Cris et toussotements

Chronique d'une fin de régimeLes événements s'accélérant, on en oublierait presque, en cette fin du mois d'octobre, l'équipée sauvage montée, en franc-tireur, par le député UMP Didier Julia. Illustre inconnu avant d'être celui par qui un énième scandale de la Vème République est arrivé. Qui est-il ? Député de la Seine-et-Marne depuis 1967 sans interruption, Julia est membre des groupes d'amitié ou des groupes d'études à vocation internationale entre la France et les pays suivants : Arabie saoudite, Cameroun, États-Unis, Iran, Palestine, Syrie, Zambie. Il est aussi Vice-Président du groupe d'études à vocation internationale sur la Libye et enfin Vice-Président du groupe d'études à vocation internationale sur les problèmes de la République d'Irak. C'est un pur produit de cette bande d'hommes à tout faire, parlementaires le jour et barbouzes la nuit, qu'a toujours été l'encadrement du mouvement gaulliste d'hier et d'aujourd'hui. à 70 ans, il s'est senti encore assez vaillant pour monter une équipe " ad hoc " en vue d'obtenir la libération des deux journalistes français otages en Irak et de leur chauffeur syrien.

La République des pieds nickelés

Qui compose cette équipe " paral­lèle " ? On y trouve, pêle-mêle, un ancien directeur à l'Unesco, Bruno Carnez, un professeur d'histoire à la Sorbonne, Philippe Evano, qui est un ancien des " réseaux Foccart ", un ex-commando de marine, pilote d'hélicoptère et nageur de combat, Philippe Brett, recyclé dans le privé comme garde du corps, entre 1997 et 1998 auprès de Bruno Gollnisch, le numéro deux du Front National. Philippe Brett a par ailleurs été, en 2000, cofondateur d'une structure de lobbying pro-Saddam Hussein, l'Office français pour le développement de l'industrie et de la culture (Ofdic). Belle brochette que voilà en effet, à laquelle il faut ajouter l'ineffable Mustapha Aziz, homme d'affaires saoudien et/ou marocain, marchand d'armes, ancien proche de feu le maréchal Mobutu et nouveau proche du président ivoirien, Laurent Gbagbo, dont les relations avec l'état français se tendent rapidement, quelques semaines après cette mésaventure, lorsque huit soldats français sont tués sur le sol ivoirien, où plane l'ombre de Bush, fraîchement réélu. Tout d'abord, il semble que, très rapidement, des rivalités soient apparues au sein de cette équipe très spéciale. Entre Julia et Aziz, c'est à qui prendra l'autre de court dans une négociation réussie avec de mystérieux ravisseurs. Bref, la machine s'emballe. Le 1er octobre, Julia annonce la libération imminente des otages. Puis, la machine s'enraye : en dépit du fait que le dénommé Brett aurait été, selon Julia, " à 25 m des otages ", l'opération échoue sans que l'on sache comment. Julia dénoncera tour à tour ses anciens partenaires menés par Aziz et les Américains, faisant capoter l'affaire par leurs maladresses. Quant au gouvernement, dès le 30 septembre, sentant que le coup risque d'échouer, il se démar­que de Julia, puis le stigmatise.

Le cave se rebiffe

Mais ce dernier n'entend pourtant pas se résigner à être le bouc émissaire de cette farce tragique : " Je n'accepte pas les accusations. ", a-t-il déclaré aussi sec. " Pendant quarante jours, la France a été dans le bleu total et nous, pendant quatre jours, on aurait tout fait foirer. ". Dès le 2 octobre, le pied nickelé se rebiffe : depuis Damas, Didier Julia reproche aux autorités françaises de vouloir faire de lui un " bouc émissaire " pour masquer leur impuissance dans la crise des otages français en Irak. Et, dans l'ensemble, quand Julia affirme que l'élysée et Matignon étaient informés, depuis le début, de son équipée rocambolesque, il a l'oreille des médias, qui, du Monde à Libération, confirment. En d'autres temps et en pareil cas, un activiste gaulliste aurait fait profil bas en cas d'échec d'une opération de ce type. Autres temps, autres moeurs, dit-on. Mais, avec le temps, c'est l'autorité de l'état (et de son chef) qui s'est sérieusement dégradée. D'où ce titre, non dépourvu d'angoisse politique, d'un article du Monde à propos de cette affaire glauque : " Où est passé l'état ? " [Le Monde, 04/10/04].

Juppé devant ses juges

l'autorité de l'état et de son chef est encore battue en brèche par les derniers rebondissements de l'affaire Juppé. Ce premier ministre, premier de la classe, était déjà défait, depuis longtemps. La grande grève de novembre-décembre 1995 l'avait mis K.O, battu à plates coutures. C'était, depuis novembre-décembre 1995, un mort politique en sursis. Chirac tenta néanmoins de le remettre en selle en lui donnant les commandes de l'UMP, censée devenir enfin le parti unique de toute la droite, le parti de l'Ordre de no­tre époque, avec lequel le gouvernement allait pouvoir enfin mettre au pas et " normaliser " la classe ouvrière et la population. Imposé par Chirac à la tête de l'UMP, Juppé dégringole de nouveau lorsque tombe le jugement de l'affaire des emplois fictifs du RPR, dont Juppé avait été le secrétaire général.
Rappelons les attendus cinglants du premier jugement : " Alain Juppé, dans la quête de moyens humains lui apparaissant nécessaires pour l'élection du RPR, a délibérément fait le choix d'une certaine efficacité en recourant à des arrangements illégaux [...]. La nature des faits commis est insupportable au corps social, comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi. Alain Juppé a trompé la confiance du peuple souverain. ". Que peut apporter de plus le jugement en appel ? Tout d'abord, de nouvelles scènes de règlements de comptes entre "amis".

Le linge sale ne se lave plus en famille

En effet, le linge sale ne se lave plus tout à fait en famille. Ainsi, appelé à la barre, le trésorier du RPR, Robert Galley, 83 ans, ancien ministre de la Défense sous Pompidou, bardé de décorations en tous genres, véritable pièce de musée du gaullisme, laisse tomber, laconique, à propos des emplois fictifs : " Tout ceci convergeait vers le directeur de cabinet du secrétaire général. ". La Présidente du Tribunal insiste : "Et sans en référer au secrétaire général ?". Et Robert Galley : " Ce n'est pas mon problème. Je pourrais dire ... [Il se ravise.] Non, je préfère me taire. " [séance du 13 octo­bre, Cour d'appel de Versailles]. En haut, on s'écharpe, tandis qu'en bas, on souffre. à la crise politique du sommet répondent, " en bas ", la crise du logement, les poches de misère qui se creusent dans ce pays, l'appauvrissement des salariés, rejetés, de plus en plus nombreux, dans la spirale de la précarité, tandis que le chômage croît encore et encore.

Le Régime du mensonge et des affaires

Mais la crise politique, autour de laquelle les médias se font un sang d'encre, ne surgit pas du néant. Symptôme, entre autres, du manque de confiance des classes dirigeantes, des gouvernants et chefs de partis traditionnels en eux-mêmes, cette crise est irriguée par le mécontentement toujours plus net de la population laborieuse et pauvre qui ne se sent plus représentée, pas même par les partis qui campent dans une opposition plate et respectueuse à un gouvernement qu'ils ont contribué à mettre en place, par le vote Chirac, le 5 mai 2002. La Vème République se montre toujours plus nettement sous son vrai jour : c'est le Régime des affaires, c'est le Régime du mensonge. Mais la solidarité entre copains et coquins autour du grand Chef n'opère plus. Parce que ce régime se meurt. Encore trop lentement, il est vrai.
Modifié le dimanche 19 juin 2005
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