Fracture politique irréductible
La situation semble paradoxale. En effet, rarement un pouvoir n’a été aussi isolé et faible. Ceci étant, ses mesures lui donnent l’allure d’un gouvernement inflexible. Autre paradoxe apparent : le régime usé jusqu’à la corde, en proie à toutes les crises, donne en même temps l’apparence d’un système d’institutions inamovibles. Le Président le moins charismatique de cette fausse République parvient à imposer à sa « majorité » un gouvernement qui mine ses propres bastions.
En apparence, c’est la paix sociale. Comme si les salariés et les chômeurs étaient habités par la résignation. Comme s’ils étaient atomisés et réduits à une poussière d’individus. Comme si le pays entrait en léthargie. Ainsi la loi Macron est « passée » sans heurt direct, sans que ce passage en force, (par le biais de l’article 49-ter), ne suscite manifestations et grèves massives. Ce qui soulève une question simple : qui a appelé à manifester pour le retrait de cette loi ? La CGT, FO et Solidaires ? Non. Mélenchon ? Non. Le Front de gauche ? A l’inverse, l’unité des travailleurs et de leurs organisations syndicales à l’AP HP a imposé, pour l’heure, le retrait du projet Hirsch de réorganisation du temps de travail. A l’appel de toutes leurs organisations syndicales, les travailleurs hospitaliers se sont engagés dans une mobilisation massive et compacte.
La responsabilité écrasante des directions syndicales et politiques
A y regarder de plus près, ce sont les organisations syndicales qui, au plus haut niveau, sont paralysées … par les sommets de leurs appareils. A y regarder encore de plus près, cette paralysie est orchestrée par le Front de gauche et ses différentes composantes. A y regarder toujours plus près, les appareils de ces organisations ne sont pas inactifs : à la SNCF, ils négocient la future convention collective qui, dans un premier temps, va abroger la réglementation du temps de travail des cheminots, et dans un second temps, va dynamiter leur Statut. Et, ce, en couvrant leur compromission de jérémiades pathétiques. Sud Rail a été aux avant-postes de ces négociations contre-nature. Et les représentants syndicaux SNCF ont commencé à en discuter le cadre, en bons « partenaires sociaux » dès avant le vote de la réforme ferroviaire, quand toute convention collective était encore proscrite à la SNCF ( !!!). Mais, la grève de l’an dernier n’a pas eu lieu en vain. Elle préfigure une nouvelle levée en masse dès que les « partenaires sociaux » annonceront une nouvelle réglementation du temps de travail, alignée sur le privé. Il n’est absolument pas dit que cette fois, les appareils bureaucratiques, flanqués comme d’habitude du NPA parviendront à contenir la vague.
En fait, les perspectives du gouvernement et de ses soutiens sont de plus en plus sombres : la courbe du chômage ne s’inverse pas en dépit de toutes les chausse-trappes : contrats de professionnalisation, contrats d’avenir, alternance études-entreprises, contrats d’apprentissages préparant à des « licences professionnelles », CDD divers et variés, formules d’intérim multiples, incitations aux « autoentreprises. » Rien n’ y fait, pas plus que les radiations de chômeurs, pas plus que les mesures d’exonérations de « charges sociales » en faveur des entreprises. Même en développant à l’infini les formules de travail précaire et à temps partiel, ce gouvernement ne peut contenir la hausse du chômage. Il est donc en échec au regard de ses propres objectifs et en dépit de la « baisse du coût du travail » via le CICE et via le démantèlement du Code du travail.
L’échec de la tentative d’Union nationale
Autre échec patent : la tentative de sceller l’Unité nationale au lendemain des attentats meurtriers du début du mois de Janvier. Les manifestations monstres du 11 janvier n’y ont rien fait. D’autant qu’à l’analyse, celle qu’a livré Emmanuel Todd, la base sociale de ces manifestations n’était pas ouvrière et populaire. Très vite, après l’émotion et l’indignation légitimes soulevées par ces exécutions barbares, la population laborieuse a pris du recul. Ainsi, aux élections départementales, l’abstention a frappé très fort, manifestant clairement la fracture politique annonciatrice de l’explosion sociale. Les abstentions, extrêmement massive « à gauche », ont infligé un sérieux revers au gouvernement et à ses soutiens, entachant toute légitimité de l’exécutif et minant la représentativité réelle des partis institutionnels, FN inclus. Le congrès du PS en a donné l’illustration en révélant au grand jour qu’en moins de trois ans, cette formation a perdu 60% de ses militants et adhérents. Même le clientélisme de ce parti ne paie plus. Combien avaient rejoint le PS en échange de la promesse d’un logement ou d’un emploi dans la Fonction publique territoriale ?
Quant à la majorité parlementaire, il aura fallu recourir à l’article 49-3 à deux reprises pour la mettre au garde-à-vous. Le message est simple : « si vous contestez notre politique et nos lois antisociales, ce sera le FN qui se chargera de les mettre en œuvre » disent en substance les hommes de Valls. Ultime chantage à la dissolution de l’Assemblée nationale dans la perspective d’une catastrophe électorale supplémentaire...
Une crise qui ne profite à personne
Sur le fond, la crise politique réside en ceci que l’affaiblissement du gouvernement ne profite pas à la droite officielle. De ce point de vue, le changement d’appellation contrôlée de l’UMP, outre son aspect manœuvrier ne traduit rien d’autre que l’adaptation à la décomposition de cette formation. Un « combat des chefs » s’y prépare à l’approche des présidentielles, à la suite de la presque-scission qu’il a subie en novembre 2012, dont l’un des protagonistes, Copé, a été mis hors d’état de nuire et l’autre, Fillon, sur la touche. Les destins politiques sont vites brisés de nos jours.
Cette crise politique « systémique » ne profite pas davantage au « Front de gauche » et à la dite « gauche radicale ». Le Front de gauche est, au mieux, un panier de crabe.
Quand Mélenchon rend hommage à Pasqua
Mélenchon s’y est encore distingué en rendant un hommage posthume au sinistre Charles Pasqua : « Dans ma génération, son souvenir est surchargé par la mort de Malik Oussekine. ». [Étudiant mort sous les coups de CRS chargeant en moto, lors de la manifestation du 6 décembre 1986. Pasqua est alors ministre de l’Intérieur]. Qu’est-ce à dire ? Qu’il aurait peut-être fallu relativiser, puisque selon Mélenchon, Pasqua était un « républicain qui n’avait pas peur » … Ah, bien sûr, ils ont été très courageux à l’Assemblée nationale, les députés PCF en votant la motion de censure à la suite du « 49-3 ». D’autant plus qu’elle n’avait aucune chance de passer, l’addition des voix de droite et du FdG ne faisant pas le compte. Souvenons-nous qu’en 1991, lorsque le gouvernement Mitterrand- Rocard avait eu recours au 49.3 pour imposer la CSG, les députés PCF s’étaient prudemment abstenus pour ne pas, disaient-ils, mêler leurs voix à la droite. Or, le PS n’ayant pas à lui seul la majorité à l’époque, le vote conjoint de la motion de censure par les députés PCF et la droite aurait fait tomber le gouvernement et, ainsi même, la loi instaurant la CSG.
Le FN aussi en crise
Cette crise politique ne profite pas davantage au FN. Elle n’a pas manqué de se répercuter, de plein fouet, au sein de ce conglomérat xénophobe hybride qui s’est déchiré en direct lors de sa manifestation nationale du 1er mai (moins de 3000 participants !). Bien sûr, les journalistes et analystes bien inspirés ou autres anticapitalistes de pacotille répéteront en boucle que le FN monte de plus en plus, qu’un danger fasciste se profile toujours plus nettement. Et qu’importe l’éviction de son fondateur. Qu’importe l’épuration interne entreprise par la fille Le Pen pour normaliser cette formation politique. Et la rendre « présentable ». Ce ne seraient que vétilles et faux-semblants.. Le FN, il est vrai, s’est enraciné et correspond à une base sociale essentiellement rurale, de petites gens des villes et des campagnes, de professions libérales provinciales déstabilisés par la crise et pour l’essentiel écœurées par la décomposition de l’UMP-LR. Cette base sociale petite-bourgeoise n’est pas prête pour les retraites aux flambeaux, ni pour la réhabilitation du Maréchal Pétain, ni pour la négation des chambres à gaz, ni pour être lancée dans des ratonnades. Dans le même temps, ce parti voit ses thèmes anti-immigrés et islamophobes pillés par Sarkozy, Estrosi, mais également Valls. Lequel a franchi un nouveau palier dans sa propre radicalisation à droite en se lançant, tel un croisé, dans « la guerre des civilisations ».
La collision est proche
Un gouvernement faible a besoin de se forger des démons, des ennemis intérieurs, il a besoin de diviser à l’infini pour régner encore. Il a beau se débattre : il n’y a pas d’issue à la crise du sommet et du système d’institutions politiques dans le cadre du régime bonapartiste bâtard de la Vème République, pas de mutation possible ou de replâtrage possible de ce régime, et encore moins de régime de rechange tout prêt. La sensation de vide est abyssale. Du vertige à la chute, il n’y a qu’un pas.
Ainsi, et c’est une loi en politique : lorsqu’un régime se meurt, lorsque la crise politique et la crise sociale se combinent pour former un « couple de forces » explosives, la situation devient alors révolutionnaire, elle tend de toutes ses forces vers la révolution. Nous sommes entrés non dans un cercle vicieux mais dans une spirale, « laquelle, comme celle des planètes, doit atteindre sa fin en entrant en collision avec le centre » [Selon la formule de F. Engels dans : https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopi-3.htm - Socialisme utopique et socialisme scientifique.].
En 1935, quelques mois avant la grève générale en France, lorsque les staliniens mesuraient de façon purement quantitative le « rapport des forces » pour dire que la situation n’est pas révolutionnaire, Trotsky prévenait : « il n’y aura d’inattendu que le moment ».
Daniel Petri,
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