Faits divers et crise de Régime

Chronique d'une fin de régimeUne infirmière décapitée, une aide-soignante égorgée, toutes deux mères de famille, tuées en service à 40 ans ... Les " faits divers ", disait Trotsky, sont des exemples marquants de la vie qu'on mène. Ainsi, le massacre perpétré le 17 décembre dans le service de gériatrie de l'hôpital psychiatrique de Pau révèle tout à coup la tragique pauvreté de moyens dans laquelle gît la psychiatrie en France, pendant que, emportés dans le tourbillon des intrigues, des ambitions personnelles et des petites manoeuvres, les hommes politiques restent indifférents aux conséquences de leurs " réformes " successives.Deux semaines avant cet effroyable crime, un article paru dans Le Monde révélait que " selon la première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison, huit hommes incarcérés sur dix présentent une pathologie psychiatrique. Pour près de 10 % d'entre eux, il s'agirait d'une schizophrénie. " Cette étude n'avait pas fait bouger le ministre Douste-Blazy d'un millimètre. N'en disait-elle pas assez long sur l'état de la psychiatrie en France et sur les graves dangers que recèle le rationnement toujours plus poussé des soins psychologiques ? Il aura donc fallu l'onde de choc créée par le " fait divers " de l'hôpital de Pau dans tous les média pour que le ministre concerné se force à ne plus être indifférent au sort du secteur hospitalier psychiatrique. l'émotion que soulève ce double meurtre dans la population contraint Douste-Blazy à annoncer un moratoire sur les fermetures de lits. Mais cette annonce est, encore une fois, un tour de passe-passe, car ce moratoire ne sera même pas assorti de crédits supplémentaires. Alors, comme le souligne un article paru dans Le canard enchaîné (édition du 22/12), " on enlève un pansement à Paul pour faire une camisole à Pierre ", car l'argent chichement consenti à ce secteur particulièrement sinistré qu'est la psychiatrie en France sera pris, soyons-en sûrs, sur les crédits affectés à d'autres spécialités de la médecine. Une fois cet effet d'annonce passé, le manque de personnel dans les hôpitaux psychiatriques et les restrictions de places d'étudiants en fac de médecine continueront à faire des ravages dans tous les hôpitaux en général et dans les services psychiatriques en particulier. Les souffrances mentales continueront à s'alourdir dans la population, faute de soins, faute de moyens, de lits, de bras. Mais, au fait, on oublierait presque que le ci-devant ministre de la canicule, Mattei, lui, ne pointera pas de sitôt à l'ANPE, car le voici nommé Président de la Croix Rouge. On prend les mêmes et on continue, de plus belle !

Haro sur le baudet !

Et, le mardi 21 décembre, le " miracle " se produit enfin : les deux journalistes retenus en otage en Irak depuis plus de cent jours sont libérés, d'un seul coup, on ne sait trop comment. Officiellement, cela tient au savoir-faire professionnel des services secrets. Mais aussitôt rebondit l'affaire Julia, du nom du député chiraquien qui avait monté une expédition pour libérer Georges Malbrunot et Christian Chesnot, laquelle équipée s'était soldée par un fiasco. Le gouvernement, Michel Barnier, ministre des Affaires étranges, en tête, a décidé de poursuivre ces imposteurs. Imposteurs qui, ne l'oublions pas, n'auraient pas pu tenter d'opérer en Irak et de mener leur esbroufe sans l'accord préalable de l'Élysée et de Matignon. Et voilà ces pieds nickelés accusés, outre d'avoir mis en danger la vie d'autrui, d'" intelligence avec l'ennemi ". A priori, on ne comprend pas ce soudain acharnement gouvernemental contre cette expédition manquée au moment où, semble-t-il, " tout est bien qui finit bien ", puisque les journalistes sont sains et saufs. Évidemment, n'ayant rien à perdre à 77 ans et ayant cotisé quarante ans à la caisse de retraite des parlementaires, Didier Julia se défend en protestant qu'on veut lui faire jouer le rôle de bouc émissaire pour mieux masquer l'incurie du ministre Barnier, qui a mis quatre mois à obtenir la libération des deux journalistes ... Mais le hic est ailleurs : Julia et ses amis, parmi lesquels on trouve l'ancien garde du corps de Gollnisch, le second couteau du FN, ont utilisé les bons offices de ... Laurent Gbagbo, le président ivoirien. Seulement voilà, Gbagbo est devenu " l'ennemi " ! Entre le moment de l'échec de l'opération montée par Julia et le soir de la libération des deux otages, l'eau a coulé vite sous les ponts, aujourd'hui coupés entre " la France " et le gouvernement de la Côte d'Ivoire.

La main tendue au PS

N'empêche que, pendant quelques jours, la crise politique suspendait son vol. Entre Chirac et Sarkozy, un modus vivendi semblait s'établir, en dépit certes de quelques anicroches sur le cas de l'adhésion de la Turquie à l'UE ... dans quinze ans ! Et si l'autorité de Chirac dans son propre parti n'était pas totalement restaurée à la veille de Noël, elle paraissait au moins replâtrée et consolidée de surcroît par l'appel du PS à voter oui au référendum sur la Constitution européenne. D'ailleurs, tout le discours susurré par le chef de l'État lors de ses voeux télévisés est comme une main tendue au PS. Chirac répète les mots-clés des jolis discours de gauche - solidarité, paix, justice sociale, fraternité - comme s'il voulait s'assurer que chaque sympathisant du PS mettra bien, le jour venu, un bulletin " oui " dans l'urne ; comme si, affaibli parmi les siens, il entendait prendre plus directement appui sur le PS pour garder l'équilibre à la tête de l'État et s'élever ainsi " au dessus des clans ". Mais Chirac n'a pas le temps de monter sur son cheval car, à peine les cérémonies protocolaires du nouvel an terminées, Sarkozy, lui, repart au galop.

Sarkozy, le bras d'honneur

Tout d'abord, comme le notait l'Humanité le 14 décembre, " il n'a fallu que deux semaines à l'ancien ministre de l'Économie pour jeter les bases d'une prise totale de contrôle de l'appareil UMP ". Ainsi, le secrétaire général délégué est un ami de longue date de Sarkozy, et le chef de cabinet du président de l'UMP n'est autre que Cécilia Sarkozy. De plus, dans chaque région, Sarkozy place ses délégués régionaux, nommés par lui, pour influer sur les fédérations qui doivent élire prochainement leurs représentants au conseil national du " mouvement ". Présentant ses voeux à la presse le jeudi 13 janvier, après quelques semaines de répit, Sarkozy a repris dare-dare son offensive contre Chirac, sur tout ce qui peut fâcher : refus à peine voilé de l'adhésion de la Turquie à l'UE, politique d'immigration " à l'américaine ", mais aussi quelques objections à la baisse des impôts envisagée par Raffarin.

Debré brandit le spectre d'une " crise de régime "

Mais la question sur laquelle Sarkozy amorce une véritable rupture est celle de savoir comment sera désigné le candidat aux prochaines présidentielles. Sarkozy propose en effet ni plus ni moins la mise en place d'élections primaires pour désigner le candidat qui portera les couleurs de l'UMP. Ce qui provoque aussi sec la plus vive réaction de Jean-Louis Debré, qui considère cette proposition de Sarkozy comme " totalement contraire à la tradition de la Ve République ". À propos de Jean-Louis Debré, Le Monde écrit dans son édition du 15 janvier : " " l'élection présidentielle, c'est une rencontre entre un homme et les Français, pas une affaire de partis politiques ", a-t-il encore indiqué. N'hésitant pas à brandir le spectre d'une " crise de régime ", il a expliqué que le président de l'UMP " est dans une logique d'affrontement qui risque de mettre en cause l'équilibre du gouvernement " ". Effectivement, la proposition de Sarkozy est bel et bien une " hérésie ", antinomique avec la Ve République, puisque l'idée fondatrice de la Ve République réside précisément dans la toute-puissance du Chef de l'État, qui ne doit en aucun cas dépendre d'un parti politique - et encore moins d'une faction au sein de ce parti - mais pouvoir au contraire en disposer comme d'un " godillot ", comme d'une " société " à sa botte dont les membres lui font acte d'allégeance. Ainsi, placé au dessus de son propre parti auquel il ne doit rien et qui lui doit tout, le chef de l'État peut s'élever au dessus de tous les partis et au dessus de la classe dirigeante dont il est le représentant et paraître comme " au dessus de la nation ", incarnant son " unité ". Mais Jean-Louis Debré a beau dire, la tradition de la Ve République a du plomb dans l'aile car, dans les faits, le Chef de l'État en chair et en os qu'est Chirac ne dispose plus de son parti à sa guise. Il n'a rien du chef incontesté de sa propre " majorité " et ne doit aujourd'hui son salut qu'au PS, au PC et aux directions syndicales, qui font tout ce qu'ils peuvent pour aider le gouvernement à faire passer ses " réformes " contre la santé, les retraites, les services publics et le logements social. Ainsi commence une " crise de régime ".
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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