Pour un syndicat de classe

Pour un syndicat de classe | Intervention de Michel Villerey au Congrès FO, juin 2007Michel Villerey est un militant syndical, un militant ouvrier qui consacre et a consacré sa vie entière au service de la classe ouvrière, en toutes circonstances. On trouvera ci-dessous, grâce à son aimable autorisation, son intervention au dernier congrès confédéral de la CGT-FO réuni l'été dernier. Il y déclare son refus de la création de l'organisation syndicale, la CSI (Confédération syndicale Internationale) pour des raisons explicitées ci-dessous ainsi que d'autres questions, toutes liées à la nécessaire indépendance de classes. Nous partageons intégralement ces positions.Salut et fraternité ! Salut et fraternité à vous, mes camarades, qui n'avez pas hésité à vous soustraire d'un quelconque plaisir épicurien : un apéro prolongé, un repas fraternel ou tout simplement un repos réparateur, pour participer à cette séance de nuit afin d'écouter et peut-être d'entendre les derniers intervenants.

Salut et fraternité de la part des deux syndicats de l'Yonne qui ont considéré devoir me mandater et me déléguer à ce 21e Congrès confédéral : le syndicat FO du Conseil Général de l'Yonne et le Syndicat départemental de l'Action Sociale 89.

Dans la foulée - le mot est à la mode - salut et fraternité de l'Union départementale des retraités et pensionnés de l'Yonne dont je suis le secrétaire.

Mes chers camarades,

Après des mois et des semaines d'agitation électorale au cours de laquelle des salariés en ont entendu de toutes les couleurs, il est temps de reprendre ses esprits.

Sans complexe, les grands de ce monde, les décideurs, les planificateurs, les profiteurs, les politiques ont fixé l'objectif : reprendre à la classe ouvrière tout ce qu'elle a arraché par des décennies de lutte acharnée.

Le nouveau Président de la République a défini sa méthode, il veut accélérer le processus de la dite modernisation du pays, il veut aller " vite et fort " et entend bien embarquer dans cette aventure les syndicats ouvriers dans le cadre " d'un nouveau dialogue social " pour un " nouveau contrat social ".

Car, c'est bien de cela dont il s'agit : associer les organisations syndicales à la définition, à la rédaction et à la mise en oeuvre des réformes - il vaudrait mieux dire des " contre-réformes " - déjà en cours d'application mais encore inachevées - et celles à venir.

Que le Medef réponde présent pour cette mission, il n'y a rien là de surprenant.

Que le leader de la CFDT, François Chérèque fasse des offres de service, c'est dans la nature des choses, la CFDT a, en la matière, un lourd passé. Souvenons-nous : 1995, signature par la CFDT du plan Juppé passé à la postérité sous le nom de " plan Juppé-Notat ", en 2003, signature de la contre-réforme Fillon sur les retraites qui passera sans doute à la postérité sous l'appellation " Fillon-Chérèque ". On a les marques de noblesse qu'on peut !!!

Un syndicat fort, libre et indépendant

Pour sauvegarder leurs garanties et leur acquis, voire les reconquérir, les salariés ont besoin d'un syndicat fort, libre et indépendant :

- un syndicat qui refuse, avec fermeté, de s'intégrer dans la " nouvelle gouvernance " qu'elle soit nationale, européenne ou mondiale, que les grands de ce monde, les décideurs, les planificateurs, les politiques tendent de nous imposer ;
- un syndicat qui rejette, tout aussi fermement, le sournois concept de " syndicalisme rassemblé" par lequel nous serions associés avec des organisations dites syndicales qui nient depuis toujours la division du monde en classes antagoniques et qui restent prêtes à ressusciter la vieille mais toujours actuelle " association Capital-Travail ".

Ce syndicat, permettant la reconquête, existe : c'est notre Confédération, la CGT-Force ouvrière et ses syndicats, libres et indépendants, fidèles à la lutte de classes et à la Charte d'Amiens.

Arc-boutés sur nos revendications claires et fermes, sans géométrie variable, c'est ce cap qu'il faut maintenir, c'est cette orientation qu'il faut renforcer.

Qu'allons-nous faire dans cette galère ?

Cependant, force est de manifester notre inquiétude.

Le 1er novembre, à Vienne, a été créée une nouvelle internationale syndicale : la Confédération Syndicale Internatio­nale (CSI).

Il s'agit en fait, de la fusion de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) dont la confédération CGT/FO était membre et de la Confédération Mondiale du Travail (CMT) regroupant les syndicats d'obédience chrétienne et dont la CFDT était membre.

Une première interrogation s'impose.

Comment deux organisations d'origine, de principes et d'histoire si antagoniques peuvent-elles fusionner ?

- l'une, la CMT, ex-Confédération Internationale des Syndicats Chrétiens (CISC) puise son origine dans l'encyclique Rerum Novarum publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII définissant la doctrine sociale de l'église fondée sur la partage du " bien commun ", sur l'association entre le capital et le travail et sur la collaboration des classes. Ce syndicalisme-là, dès son apparition dans les années 20, est considéré par la CGT que nous continuons, comme un syndicalisme " jaune ".
- l'autre, la confédération internationale des syndicats libres, la CISL, créée en 1949, à l'initiative de la toute jeune CGT-Force ouvrière pour s'affranchir de la Fédé­ra­tion syndicale mondiale devenue l'Internationale stalinienne sans pour autant se rallier au syndicalisme chrétien. Fondée sur la reconnaissance de la lutte des classes et les principes d'indépendance, de liberté et de laïcité énoncés par la Charte d'Amiens, la CISL a su rallier autour d'elle et dans ses rangs, toutes les organisations qui refusaient, tout à la fois, l'oppression stalinienne et mitre papale.

Comment marier ainsi l'eau et le feu ?

Qui, dans cette affaire a mangé son chapeau?

La CMT aurait-elle rompu, par miracle, avec le syndicalisme de collaboration de classes ?

Ou la CISL aurait-elle envoyé par-dessus bord, tous ses principes d'indépendance et de liberté ?

On nous dit que dans cette fusion, le rapport de force est favorable aux organisations issues de la CISL : 80 % pour celle-ci contre 20 % pour la CMT. Soit, mais rappelons-nous qu'une cuillérée de goudron suffit largement à gâcher un tonneau de Chablis !

Et d'ailleurs, la lecture de la déclaration de principes et des statuts de cette nouvelle confédération internationale en donne la mesure.

Ainsi, il est dit que : " Elle [la nouvelle confédération] assume la tâche de combattre la pauvreté, la faim, l'exploitation, l'oppression et l'inégalité par le biais de l'action internationale que réclament les conditions de l'économie globalisée tout comme elle assume la tâche de lutter pour la gouvernance démocratique de cette économie ".

Qu'est-ce que cette " gouvernance de cette économie " ? Quelle économie si ce n'est celle du capital ? En quoi le syndicalisme indépendant et libre a à voir avec " la gouvernance de l'économie capitaliste" ?

Plus loin, il est dit encore : " La Confédération estime universel le respect des droits des travailleuses et des travailleurs et juge l'accès au travail décent indispensable à un développement juste et durable ".

Qu'est ce qu'un " développement juste et durable ". Faut-il y voir un lien avec " l'ordre juste " dont on nous a tant parlé ces derniers mois ?

Et encore : " La Confédération s'engage en outre à assurer un développement économique et social général et équitable pour les travailleuses et les travailleurs [...] ".

" Gouvernance [...] développement juste [...] et équitable [...] " : la sémantique, mes camarades, n'est pas neu­tre, les mots ont un sens ! Qui, dans nos rangs, pourrait confondre l'équité avec l'égalité, la liberté avec la subsidiarité, la fraternité avec la charité ?

Plus encore.

Comment peut-on tenter de faire croire aux syndicalistes que nous sommes que dans cette société d'aujourd'hui d'exploitation et d'oppression, il y aurait la possibilité d'instaurer une " gouvernance démocratique ", " un développement équitable [...] juste et durable " en ouvrant la perspective de " réformer " les organismes internationaux tels que le FMI, la Banque Mondiale et l'Organisation Mondiale du Commerce ?

Mes camarades,

Depuis toujours, depuis ses origines, le syndicalisme indépendant et libre a affirmé à juste raison que les intérêts du capital, c'est-à-dire des patrons, étaient contradictoires à ceux des salariés, que ce qui fonde l'existence et la nature même du syndicalisme indépendant, c'est l'existence de deux classes dont les intérêts sont contraires et qui e heurtent dans ce que nous appelons depuis toujours " la lutte des classes ".

Que c'est par et dans la lutte des classes, par le combat, que nos anciens ont arraché de nombreux acquis et garanties, qu'aujourd'hui, le capital veut nous reprendre en cherchant à entraîner les organisations syndicales indépendantes et libres dans cette " gouvernance démocratique ", ce " développement équitable [... juste et durable " qui, répétons-le, ressemble à s'y méprendre à l'alliance capital-travail, au corporatisme, à la charte du travail de Pétain et plus précisément à ce que prône la doctrine sociale de l'Église, le partage du bien commun.

Alors faut-il adhérer à cette nouvelle structure ?

Faut-il y accepter ce bureau exécutif de 27 membres où François Chérèque représentera seul le syndicalisme français ?

Faut-il y accepter ce strapontin au Conseil général de 70 membres où Thibault siègera pour les indépendants et où notre camarade Mailly sera le suppléant de Chérèque ?

La question est posée.

En effet, on nous demande, au travers d'une modification des statuts, et en particulier de l'article 3, d'entériner cette adhésion, cette fusion.

Du point de vue formel, il s'agit tout simplement d'abandonner un L, c'est-à-dire autoriser que disparaissent, à l'échelle internationale comme c'est déjà le cas à l'échelle européenne, toutes références à la Lutte de classes, à la Liberté, à la Laïcité.

Dans cette affaire, ce ne sont pas les hommes et leur volonté qui sont en cause. Nous connaissons le combat mené par nos responsables pour tenter de faire évoluer les choses dans le bon sens quant à la déclaration de principes et les statuts de la CSI.

Ce combat, peut-être nécessaire, fut vain tout comme il fut vain, dernièrement, dans la bataille d'amendements lors du Congrès de la Confédération Européenne des Syndicats (CES).

Ce qui est en cause, ce ne sont pas les hommes, c'est le poids de l'institution elle-même et de ses liens, multiples et variés, avec des organismes internationaux chargés " d'harmoniser " la mondialisation.

Alors, faut-il s'acharner ?

Faut-il graver dans le marbre de nos statuts l'adhésion à la CSI au risque, à terme, de mettre en péril l'existence même de notre Confédération ? Car cette fusion à l'échelle européenne et internationale appelle, quasi-mécaniquement, une fusion à l'échelle nationale, c'est-à-dire une fusion avec la CFDT et la CGT dans le cadre du " syndicalisme rassemblé " proposé par l'actuelle CGT et mis en perspective par la CFDT ?

Voilà pourquoi, afin de laisser ouvert l'avenir, je propose qu'il n'y ait, dans nos statuts, aucune référence à l'adhésion de la CGT/FO à la CSI tout comme il n'existe aucune référence de l'adhésion de la CGT/FO à la CES.

Cela laisse à notre Confédération toute la liberté d'intervention dans ces structures tout en gardant toute sa liberté de s'en séparer en fonction des évolutions.

C'est, de notre point de vue, donner son sens plein, à ce qu'affirme notre Confédération, dans son rapport d'activité, " défendre ses positions en gardant sa liberté de comportement, d'analyse et d'action ".

Que vive le syndicalisme ouvrier, indépendant et déterminé !

Que vive la CGT- Force ouvrière !

Je vous remercie.
Modifié le mercredi 16 janvier 2008
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