« La dictature commettra tous les crimes pour sa préservation »
Alexandre Loukachenko, le « dernier dictateur d’Europe », préside d’une main de fer la République du Bélarus depuis 1994. Sans discontinuer depuis le 9 août 2020, date de proclamation des résultats des élections présidentielles truquées lui donnant la victoire, la population bélarusse est vent debout pour dire « A bas la corruption ! Dehors Loukachenko ! ». Nous donnons la parole à notre camarade qui est au coeur de la révolte : Ivan Krichkevitch, membre de la LIS en Bélarus.
(photo : AFP/MAXIM MALINOVSKY)
1/ Après cinquante jours d’une révolte démocratique contre la mascarade qu’a été la réélection d’Alexandre Loukachenko, où en est-on ?
La falsification flagrante de l'élection en faveur d'Alexandre Loukachenko, qui est au pouvoir depuis 26 ans, a conduit à des protestations massives de tous les groupes de la société bélarusse. Après la dispersion brutale d'une manifestation pacifique par la police et l'armée, après des passages à tabac, des tortures de détenus et de personnes arrêtées, des meurtres et des procès illégaux, la protestation du peuple bélarusse a pris un caractère national. Le pouvoir de Loukachenko, essentiellement une dictature militaire, repose désormais uniquement sur l’emploi de la force de l'armée et de la police.
2/ Nous voyons le régime mener une répression physique et judiciaire féroce. Quelle est la situation ?
Malgré les répressions massives, le peuple bélarusse n’abandonne pas. Des manifestations ont lieu chaque jour dans toutes les villes du Bélarus. Le cadre privilégié de la confrontation pacifique quotidienne est la manifestation locale sur le lieu de résidence. Ce sont des chaînes de solidarité le long des autoroutes, des expositions d'artistes dans les cours et les quartiers , des projections conjointes de films et de goûters/cafés collectifs, des performances de musiciens et de poètes célèbres, des conférences de scientifiques, des représentations de groupes de théâtre et bien plus encore.
Tous les samedis, une marche des femmes contre la violence de l’État a lieu dans presque toutes les villes. Chaque dimanche, est organisée une marche de protestation nationale contre la dictature de Loukachenko. Le Bélarus manifeste depuis deux mois maintenant.
Il est particulièrement intéressant de noter la manifestation étudiante - des sit-in quotidiens dans presque toutes les universités du pays. La solidarité étudiante se développe malgré le chantage, l'intimidation et les arrestations de militants.
3/ La classe ouvrière bélarusse, les femmes, les jeunes, font grève et manifestent en masse dans tout le pays. Quelle est l’action des syndicats indépendants et des comités de grève dans la mobilisation populaire ?
La brutalité des autorités a provoqué une énorme vague d'indignation parmi les travailleurs de tout le pays. Les collectifs de travail de nombreuses entreprises industrielles se sont mis en grève et ont créé des comités de grève. Cependant, le travail des comités de grève a été paralysé par la répression. Pratiquement tous les dirigeants du mouvement ouvrier ont été arrêtés ou font l'objet d'un chantage sévère de la part de l'administration des entreprises, du parquet et du KGB. L’élément positif dans la situation actuelle est le retrait massif des travailleurs bélarusses des syndicats officiels (d'État).
4/ Un « Conseil de Coordination » a été constitué. Quel est son rôle, quelle est son action ?
Le Conseil de Coordination (CC), créé par la nouvelle opposition, a désormais peu d'effets sur la situation de protestation. Toute la direction du Conseil a été arrêtée ou est en exil. Le mouvement actuel est sans direction unifiée, un mouvement où tout le monde peut devenir un leader, une mobilisation qui n’est pas chargée de contradictions idéologiques, un mouvement qui a uni toutes les couches sociales et tous les groupes d'âge dans la lutte contre la dictature.
Les trois principales revendications des manifestants, sont simples et claires pour tous :
- mettre fin à l'arbitraire et à la violence contre les civils ;
- traduire en justice tous ceux qui sont impliqués dans des crimes et délits commis sur la population ;
- tenir de nouvelles élections présidentielles libres et transparentes.
5/ Quel est le rôle, quels sont les objectifs poursuivis par la Russie ? Quel est le rôle de l’Union Européenne ?
L'objectif du Kremlin est clair et évident : maintenir la République du Bélarus dans sa sphère d'influence géopolitique. Je pense que Poutine est bien conscient que Loukachenko, en tant que partenaire, est extrêmement peu fiable, mais il n'y a pas d'autres options. Profitant de la situation où le Kremlin garantit pratiquement la sécurité du dictateur Loukachenko, l'oligarchie russe tentera de s'emparer de tous les actifs les plus rentables de l'économie bélarusse. En conséquence, le niveau d'exploitation des travailleurs bélarusses augmentera et les garanties sociales, malgré leur niveau déjà extrêmement bas, seront complètement enterrées.
Le rôle de l'Union Européenne (UE) dans cette situation est de préserver son image « démocratique », plutôt que d'aider réellement le peuple bélarusse dans la lutte contre la dictature. Les rencontres de dirigeants politiques européens avec une représentante de l'opposition bélarusse, Svetlana Tikhanovskaya, sont plutôt démonstratives. Depuis 26 ans, l'UE a entretenu les meilleures relations avec Alexandre Loukachenko, malgré la disparition d’hommes politiques bélarusses, la fraude électorale, la suppression du mouvement syndical indépendant, la répression politique et les violations totales des droits de l'Homme. Les masses ne comptent pas sur l'aide des responsables de l'UE, elles savent que tout repose principalement sur elles.
6/ Une solution politique à la crise est-elle possible sans le départ d’Alexandre Loukachenko ?
Après l'intervention du Kremlin dans les affaires intérieures du Bélarus, Loukachenko a soudainement parlé de futures réformes politiques, du développement d'un système multipartite et même de nouvelles élections présidentielles. Mais il a immédiatement ordonné aux responsables de réenregistrer les partis politiques existants et de n’y laisser que les partis « loyaux ». Et cela malgré le fait que tous les partis officiellement enregistrés sont des partis fantômes et n'agissent en rien sur la situation politique dans le pays. Loukachenko continue de nettoyer le champ politique et celui de l’information. Aujourd'hui, en Bélarus, tous les médias de masse indépendants sont fermés, les correspondants de toutes les agences de presse étrangères, à l'exception des agences russes, sont privés d'accréditation. Il est tout à fait évident que sans le départ d'Alexandre Loukachenko, aucune réforme politique en Bélarus n'est possible. La dictature commettra tous les crimes pour sa préservation.
7/ Quelle est ton appréciation sur la suite du mouvement ?
Malgré de nombreuses prédictions selon lesquelles la manifestation bélarusse s’essoufflera et n'aboutira bientôt à rien, les gens continuent de descendre dans les rues et sur les places de leurs villes. Souvent, les actions sont complètement spontanées. Par exemple, plusieurs retraités sont venus aujourd'hui à la maison du gouvernement à Minsk. Littéralement en deux heures, ils ont été rejoints par plusieurs centaines de personnes, puis plus d'un millier. La marche des retraitées a été aussitôt nommée « Grand-mères contre la police anti-émeute ».
Presque chaque action de protestation trouve une réponse instantanée parmi les gens ordinaires, ce qui témoigne du fort potentiel de protestation de la société bélarusse.
La République du Bélarus va devoir affronter de graves problèmes économiques. Le régime de Loukachenko a pratiquement conduit le pays à l'effondrement économique. L'économie bélarusse est subventionnée et non viable sans des interventions financières extérieures. Il ne fait aucun doute que la hausse imminente des prix et la détérioration rapide du niveau de vie des travailleurs entraîneront des manifestations de masse dans les entreprises industrielles du Bélarus.
Notre tâche, en tant que représentants de la Ligue Socialiste Internationale au Bélarus, est de participer activement à cette mobilisation historique et de nous préparer aux bouleversements sociaux à venir. Ce n'est que dans le processus de lutte que pourra se former la véritable colonne vertébrale d'une future organisation politique capable d'exercer une influence significative sur tout ce qui se passe dans le pays.
Pour un Bélarus social et pacifique !
Contre la violence policière et la dictature !
Un salut fraternel à tous nos camarades de lutte dans le monde entier !
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