Patrimoine, archéologie préventive

L'archéologie préventive a été privatisée par la loi du 1er août 2003. A l'époque, cette réforme est contestée et combattue  par l'ensemble de la profession. 10 ans après, les dégâts engendrés par cette archéologie du profit sont catastrophiques, tant du point du vue des connaissances archéologiques que des conditions de travail pour les archéologues.

Qu'est-ce que l'archéologie préventive ?

Il convient tout d'abord, d'expliquer de quoi il est question  ; l'archéologie préventive est, en gros, l'archéologie des travaux : les travaux d'aménagements (permis de construire, d'aménager, grands travaux, etc.) détruisent le sous-sol et les vestiges qu'il contient. Il s'agit donc, de les relever, de les étudier, de les documenter, et si possible de les comprendre, avant de livrer le terrain aux promoteurs, aux carriers, aux nouvelles constructions, etc.,
La première loi sur l'archéologie est une loi du régime vichyste : la loi de 1941, dite « Carcopino », du nom d'un des ministres pétainistes les plus zelés. (voir à ce sujet l'ouvrage de Laurent OLIVIER, Nos ancêtres les Germains, les archéologues au service du nazisme, 2012, dans lequel il dénonce  la dimension française de la nazification archéologique).
Il faut ensuite attendre 2001 pour que l'activité « préventive » soit réglementée.
Cette loi instaure pour la première fois une redevance pour financer les diagnostics et les fouilles d'archéologie préventive et prévoit la création d'un établissement public administratif de recherche (L'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) à qui la loi confie le monopole des fouilles et diagnostics. Les agents deviennent contractuels de droit public. Et surtout, elle réaffirme le principe suivant : «  l'archéologie préventive constitue un service public national à caractère scientifique dont l'Etat est le garant. »

L'offensive des promoteurs et leurs lobbyistes

Cependant, à peine promulguée, cette loi (déjà accouchée dans la douleur) subit les attaques des aménageurs lobbyistes relayés par leur valets élus à l'Assemblée.
Ils n'auront de cesse de la défaire (assouplissement des procédures de mise en œuvre des opérations archéologiques et  simplification du calcul de la redevance voire sa réduction, alors même que le rendement de la redevance ne suffit pas aux besoins de financement de l'établissement).

Finalement, ils y parviennent et la loi de 2001 est modifiée en profondeur par celle du 1er août 2003, sous le gouvernement Raffarin. Jean-jacques Aillagon, est alors ministre de la Culture (rappelons nous : il attaque si durement le régime des intermittents, que ceux-ci ripostent en bloquant  tous les festivals de l'été 2003...le même décentralise l'Inventaire Général, transfère les monuments d’État aux Collectivités, renforce la politique « d'autonomie » des musées, promulgue une loi sur le mécénat (90 % des sommes investies sont défiscalisées…), et c'est toujours le même qui appelle à voter Hollande en 2012...)
Cette loi transforme le système de financement en créant une taxe (la Redevance d'Archéologie Préventive) exigible pour tous les aménagements supérieurs à 3 000 m2. La Rap alimente le Fonds national d'archéologie préventive (Fnap) qui est créé afin de subventionner les aménageurs dont « le projet pourrait être compromis par le coût des fouilles ». La boucle est bouclée. Et surtout, la loi revient sur le principe du service public de l'archéologie en ouvrant à la concurrence le secteur des fouilles : les boîtes privées vont alors se multiplier, avec le soutien des pouvoirs publics et désormais l'aménageur (qui paye le prix de la fouille) devenu maître d'ouvrage, pourra choisir qui il veut parmi les offres concurrentes.

la lutte des archéologues

Évidement, quelques gardes-fous sont arrachés par la luttes des archéologues, de l'INRAP et des SRA : l'État restera au cœur du dispositif via les services régionaux de l'Archéologie qui prescrivent les fouilles et les diagnostics, en définissent les objectifs scientifiques, désignent le responsable scientifique et contrôlent le bon déroulement des recherches. Les diagnostics resteront une prérogative publique et seront réalisés soit par l'INRAP, soit par un service agréé d'une collectivité locale. (Car la loi renforce également le poids et le rôle des services de collectivités territoriales, pour affaiblir  l'INRAP.) Et les opérateurs privés recevront un agrément soumis à un contrôle de l'État (des fois que Vinci, Eiffage ou Bouygues décident de créer leur propre boîte d'archéologie…)
L'archéologie, est donc devenue, depuis 2003 un secteur concurrentiel comme un autre, basé sur la recherche du profit et dégageant de la plus-value.

L'offensive du privé depuis la loi de 2003

L'analyse et la critique des conséquences de cette loi ne manquent pas, cependant le travail le plus complet à ce jour reste celui de la CGT-Culture (le dossier  est consultable ici : http://www.cgt-culture.fr/IMG/pdf/CGT_Secteur_prive_archeologie_preventive.pdf).
Que nous apprend t-il ?

- Le développement rapide du secteur privé n’a été possible que par un «partage du territoire» entre les principaux opérateurs,un accès aux financements publics via le FNAP.
- Les dérives engendrées par l’introduction de la concurrence commerciale (dumping sur les moyens
d’intervention et d’étude, rupture de la chaîne scientifique, précarisation, etc.), que d’autres pays européens ont connue avant la France, ne font que commencer ...
- L’archéologie préventive est devenue une activité très lucrative, avec des entreprises privées qui dégagent des bénéfices considérables et rémunèrent grassement une poignée d’actionnaires qui développent des stratégies patrimoniales sophistiquées.
- Le contrôle de l’attribution des agréments par l’État est défaillant. L’absence de contrôle exercé par les pouvoirs publics sur ces entreprises privées fait peser des risques importants quant à la pérennité des emplois et entraîne un développement de la précarité pour l’ensemble de la profession.

La recherche effrénée du profit à tout prix

Rien de nouveau sous le soleil, c'est la base du système capitaliste : la recherche de profit préside sur tout autre considération, pour réaliser de la plus-value et remporter les marchés (car quelles boites choisi l'aménageur ? La plus « scientifique » ou la moins chère?) ces entreprises baissent la part variable du capital (cela concerne les salaires, mais aussi les équipements de protection individuel, les bases de vie sur le chantier, etc.). Ce qui engendre une forte dégradation des conditions de travail, et même le recours à  la sous-traitance : sur un chantier dans l'Eure, en 2012, la société AFT a employé des salariés espagnols pendant trois mois sans qu'ils puissent rentrer chez eux et sans les informer du montant de leurs salaires.
On se doute bien que l'aspect scientifique du travail, chronophage et dispendieux, est lui aussi fortement raboté.  L'archéologie est une discipline ambivalente, car elle détruit l'objet de son étude au fur et à mesure qu'elle le met au jour. Une fois le site fouillé, les relations stratigraphiques sont déconstruites et on ne peut y revenir ultérieurement. On mesure donc l'importance de la phase terrain mais la phase « post-fouille » l'est tout autant car les études (des céramiques, des ossements animaux, des graines conservées, des petits objets, etc.) viennent éclairer ce qui a été perçu sur le terrain. Et les données primaires (les vestiges matériels) appartiennent à l'ensemble de la communauté scientifique, qui pourra y revenir, plus tard, ou dans un cadre plus collectif, pour une synthèse par exemple.

Des sites détruits et perdus pour la science

Le scandale le plus connu, illustrant les destructions irrémédiables que ce système engendre est celui d' Oxford Archéologie Méditerranée (boîte anglaise choisie par le Conseil général des Bouches du Rhône...), qui laisse derrière elle un site antique exceptionnel  à moitié fouillé...le reste est détruit, perdu pour la science.
Toutes ces activités, le terrain, les études et analyses, la recherche sont donc revus à la baisse, et, pour réussir à obtenir des marchés, les autres boîtes concurrentes s'alignent…
Tant et si bien que certaines ne tiennent pas le choc : cet été la société Archéoloire a été mise en liquidation judiciaire, laissant 28 salariés sur le carreau et un chantier archéologique en Seine-Saint-Denis à l’arrêt.  De son côté, l’actionnaire de l’entreprise, la holding « Guérande Invest », s’en tire bien : elle a investi 50 000 euros dans « l’affaire » et s’est royalement octroyée, entre juin 2011 et mars 2013, 462 000 euros de dividendes. C’est, à peu de chose près, le montant du déficit de l’entreprise au 30 septembre 2013 (461 297 euros).  On peut encore citer le cas de France-Archéologie, autre entreprise privée, qui ne termine pas ses opérations pour cause de faillite…

« trois os de poulets mérovingiens »

Pas la peine d'être devin pour savoir comment l'histoire se termine : les petites sociétés seront mangées par les plus grosses, l'opérateur public qu'est l'INRAP ne pourra plus faire face très longtemps (sa marge de profit n'est pas assez importante...notamment  car les forces productives sont fortement syndiquées et combatives), l’État n'est pas en mesure de contrôler et encore moins de contrer le dumping scientifique des opérateurs privés et surtout ne le souhaite pas, bien au contraire…
L'archéologie rapporte à quelques capitalistes, assurément. Mais pour tous ces gens, ministère en tête, le mieux serait de réduire davantage la part « recherche » de l'activité. La ministre l'a demandé à ses services, les Préfets de région et les directeurs des services déconcentrés l'ont bien relayé : il faut prescrire moins de fouilles (ça retarde les chantiers et ça coûte cher et après tout, pour  trouver « trois os de poulets mérovingiens et laisser des trous », pour citer l'ancien ministre de la culture Mitterrand, ça ne vaut peut être pas le coup…). Pour fouiller moins, il faut aussi prescrire moins de diagnostics : « les techniques alternatives de sondage, en particulier par auscultation non-destructrice, seront développées afin de rendre les diagnostics plus rapides ». Sous couvert de « simplification administrative (c'est une des mesures du package sur les 50 mesures de « simplification ») on ouvre un nouveau marché juteux pour les boites de géophysique. Peu importe si ces méthodes ne fonctionnent pas pour caractériser un site archéologique, ni identifier les structures complexes et stratifiées, ce n'est pas le but…

Les dégâts engendrés par la privatisation de la recherche archéologie sont aujourd’hui considérables et le système est sur le point d'imploser. Sans surprise, Filippetti, l'ex ministre de la Culture, n'a pas eu le courage d'aller au bout de ses engagements en re-nationalisant l'archéologie et en redonnant le monopole des fouilles à l'INRAP. L’archéologie est une ressource « finie », on ne peut continuer à laisser ces profiteurs saccager ce bien commun, ce patrimoine commun de l'Humanité. La lutte continue...



Julie Charmoillaux
26 novembre 2014

Modifié le dimanche 30 novembre 2014
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