Crise du logement à Bercy

Chronique d'une fin de régimeParis, 23 heures, -5° C. Ils dorment dehors ... C'est ce que décrit, le 22 février, un quotidien, qui nous livre des portraits de femmes et d'hommes qui n'ont pas de toit, comme cet Algérien de 77 ans qui a travaillé 37 années ou comme cet enfant de la DDASS qui est à la rue depuis l'âge de 19 ans ... Pendant que Raffarin glose sur la " positive attitude " ; pendant qu'un ministre d'État s'empêtre dans des explications truffées de mensonges à propos des 600 m² qu'il occupait dans le VIIIe arrondissement de Paris.Ils sont des centaines à dormir dans les rues de Paris. Ce ne sont plus les clochards d'antan. Ce ne sont plus tout à fait les " nouveaux pauvres " que la société découvrait il y a vingt ans. Nombre d'entre eux sont d'anciens salariés parfois hautement qualifiés, laminés par le chômage, et près d'un tiers de ces personnes sans toit travaillent, au Smic ou par intermittence, dans le bâtiment ou dans la restauration.

Harcèlement familial

Et maintenant, il faudrait prendre en pitié ce ministre qui aurait " courageusement " démissionné et dont la famille aurait été, selon ses dires, "soumise à un véritable harcèlement " depuis le 15 février, lorsqu'un vilain petit Canard fit état de son loyer mensuel de 14 000 €, payé par l'État, pour une surface moyenne de 60 m² par personne (le couple et ses huit enfants). Harcèlement d'une famille, a-t-il dit ? Cet ignorant de la vie, fervent catholique lié aux milieux anti-avortement, peut-il seulement imaginer ce qu'est le vrai harcèlement des familles, lorsque l'huissier leur envoie un commandement les engageant à " quitter les lieux " parce qu'elles ont une dette de loyer ou parce que le propriétaire de leur logement veut vendre son patrimoine ?

" Un exécutif qui a tous les pouvoirs "

À l'occasion, qui fait le larron, l'inévitable Sarkozy ne manquera pas de mettre les pieds dans le plat à propos de cette affaire dans laquelle son successeur à Bercy, Hervé Gaymard, est tombé, un peu comme on tombe dans une béchamel infernale. " Les Français, confrontés à des difficultés quotidiennes, peuvent juger avec une certaine sévérité ce qui se passe " persifle le chef de l'UMP. Et, d'après un envoyé spécial de France-Info, Sarkozy aurait demandé à un ouvrier qu'il a croisé dans le sillage de sa tournée à Tarbes (le 24 février), dans combien de mètres carrés il était logé et à quel montant se chiffrait son loyer. Non sans une pointe de perfidie. Quant à Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée Nationale, il estime que cette affaire met en relief "un exécutif qui a tous les pouvoirs et ne fait l'objet d'aucun contrôle ". Pour sûr, l'affaire Gaymard, à sa façon, souligne les traits les plus ubuesques du Régime bonapartiste bâtard qu'est la Ve République agonisante.
Ce qui frappe l'entendement, ce n'est pas l'affaire en elle-même, car la Ve République est la République des affaires et du mensonge, mais bien plutôt la rapidité fébrile de son dénouement et l'ambiance de panique dans laquelle elle s'est consumée. À telle enseigne que Gaymard aura déménagé, fissa, de son beau duplex, le lendemain même des premières révélations du Canard et été débarqué en moins de quinze jours. Tout s'accélère.
Dans l'intervalle, Raffarin aura réglementé le luxe corrupteur que l'État doit, en toute légalité, c'est-à-dire en toute impunité, aux plus grands administrateurs des affaires de la bourgeoisie que sont les ministres : 80 m² pour un ministre auxquels s'ajoutent 20 m² par enfant. De quoi laisser rêveuses les mères de familles confinées, avec leurs proches, à 5 ou 6 dans les 15 m² d'une chambre d'hôtel meublé, dans l'attente angoissée et désespérante d'un F4 dans une cité HLM ... menacée de démolition par Borloo !

Un gouvernement maintenu en vie artificiellement

l'affaire Gaymard est la forme sous laquelle vient de se manifester la crise de tout un Régime, celle du mode de domination actuel de la bourgeoisie en France. Cette crise du gouvernement et des institutions s'exprime au travers des affaires, des heurts, des frictions de plus en plus débridées au sein même de cette " majorité " censée s'ordonner autour d'un chef de l'État arbitre, garant de la cohésion nationale et de la cohésion sociale autour de l'axe des réformes capitalistes. Or, le chef de l'État doit faire face à celui de son propre parti, Sarkozy, et faire avec un gouvernement dont le premier des ministres, Raffarin, fait figure d'ectoplasme et dont le second, Hervé Gaymard, ministre de l'Économie, vient, paraît-il, d'être victime d'un " lynchage orchestré et entretenu" d'après le député UMP Yves Censi.
La crise chronique des relations au sein de la " majorité " gouvernementale, les affaires montrant la corruption des hommes d'État et leur propension à mentir éhontément, sont autant de facteurs de la décomposition des institutions réactionnaires de l'État. Ces dérèglements de la vie politique au sommet s'accentuent et s'accélèrent parce que le maintien en place des institutions de la Ve République et du gouvernement Chirac-Raffarin est en totale contradiction avec les rapports de force réels entre les classes sociales. La base sociale du gouvernement et du Régime de la Ve République est plus que rabougrie, à tel point que l'UMP a rassemblé 7 % des inscrits lors des dernières élections européennes.
Soyons plus précis : ces institutions et ce gouvernement sont maintenus artificiellement en vie uniquement grâce au rôle que jouent les chefs de la " gauche " et les directions centrales des organisations syndicales, acquis aux " réformes " destinées à liquider la position acquise par la classe ouvrière dans la société bourgeoise (niveau de vie, sécurité sociale, services publics, etc.). Quotidiennement, systématiquement, ces directions du PC, du PS et des confédérations syndicales entravent le libre développement de la résistance des masses et de leur action de classe pour les revendications les plus urgentes dans la voie du " tous ensemble ".

Grèves spontanées

On vient de le vivre, l'affaire Gaymard est la forme qu'a prise l'accélération de la crise politique des institutions au sommet, et ce n'est pas un pur hasard si cet imbroglio se produit au moment où s'accélère, en bas, la résistance des masses.
Grève des contrôleurs totalement spontanée à la suite du viol d'une cheminote, quelques jours après trois journées d'action fragmentées, à la Poste, à la SNCF, dans la Fonction publique, montrant, sur ce terrain déformé et miné, que la combativité des masses était restée intacte après les grèves trahies (mais non défaites) de mai-juin 2003. Tout s'enchaîne. Grèves des guichetiers en gare de Lyon pendant plusieurs jours, grèves dans plusieurs autres sites ferroviaires, et notamment les roulants du dépôt de Villeneuve-Saint-Georges, grève totale des postiers de Pau pendant 35 jours pour le maintien des tournées, grève sur les pistes à Orly à la suite d'un accident du travail mortel ... Cela semble encore moléculaire, mais la liste des grèves imposées par la base s'allonge chaque jour. Et, sur ces entrefaites, surgit la formidable mobilisation lycéenne qui contraint le gouvernement à retirer une partie de sa réforme de l'enseignement, tout en cherchant à faire passer l'essentiel du projet en violant le parlement, par la procédure antidémocratique d'urgence. Pour sauver sa réforme, le gouvernement doit empiéter sur les maigres prérogatives du Parlement, montrant ainsi l'incapacité chronique du Régime à s'ouvrir en donnant plus de place à l'activité parlementaire. Mais rien ne semble pouvoir arrêter la lutte massive des lycéens. Au-delà, dans le cadre des rapports actuels entre les classes, la Ve République ne peut ni se durcir à froid (en devenant une dictature plus directe), ni s'ouvrir (en devenant un système dit " parlementaire " où il y aurait une séparation des pouvoirs entre le gouvernement et le Parlement, conférant un " pouvoir législatif " un tant soit peu conséquent à ce dernier). La seule issue pour la Ve République réside dans l'intégration toujours plus poussée des syndicats à l'État, ses rouages et institutions. Tel est le prix de la cohésion sociale du Régime sans lequel il ne peut retrouver, chemin faisant, sa cohésion politique.

Le non du CCN de la CGT

Or, la marche vers l'intégration à l'État de la principale centrale ouvrière, la CGT, vient d'être subitement stoppée, le 3 février, à l'occasion de la réunion de son Comité Confédéral National (CCN). Et comment ! Le CCN a carrément et pour la première fois désavoué la direction centrale de la CGT et son secrétaire général en lui imposant, à une écrasante majorité de cadres intermédiaires des syndicats et des unions départementales, le non au référendum sur le traité constitutionnel de l'UE, contre lequel le bureau confédéral s'était arc-bouté sous le fallacieux couvert de l'" indépendance syndicale ". C'est un premier coup d'arrêt porté à l'orientation vers l'intégration de la CGT à l'État incarnée par Thibault - Le Duigou - Dumas. Rappelons entre autres que Le Duigou est, par ailleurs, un membre éminent du club " Confrontations " ; club qui est partie prenante de l'association " Tous ensemble pour le oui " dont le principal animateur est le ministre Michel Barnier [sources : Le Canard Enchaîné du 09/02/05]. Nul doute que les grèves et mobilisations qui se sont déclarées les jours précédents ont pesé dans la balance pour faire pencher massivement la CGT du côté d'un vote de rupture avec l'UE et avec la Confédération Européenne des Syndicats, acquise au oui. Par effet de retour, la position de la CGT entraîne aussitôt une montée de plus en plus nette du non dans les sondages qui, à son tour, nourrit le mouvement pour le tous ensemble. Tout se tient.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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