« Corporatismes », anti-grévistes, loi Touraine et Union nationale…

« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude ... » écrivait l’illustre Aldous Huxley. D’ailleurs, s’il était encore de ce monde, il verrait dans la Vème République française en chute libre l’amorce de cette hypothèse : une dictature aux apparences de démocratie mais, en revanche,  incapable de domestiquer les masses, avide de manipulation et qui, nolens volens,  prépare l’explosion.


« Si vous n’êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment »  prévenait Malcolm X. C’est ce à quoi s’appliquent les médias sous contrôle, au quotidien. Y parviennent-elles ? C’est une autre histoire car cette détestation leur revient comme un boomerang.
S’adossant sur les lois scélérates qui se sont accumulées depuis plus de trente ans en une lente sédimentation,  ces medias accusent dans tous les sens : cheminots, pilotes de ligne, médecins, musulmans, roms, pour le compte du gouvernement, du MEDEF et de l’Union Européenne des capitalistes et des banquiers. Dit autrement : Au compte de « ce pouvoir de la finance » dont Hollande jurait ses grands Dieux, dans un simulacre total [qui plut à Mélenchon, lequel fit mine d’en être dupe] qu’il était son « ennemi ».

« Union sacrée » sans rivages à droite

Se faire élire « contre la finance » pour gouverner à son compte exclusif de celle-là, tel était le secret ( de Polichinelle) de Hollande, fort bien illustré et passé au peigne le plus fin dans le livre de Laurent Mauduit « A ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient ».
Pour quelques jours, l’abjecte exécution de journalistes, dessinateurs, salariés de Charlie hebdo et policiers dont la mémoire est salie par « l’Union sacrée » sans rivages à l’extrême droite, remue le couteau et éclipse l’actualité sociale. Et, en particulier, la grève sans précédent des médecins contre le projet de loi Touraine.
 
Une loi qui  intègre un cadeau empoisonné, car il s’agit bien d’un poison contre la Sécurité sociale. Comme de bien entendu, les médecins sont suspectés, après les cheminots et pilotes de ligne de défendre leur intérêt corporatiste (il faudrait dire : corporatif) et de le placer au-dessus de l’intérêt général, incarné bien entendu par le désintéressé Pierre Gattaz, tenancier du Medef de père en fils.
Or, de même que les cheminots défendaient « le service public au service du public » vanté par les vieilles affiches de la SNCF comme cadre de la défense de leurs intérêts corporatifs et de classe, de même que les pilotes de ligne d’Air France se plaçaient aux avant-postes des intérêts de tous les personnels d’Air France, les médecins inscrivent leur combat dans le cadre de la défense de la Sécurité Sociale. Ce que la vox populi, remodelée par les sondages, semble avoir instinctivement compris, puisque 58% des personnes interrogées déclarent approuver la grève des médecins

Quand le NPA dénonce la grève des médecins !

Mais si l’on en croit le NPA, ces « sondés » favorables aux médecins représentent « la meute qui hurle à la "prise d’otage" à chaque grève des cheminots ou des pilotes reste silencieuse cette fois-ci. ». Une « meute » qui n’existe que dans la tête des chefs  de ce parti et illustre là encore leur mépris bureaucratique des masses. Mais de là à prêter renfort au ministre Touraine dans son bras-de-fer contre les médecins, restait encore un pas à franchir, sous la forme de la surenchère : «  généralisation du tiers-payant ».
Bien sûr, ils ne manquent pas d’exiger que les soins soient gratuits, remboursés intégralement par la Sécurité sociale. Mais c’est une façon comme une autre de masquer le sens réel de la mesure dite « phare » de la loi Touraine, à savoir cette fameuse généralisation du tiers-payant qui, inutile d’être devin pour le comprendre, va servir à transférer de la Sécu vers les mutuelles la charge d’une partie de plus en plus importante des remboursements de soins. Qui pourrait en être dupe ?

« Intérêts corporatistes » ou défense de la médecine et de la Sécu ?

Il est donc navrant de lire, sous le sigle du NPA frappé de son porte-voix, que « La crise profonde que traverse la médecine générale ne peut trouver d’issue dans la défense d’un exercice libéral à bout de souffle et d’intérêts corporatistes (paiement à l’acte et course aux actes, refus du tiers payant, dépassements d’honoraires, totale liberté d’installation). ». Ou encore : « Contre l’intérêt des patients ils s’opposent, avec des arguments scandaleux, au principe même de la gratuité des soins, c’est à dire à un droit aux soins pour toutes et tous. » Les têtes pensantes du NPA relaient ici le  discours antigrève classique, de type CFDT : les cheminots contre l’intérêt des usagers, les pilotes de ligne contre l’intérêt des personnels au sol et maintenant, repris par le porte-voix NPA, les médecins qui veulent dépouiller les patients comme de vulgaires malfaiteurs, pour leur intérêt « corporatiste ». On dirait du « gaullisme de gauche ». Quelle aubaine pour Marisol Touraine de voir son projet de loi enveloppé de la complaisance inattendue et inespérée pour elle et son chef Hollande de la part du NPA !

Allons plus loin dans leur raisonnement enfumé : « une personne sur quatre renonce, en France, à des soins pour des raisons financières. » Totalement vrai. Mais qui est responsable de cet état des choses ? Les médecins ? La sécu ? Non pas : le gouvernement, l’Union européenne et ses directives contre le droit à la santé qui inspirent la loi Touraine. Personne d’autre ! Mais il faut bien dire que le NPA se refuse à lutter pour la rupture avec l’Union européenne et taxe de « souverainistes » ceux qui l’osent ! Difficile d’être plus compréhensif avec son propre impérialisme.  
Sous les dehors d’une mesure « sociale », la généralisation du tiers payant participe de bout en bout à l
’Hallali contre la Sécurité sociale que défendent, corps et âme, l’immense majorité des médecins (voir le détail ci-après)

La carte vitale, une invention du Plan Juppé !

La carte vitale, composante du Plan Juppé de 1995, avait la même visée : un formidable « outil » pour contrôler, surveiller, ficher médecins et malades, pour taxer ceux qui se soignent trop et ceux qui soignent trop, en les opposant entre eux. Aussi Juppé doit se frotter les mains à entendre le NPA monter en première ligne de défense de la carte vitale que nous dénoncions tous en 1995, sur les piquets de grève et dans nos AG.  Pour être plus précis, c’est le médecin qui sera chargé du recouvrement des frais auprès des mutuelles (il en existe plus de 400).

Indéniablement, La loi Touraine vise à renforcer le pouvoir de contrôle des Agences Régionales de Santé ( ARS) pour arriver aux 11 milliards de coupes sur les prestations maladie prévues par le pacte de responsabilité. Les médecins sont déjà ulcérés du contrôle tatillon et des pressions qu’ils subissent pour imposer des génériques ou diminuer les arrêts de travail. Ce qu’ils dénoncent comme « un flicage » devrait encore augmenter. Et de fait, c’en sera fini du secret médical, à la plus grande satisfaction des assurances et mutuelles privées !

Quand LO voit juste

Fort heureusement, du côté de ce qu’il est convenu d’appeler l’extrême-gauche, tout le monde n’épouse pas le discours réactionnaire du NPA contre les médecins. Lutte ouvrière en parle de façon beaucoup plus objective que la camarilla qui régente le NPA. Sous le titre : « « pour une bonne santé, ne comptons pas sur le Gouvernement », nous lisons : « Pour les médecins, la loi santé de Marisol Touraine, en particulier, la généralisation du tiers payant est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le tiers payant serait une bonne chose, un soulagement, car avancer 23 euros est un obstacle pour nombre de familles. Mais, une fois de plus, le gouvernement cherche à redorer son blason avec une mesure populaire sans que cela lui coûte quelque chose. Et tout retombera sur le dos des médecins. Parmi eux, il n’y a pas que des spécialistes des dépassements d’honoraires et des sommités qui se font grassement payer. Il y a aussi les médecins traitants qui enchaînent des journées de 9 ou 10 heures et sont seuls à tout gérer. Ils craignent, en devant se faire payer par la Sécurité sociale et les quelque 300 mutuelles, des retards de paiements et un surcroît de travail administratif. Et on peut les comprendre ! »

Exiger le retrait du projet de loi Hollande-Touraine

En effet, la loi Touraine est une loi de destruction de la sécurité sociale et d’accélération du démantèlement-privatisation des hôpitaux publics ; il faut exiger sans l’ombre de la moindre complaisance son retrait. Ca n’est assurément pas la position de la direction du NPA qui préfère stigmatiser les médecins et dénoncer leur grève. Qui est donc réactionnaire dans cette affaire ? Mais ces anticapitalistes des jours de fête ont de la compagnie, en la personne du chef de FO, Mailly, qui, selon les propos rapportés par le Figaro considère « la réforme de la santé bonne "sur l'aspect de l'extension du tiers payant". D’où le mutisme du POI sur cette épineuse question. Un joli front commun, NPA-POI-FO, on vit une époque formidable.

Quant à nous, nous sommes inconditionnellement du côté des médecins contre le gouvernement et ses attaques. Du côté de tous les exploités et des opprimés et, parmi eux, les médecins des villes et des campagnes.
Nous exigeons le retrait du projet de loi Touraine, incluant la généralisation de la Carte vitale, cheval de Troie contre la Sécu et les assurés sociaux dans leur ensemble.



Daniel Petri. 9 janvier 2015



SOURCES :
Article NPA http://sante-secu-social.npa2009.org/spip.php?article5323
Article Lutte Ouvrière http://www.lutte-ouvriere.org/en-regions/bourgogne/revue-de-presse/article/pour-lutte-ouvriere-pour-une-bonne
Position de Mailly ( FO) http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2015/01/05/97002-20150105FILWWW00340-mailly-fo-reserve-sur-la-greve-des-medecins.php

Modifié le samedi 10 janvier 2015
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