le Sénat ne peut que freiner l'adoption d'une loi ou d'un amendement. Élus au suffrage indirect par un collège de grands électeurs (maires, conseillers généraux, conseillers municipaux), les sénateurs ont un bail de neuf ans et palpent, au bas mot, 7000€ par mois, ce qui fait du Sénat, renouvelable par tiers, une des plus juteuses gamelles de France, en échange du rôle de paillasson doré. Quant aux professions de foi des listes départementales qui briguent les suffrages des "grands électeurs", elles valent leur pesant d'or. Ainsi, dans le Val-de-Marne, la liste "Union pour le Val-de-Marne" se définit comme "la seule liste de la droite et républicaine et du centre ". Merci pour la liste UDF concurrente qui ne serait donc pas une liste de la droite et du centre et qui, à propos de la décentralisation, dit la même chose que la liste PS (flanquée du Parti Radical de Gauche): "il faut mettre un terme au transfert des compétences sans les contreparties nécessaires".

"Guérillas fratricides"

Dans le 94 toujours, une troisième liste de droite vient disputer les voix de l'UMP et de l'UDF, la "droite modérée". Bigre ! "Les listes qui vous sont présentées par les partis pour ces élections sénatoriales reflètent une fois de plus les petits arrangements partisans dont nous sommes témoins depuis tant d'années(...) Les partis continuent encore et toujours à mener leurs guérillas fratricides et à placer leurs copains" proclame la signataire de cette profession de foi plutôt amère, Estelle Debaeker, ci-devant maire de Nogent-sur- Marne. Cette liste présente la particularité de regrouper les "pieds écrasés" de la droite départementale, écartés des listes officielles UMP ou UDF parce qu'ils sont conseillers municipaux dans des villes gérées par la gauche anciennement plurielle. D'où cette lamentation: "Où sont les élus minoritaires qui eux, mènent de VRAIS et COURAGEUX combats dans des villes encore dirigées par des socialo-communistes? JAMAIS en position éligible! La droite serait bien plus convaincante si elle proposait d'élire un sénateur à Champigny-sur-Marne, à Fontenay-sous-Bois, à Arcueil ou à Alfortville plutôt que dans une ville déjà à droite".

"Petits arrangements"... entre copains

l'étalage des problèmes de cuisine et autres grenouillages de la droite n'est pas réservé au 94. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, on dénombrait pas moins de trois listes de droite "dissidente", l'une conduite par un UMP, la seconde par un UDF et la troisième par un RPF (le petit parti de Pasqua) à côté des deux listes officielles UMP et UDF. Petits arrangements? La petite droite modérée du 94 ne croyait pas si bien dire. On a beau s'empailler, il est des amitiés qui se ravivent certains soirs et c'est fort opportunément, ô divine surprise, que Pasqua a été élu grâce à l'UMP et en particulier aux hommes de Sarkozy, ce qui lui permet d'échapper à ses juges par la grâce de l'immunité parlementaire retrouvée, à point nommé. Ouf, il était moins une! Du coup, Pasqua, reconnaissant, s'est inscrit au groupe...UMP du Sénat. Ses amis du RPF doivent être un peu orphelins... Autres élections inattendues au soir des sénatoriales du 26 avril: celles de Robert Hue et de Dominique Voynet. Dans le pire des cas, ce qui les attend, c'est une retraite heureuse, sur les bancs du Palais du Luxembourg (siège du Sénat, NDLR ).
Là encore, voilà deux élus qui doivent lleur fauteuil aux services qu'ils ont rendus, en particulier au PS. Les quatre sénateurs verts ont d'ailleurs demandé leur inscription au groupe...PS du Sénat. Les chiens retrouvent toujours leur maître à l'odeur. Passons, car cette tragi-comédie ne doit pas nous faire oublier que l'UMP a perdu la majorité absolue dans cette chambre-là.

Un référendum pour un remake du 5 mai 2002

Reste que le centre de gravité de la crise politique s'est déplacé de l'UMP vers le PS, qui est, rappelons-le, l'une des béquilles de ce régime vermoulu qu'est la Vème République en fin de course. En effet, lorsque que, dans son intervention télévisée du 14 juillet, Chirac annonce que la Constitution européenne sera soumise à un référendum (alors qu'il aurait pu, tout aussi "constitutionnellement" la faire ratifier, sans risque apparent, par la réunion en Congrès, à Versailles, des députés et des sénateurs, NDLR), il a en vue une opération pour sceller l'Union nationale autour de sa personne, une sorte de prolongement ou de remake du 5 mai 2002. Une Union nationale par ailleurs nécessaire à qui veut "la cohésion sociale", elle-même indispensable pour répondre aux exigences du patronat et du capital financier. Une Union nationale impensable sans le PS, parti qui avait voté ouiau référendum sur le traité de Maastricht, il y a douze ans.

Quitte ou double pour Fabius

Erreur de calcul? Conséquence imprévisible? Grain de sable dans une mécanique pourtant bien huilée? Ne voilà-t-il pas que Fabius sort du gué et finit par se prononcer pour le non, ainsi qu'un pan entier de l'appareil du PS, en particulier les cadres de la fédération du Pas-de-Calais, la plus importante des "fédés" du PS ou encore, pour ne citer que lui, le jeune et pourtant "rocardien" maire d'Évry, aux dents aussi longues que Sarkozy, Philippe Vals. Il s'y résout après avoir, par un "Non, si", mis Chirac au défi d'obtenir des "clauses de sauvegarde" contre les délocalisations et pour l'emploi dans le projet de Constitution européenne, voire une "réorientation de la politique sociale". Encore que les termes de ce défi soient un leurre car demander la fin des délocalisations dans l'union européenne, cela revient à les favoriser en Asie, en Chine. Mais qu'importe, et chacun l'a compris, Fabius entend se servir de ce "grand débat" comme d'un tremplin pour s'affirmer comme le chef de l'opposition à la place de Hollande et, chemin faisant, comme candidat aux prochaines élections présidentielles. Pour Fabius, c'est un quitte ou double. Mais, pris en tenaille entre Hollande et Strauss-Kahn dans la course à la réalisation ultime des ambitions personnelles tendues vers le pouvoir politique, Fabius ne peut se distinguer autrement qu'en épousant la ligne du non. Encore une fois, lorsque les ambitions personnelles sont débridées, sans retenue et s'élèvent péremptoirement au dessus de "l'intérêt général bien compris" du "parti" ou du "pays", cela a valeur de symptôme d'une crise politique et d'indication de son aggravation brusque, et non valeur d'explication de celle-ci.

Les contradictions du PS

Le PS est, de l'aveu de tous ses dignitaires, au bord de l'explosion, plongé dans une crise au moins aussi grave que celle qui opposa Mitterrand et Rocard il y a 25ans. Le "combat des chefs" qui reprend de plus belle au PS a comme trame véritable les contradictions propres à ce parti social-démocrate qui, pour continuer à exister, doit impérativement retrouver sa base électorale, celle qui lui assure ses sièges de députés, de conseillers régionaux et généraux, de sénateurs et ses municipalités d'où il tire l'essentiel de ses ressources matérielles. Peut-il la retrouver en se plaçant une fois encore derrière Chirac lors d'un rendez-vous électoral? Peut-il retrouver son assise sociale en se présentant comme un champion du projet de Constitution élaboré par...Giscard? Dans les hautes sphères du PS, tous savent qu'il n' y a pas eu le "raz de marée" monté en épingle par les média, au soir des régionales, mais tout au plus un "frémissement" qui n'a pas eu de suite aux européennes, où les abstentions ont de nouveau pulvérisé des records. Premier parti de France, le PS rassemble à grand-peine 13% des électeurs inscrits. Voilà qui est loin d'être probant et qui indique que le PS est encore sous le coup du rejet massif qui l'a frappé de plein fouet et en pleine tête, le 21 avril 2002.

La victoire du nonest possible

La tentation du non est donc forte dans l'appareil du PS. Ne lui permettrait-t-elle pas de se rapprocher de ces millions d'abstentionnistes qui, le 13 juin, avaient manifesté leur rejet des institutions dites "européennes"? Ne lui permettrait-t-elle pas de redorer son blason en passant ainsi pour un parti résolument opposé à Chirac, à son gouvernement et à sa politique? Mais, d'un autre côté, la possibilité de la victoire du non ne peut que glacer d'effroi les apparatchiks du PS car ce serait plus qu'un "coup de tonnerre" (dixit Marie Georges Buffet), ce serait un séisme, non seulement en France, mais dans toute l'UE, et, par là même, un appel d'air considérable pour la lutte des classes sur son terrain direct, celui de la mobilisation unie en défense des droits, garanties, salaires, pour la victoire des revendications vitales des travailleurs et de la population pauvre, en France et dans toute l'Europe. Un séisme contre l'Europe capitaliste scellées à Maastricht-Amsterdam. Sous ce rapport, on comprend mieux la morgue d'un Rocard qui dit "ne pas respecter ceux qui ne sont pas pour le oui" et la panique qui s'empare des Hollande, Aubry et Jospin devant tout ce qui pourrait menacer de près ou de loin, aujourd'hui et plus tard, les "grands équilibres" de cet ordre bourgeois, capitaliste auquel ils ont lié leur sort.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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