Chambre bleue sans horizon

Chronique d'une fin de RégimeQue restera-t-il du " sursaut civique " des 22 avril et 6 mai 2007 ? Combien de temps aura duré la " réconciliation " des Français avec les institutions moribondes de la Ve République ? Les records d'abstentions après les records de participation à un mois d'intervalle nous livrent une première indication : nous entrons dans une période de tournants brusques, de changements rapides d'humeur au sein des masses, d'oscillations fiévreuses à gauche et à droite des classes moyennes. Mais encore ?Le regain de l'abstentionnisme ouvrier et populaire, particulièrement massif dans la jeunesse, est le fait majeur du scrutin des 10 et 17 juin. C'est aussi le plus occulté par les commentateurs des milieux autorisés, qui ont préféré monter en mayonnaise un " sursaut du PS ". Drôle de sursaut, avec un nombre de voix bien inférieur, d'un mois sur l'autre, pour ce parti qui prend eau de toute part.

Les rats quittent le navire

En deux coups les gros ! Kouchner, Besson, et maintenant, Amara et Bockel. l'appel de la mangeoire aura été plus fort que la fidélité à Ségolène Royal ou à Strauss-Kahn, d'autant plus que la proximité des idées fait le reste. À tel point qu'il est difficile de parler de trahison, au sens politique du terme.

Qui, au sein du PS, a crié à la trahison lorsque Kouchner a pris fait et cause pour l'invasion yankee en Irak ?

Qui, au sein du PS, a crié : " au félon ! " lorsque Bockel a ouvertement et publiquement soutenu le CPE ?cf le site " ensemble pour le CPE " initié par l'UNierI, " syndicat " étudiant de droite.

Posons la question autrement : qui pourrait feindre d'être surpris par ces " ralliements " ?

Rappelons que, tout dernièrement, Bockel a été un partisan de Strauss-Kahn qu'il a soutenu " sans réserve ", le présentant comme le ténor de la " social-démocratie la plus cohérente ". Quant à Fadela Amara, cette groupie de Ségolène Royal avait été mise en selle par Julien Dray. Pour ce qui est de Kouchner, dès avant le premier tour, le " French doctor " se prononçait avec Rocard pour un axe PS-UDF. Après le second tour et le ralliement de tous les seconds couteaux de Bayrou à Sarkozy, le même Kouchner a dû se dire qu'un axe PS-UMP, ça irait plus vite.

Chèvre émissaire ?

Les turpitudes qui minent le PS en décomposition ne s'arrêtent pas à ces défections. Au sein de ce parti, la cloison entre vie privée et vie publique craque sous l'effet des tiraillements. l'annonce de la rupture entre Royal et Hollande, au soir même du second tour des législatives, devient aussitôt un moment de la vie politique. Au demeurant, cette rupture n'a rien d'un scoop. Ce qui intrigue, c'est le moment choisi pour l'annoncer.

Revenons un temps en arrière : au lendemain de l'élection de Sarkozy, Strauss-Kahn prend l'initiative d'une attaque en règle contre Hollande. Et tous les caciques du PS semblent reprendre en choeur " haro sur le baudet ", tandis qu'on prépare, en sous-main, un genre de combat des chefs entre Strauss-Kahn et Royal pour la direction du parti. De part et d'autre, la tentation de l'autoproclamation est grande, tandis que Hollande fait le dos rond.

Survient le premier tour des législatives. Le lendemain même, Ségolène Royal téléphone à Bayrou en vue d'un accord de désistement réciproque entre son Mouvement démocrate et le PS. De guerre lasse, Bayrou ne daigne pas répondre. Ironisant sur ce chapitre, Hollande évoque " la démocratie téléphonique ". La direction du PS tombe alors à bras raccourcis sur Ségolène Royal. Pourtant, rares sont les pontes du PS qui se déclarent hostiles à un rapprochement avec le Modem. Mais, prudence oblige, la direction du PS opte pour des accords au cas par cas, circonscription par circonscription, avec la bande à Bayrou.

Après quoi, pour les proches de Royal, le bilan des législatives n'a rien de reluisant : Malek Bouti est évincé dès le premier tour en partie grâce à un socialiste dissident, Patrick Menucci, chef d'orchestre de la campagne de Ségolène Royal et patron de la fédération des Bouches du Rhône, est éliminé au second tour, ainsi que Vincent Peillon. Quant à Arnaud Montebourg, il est " sauvé " in extremis, avec 50,3 % des voix.

Dans ce contexte, l'annonce de la rupture avec Hollande revêt le caractère d'une déclaration de guerre de Royal contre la direction officielle du PS. Cette annonce, plus politique que conjugale, va trouver son prolongement dans l'aveu que fait Royal, le surlendemain : elle n'a jamais été favorable au SMIC à 1 500 euros dans les cinq années à venir, qui figurait pourtant dans son pacte présidentiel et qui n'avait, répétons-le, rien d'une mesure sociale hardie. Est-elle seulement d'accord avec le principe d'un salaire minimum vital ? Voire.

Quelle " présidentialisation ", quelle République ?

Pendant ce temps-là, les commentaires allaient bon train sur le thème inépuisable de la présidentialisation du Régime. À les entendre, Sarkozy aurait fait litière de la Ve République et serait en passe de la transformer en un Régime présidentiel à l'américaine. Allons donc !

Certes, dans un Régime comme celui de la Ve République, tel que De Gaulle, son fondateur, le concevait, il est anormal que le chef de l'État descende directement dans l'arène, sans filet. Cela ne signifie pas pour autant que nous ayons changé de Régime politique, comme l'a prétendu Charles Pasqua. Cela manifeste bien plutôt que ce Régime est en crise, qu'il est malade, irrémédiablement, parce qu'il ne correspond plus aux rapports de force qui lui ont donné naissance, il y a bientôt cinquante ans.

En revanche, ceux qui prétendent que Sarkozy serait en train d'inventer un Régime monarchique de type nouveau semblent ignorer l'esprit et la lettre de la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958. Rappelons-en les grandes lignes :

- Le Premier ministre est simplement " le premier des ministres " selon la Constitution, et tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du seul Président de la République, promu au rang de " chef de l'État " sous couvert de son élection au suffrage universel. En outre, c'est le chef de l'État qui préside le conseil des ministres.

- Les députés n'ont pas l'initiative des lois, tout au plus, peuvent-ils faire des " propositions de lois " mais c'est le Conseil des ministres qui décidera de les porter ou non à l'ordre du jour des sessions parlementaires.

- Toute loi qui, par malheur, rognerait certains intérêts patronaux peut légalement être vidée de son contenu par le Sénat ou être déclarée " anti-constitutionnelle " par un conseil occulte de neuf " sages " appelé Conseil constitutionnel (dont les membres sont désignés par le chef de l'État, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale).

- Aucune loi ne peut s'appliquer si elle n'est pas promulguée par le chef de l'État.

Ordonnances, décrets et dissolutions ...

- Le gouvernement peut prendre des mesures par " ordonnances " pendant un certain temps, l'autorisation du Parlement lui suffit pour prendre ensuite des mesures qui ne seront pas votées par les députés et qui seront ratifiées par les députés après leur entrée en vigueur. Le chef de l'État signe les ordonnances.
- La Ve République a également été appelée " la République des décrets " : toute une série de mesures qui ne sont pas définies strictement par la Constitution comme relevant du " domaine des lois " peuvent être imposées par décrets ministériels ; de la même manière, un gouvernement peut interpréter librement certaines lois (les lois-cadre, entre autres) pour en tirer des " décrets d'application " à sa guise. Un des exemples de cet artifice propice à l'arbitraire : c'est la décision prise en 1985 par le gouvernement Mitterrand-Fabius de " sortir " du domaine de la loi le montant des prestations-maladie de la Sécurité sociale, tant et si mal, que de nos jours, c'est le gouvernement qui fixe par décrets le taux de remboursement des médicaments et des soins.

- Tout aussi édifiant, l'article 49 alinéa 3, communément appelé 49-ter, de la Constitution, qui permet au Premier ministre d'engager sa responsabilité sur le vote d'un texte de loi quand il sent que la majorité des députés y est hostile : ce texte de loi sera automatiquement adopté sauf si une " motion de censure " destinée à renverser le gouvernement est adoptée par la majorité des députés. Dans ce cas, le gouvernement doit démissionner, tout en sachant que le chef de l'État peut riposter en prononçant la dissolution de l'Assemblée nationale.

- S'agissant des pouvoirs exorbitants du Chef de l'État, outre celui de dissoudre l'Assemblée nationale, de signer les ordonnances et de promulguer les lois, il détient le pouvoir de décréter l'État d'urgence et peut provoquer des référendums. En bref, il est la clef de voûte de tout l'édifice, sous couvert de la légitimité formelle que lui octroie son élection au suffrage universel.

Cet ensemble de dispositions désigne un Régime anti-démocratique, un Régime bonapartiste qui pourrait tout à fait légalement se transformer en dictature ouverte. Sarkozy entend en exploiter tous les filons politiques et juridiques pour mettre au pas la classe ouvrière et la jeunesse. Il n'y déroge en rien. En mettant en place un quinquennat où l'élection des députés survient immédiatement après l'élection présidentielle, Jospin a créé les conditions pour que Sarkozy ait ces " pleins pouvoirs " dont se lamentent le PS, le PC et, accessoirement, la LCR. Pour autant, ces " pleins pouvoirs " ne suffiront pas à maintenir l'ordre bourgeois.

Premier revers pour le nouvel exécutif : la chute de l'unique ministre d'État, Alain Juppé. Ce ne sera pas le dernier.
Modifié le mercredi 27 juin 2007
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