Crises et chuchotements

Chronique d'une fin de RégimeJeudi 5 octobre : un cheminot de 32 ans, célibataire, est tué en service par une manoeuvre de refoulement d'un train à Contrexéville. Le même jour, un homme tue son fils de 8 ans puis se suicide à Reichstett (Bas-Rhin). Il avait dû vendre son restaurant et s'enfonçait dans la déchéance sans fin. Au même moment, deux grévistes de la faim de Cachan sont hospitalisés et les médecins craignent des séquelles neurologiques irréversibles après 42 jours sans se nourrir. Ce sont là bien plus que des faits divers.Plus spectaculaire, l'opération policière " portes ouvertes " menée à l'heure du laitier à la cité des musiciens des Mureaux (Yvelines) pour interpeller les instigateurs des affrontements de 250 jeunes de cette cité avec la police, trois jours plus tôt. Une centaine de policiers auront été requis pour interpeller une seule personne, sans oublier la nuée de journalistes et photographes qui ont suivi cette opération.

Les magistrats sur le banc des accusés

l'explosion aux Mureaux survient quelques jours après la polémique qui a opposé le ministre de l'Intérieur à toute la magistrature, lorsque Sarkozy a accusé les magistrats de Bobigny de laxisme vis-à-vis des jeunes mis en examen à la suite des émeutes des banlieues de novembre-décembre 2005. À l'origine de cette incursion du ministre-candidat dans le domaine de la Justice, il y a le courrier que lui adresse le Préfet de la Seine-Saint-Denis, Jean-François Cordet, qui fait état de l'augmentation nette et brutale de la délinquance dans ce département. Il n'y est pas seulement question des " réponses judiciaires " qui ne sont " pas à la hauteur " et " du dogmatisme dont peut faire preuve le Juge des enfants dans ce département " [parce que ce magistrat ne semble pas d'accord pour écrouer les mineurs délinquants et se réfère " dogmatiquement " à l'ordonnance de 1945 qui dit que le mineur délinquant est une personne en danger que la société doit protéger, NdlR].

Délinquance et " mixité sociale " dans le 93

Le Préfet du 93 fait état dans cette note à Sarkozy de la crise larvée de la police alimentée par la baisse des effectifs des gardiens de la paix depuis 2002, qu'exprime la tension entre CRS et policiers, " chacun tentant de reporter sur l'autre l'inefficacité des mesures de sécurité ". Et, à la fin de ce courrier, il note : " Les grandes entreprises que l'on voit s'installer au sud de Saint-Denis ou d'Aubervilliers ou dans d'autres communes jouxtant le périphérique, la reconquête dans ces mêmes lieux de l'habitat par les classes moyennes conduisent à une confrontation permanente entre l'aisance des uns et la pauvreté des autres. l'uniformité sociale et économique de la Seine-Saint-Denis, telle qu'elle existait après guerre, est en train d'exploser. Les écarts se creusent, les envies s'exacerbent ". Ainsi donc, la mixité sociale, qui sert d'alibi aux municipalités PS-PCF de proche banlieue pour inciter les familles en difficulté à habiter ailleurs, toujours plus loin de Paris, en gelant la construction de logements sociaux et qui était en même temps présentée comme un remède à la délinquance dans les cités, est identifiée par ce Préfet comme un facteur d'aggravation de la délinquance. Au demeurant, il n'était pas nécessaire d'être devin pour le comprendre. Mais Sarkozy, pour les besoins de sa cause et de son ambition, se devait de parer au plus pressé : ne pas endosser la responsabilité de la hausse de la délinquance, blanchir la police et trouver un bouc-émissaire dans une Justice jugée trop tendre à l'égard des mineurs délinquants et leurs familles.

Crise multiple

Crise de la police, crise entre la Justice et le ministère de l'Intérieur, crise au sein de l'exécutif ; tel est le cadre dans lequel s'engage la campagne pour les élections présidentielles qui auront lieu dans six mois.

Rappelons à titre d'illustration l'appréciation que porte François Fillon, un des lieutenants (et postulant au poste de Premier ministre) de Sarkozy, accusant Chirac de " porter une responsabilité sérieuse dans le décrochage économique et social de la France et dans cette crise qui menace désormais tout l'édifice institutionnel bâti par le général De Gaulle ".

Engagé sous le mot d'ordre de la " rupture " avec ce qu'on appelle le " modèle social français " que déterminent les conquêtes ouvrières de 1936 et 1945 et les droits démocratiques qui les accompagnent, Sarkozy doit répondre devant un électorat potentiel de l'UMP qui, selon un sondage publié dans le Parisien le 25 septembre, craint cette " rupture " car, encore une fois, elle ne correspond pas au rapport de forces véritable entre les classes sociales. La " rupture ", vue de droite, c'est la contre-révolution. Face à cette perspective se dresse le spectre de 1995 et de 1968, c'est-à-dire de la lutte des classes directe, dont la mobilisation victorieuse de la jeunesse contre le CPE et la victoire du non contre la Constitution européenne sont plus que des signes annonciateurs. D'où la prudence des chiraquiens face aux rodomontades de Sarkozy contre les régimes spéciaux de retraite qui garantissent encore une retraite à taux plein sur la base de 37,5 années de cotisations, à la SNCF, dans la marine marchande, etc. En même temps, du strict point de vue des cercles dirigeants du capital financier, faire la peau aux régimes spéciaux est une nécessité urgente. C'est le préalable nécessaire à l'ouverture du capital de la SNCF ou des entreprises qui naîtront de son démantèlement programmé. Mais, à l'autre pôle, il y a le point de vue des masses : la retraite à 55 ans favorise nettement les embauches massives de chômeurs. Par ailleurs, le dynamitage des régimes spéciaux serait propice au passage de 42 à 45 années de cotisations dans le régime général et au départ à la retraite à 65 ou 67 ans. Aussi bien, les tentatives d'opposer comme " privilégiés " les cheminots aux autres salariés risquent de provoquer, comme en 95, le résultat inverse. Ennemis jurés de Sarkozy, les chiraquiens opposent à la " rupture ", le " changement en douceur " concerté avec les " partenaires sociaux ", en faisant jouer aux syndicats, si possible, le rôle d'accompagnateurs de la liquidation des acquis ouvriers s'intégrant de plus en plus aux rouages de l'État et des entreprises capitalistes.

Un tombereau d'amendements

À cette étape, la politique des directions syndicales a permis au gouvernement d'arracher la privatisation de GDF, dans la voie tracée par Jospin lorsqu'il a ouvert le capital d'Air France, avec son ministre PCF des transports Gayssot, et le capital de France Télécom. La politique des directions syndicales reste fidèle à elle-même : empêcher coûte que coûte la grève totale jusqu'au retrait des projets de privatisations, restructurations et suppressions d'emplois et, en l'occurrence, la grève totale des électriciens et gaziers, disponibles pour défendre le service public et son monopole qui le soustrait à la concurrence et au critère de rentabilité capitaliste, le fondant sur l'accroissement des besoins de la population. Cette politique des directions syndicales repose sur le double langage qui lui permet de louvoyer, en déclarant platoniquement son opposition au plan de privatisation ou de restructuration ou de fusion, tout en cherchant à négocier des " contreparties " pour ne pas sortir bredouille d'une suite de journées d'action tronçonnées, sans lendemain.

Pendant ce temps-là, la gauche parlementaire dépose un tombereau d'amendements, faisant croire ainsi qu'elle va retarder le moment fatidique de l'adoption de la loi scélérate de privatisation de GDF, qui n'est pourtant ni amendable ni négociable. Sous couvert de ruses parlementaires pour " gagner du temps ", la gauche cherche à aménager cette loi, pour une " bonne privatisation " de GDF. Voilà le fond des amendements. Là encore, duplicité. Double langage pour un seul jeu, toujours le même : la participation " loyale " à la mise en oeuvre des plans capitalistes dénoncés les jours de fêtes et lors des veillées électorales et appliqués au lendemain au nom de la " culture de gouvernement ".

Les salariés ne sont pas amnésiques

Les salariés ne sont pas amnésiques, ils n'ont pas oublié la période 1997-2002, quand Jospin privatisait à tour de bras, refusait d'abroger la loi Pasqua anti-immigrés, donnait le feu vert à la fermeture de Renault Vilvorde et aux charrettes de licenciements chez Danone, Michelin, Air-Liberté. Ils se souviennent de l'arnaque des soi-disant 35 heures, tournées contre le pouvoir d'achat et les conventions collectives, taillées sur mesure pour l'annualisation du temps de travail, la flexibilité, les gains de productivité via la modulation des horaires selon les variations de la charge de travail.

Aujourd'hui, des milliers de suppressions d'emplois sont annoncées chez Peugeot-Citroën et Airbus. Qui va prendre la parole pour dire, haut et clair : ces suppressions de postes doivent être purement et simplement annulées ? Pour l'heure, le PS est tout entier tendu vers la nomination de son candidat aux présidentielles. Jospin et Lang se sont défaussés, comme Hollande. Restent en lice, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Tout dernièrement, Ségolène Royal s'est prononcée contre les régularisations massives de sans-papiers, DSK a déclaré qu'il fallait dynamiter les universités et leur permettre d'être subventionnées par les entreprises. Voici les premiers éléments du programme véritable du PS, devant lequel Fabius, l'homme aux mains rouges du sang contaminé, ne fait que bredouiller. Ce spectacle souvent grotesque conforte salariés, jeunes et retraités dans l'idée que plus personne ne les représente.
Modifié le mardi 10 octobre 2006
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