Le parti de gauche et le combat laïque

Laïcité «Canada Dry»

Alors que viennent de se tenir à Paris des " ateliers législatifs du parti de gauche ", deux secrétaires nationaux du PG, appellent à repartir à l'offensive sur la question laïque. Il est rappelé que la gauche a démissionné de ce combat essentiel pour la démocratie sociale et que, de ce fait, elle ouvre la porte à des dérives inquiétantes. A juste titre, le PG dénonce les dérives de petits groupes comme le répugnant journal " Riposte Laïque ". Des courants ou associations issues de l'humanisme déplacent le curseur du combat laïque vers l'islam et non plus vers les liens qui unissent la Vème République à la hiérarchie catholique.
Parmi elles l'UFAL dont le responsable Bernard Trepper est membre du Parti de Gauche. La réalité derrière les discours...

Lorsque Nicolas Sarkozy est allé, en qualité de chanoine du Latran, s'agenouiller aux pieds de Benoit XVI, deuxième pape après Jean Paul II issu de l'Opus Dei, Jean Luc Mélenchon a tenu une série de conférences et édité une brochure pour dénoncer cette rupture dans la tradition républicaine de la France. En d'autres temps De Gaulle, Pompidou et Mitterrand avaient diplomatiquement écartés cette distinction émanant de l'Eglise de France, issue d'une tradition monarchique où la France se définissait comme la fille aînée de l'Eglise. Les propos tenus sur l'instituteur, qui ne pourra jamais se hisser à la hauteur d'une vocation spirituelle, celle du prêtre, avaient profondément heurté la conscience laïque. Juste aussi le passage du chef de l'Etat du côté du fondamentalisme américain et des thèses de Huttington sur le choc des civilisations. Toutefois la dénonciation, aussi justifiée soitelle, restait sur le terrain philosophique. Cela ne coûte pas cher...

Une cathédrale dans l'Essonne...

Observons maintenant sous quel angle deux secrétaires nationaux du PG posent la question de repartir à l'offensive sur la question laïque. Le point d'appui est la référence à la loi de 1905 dans ce qui est énoncé dans son article 2, " la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ".

Citons : " Aujourd'hui c'est ce principe qui est le plus mis à mal. Chacun y va de son obole. En voici quelques exemples. Ici, la droite aixoise (1) attribue des financements bien au-delà de la loi pour l'entretien d'une école privée confessionnelle. Là, c'est le conseil municipal de la ville des Lilas, en Seine Saint-Denis, dirigé par un maire socialiste qui vote plus de 4 millions d'euros de dépenses publiques pour la construction d'une nouvelle église. Ailleurs, ce sont des financements publics qui participent à la construction de Mosquées. A Paris, la Ville finance régulièrement de coûteux travaux dans des bâtiments religieux, elle subventionne des crèches confessionnelles, et comme d'autres, prétexte du culturel pour financer du cultuel. La liste est longue de tous ces piétinements des principes exercés ici ou là, par des élus de gauche comme de droite, au profit de l'ensemble des cultes présents sur le territoire. "

On pourrait rappeler aussi que c'est, sous un gouvernement présidé par François Mitterrand, que le ministère de la culture de Jack Lang, a octroyé une subvention publique destinée à aider la construction d'une cathédrale à Evry, à hauteur d'1/12ème du coût global de l'édifice : il n'a pas échappé à ceux qui ont combattu cette initiative qu'il s'agissait là d'une première depuis la loi de 1905, et d'un signe donné par les pouvoirs publics à tous ceux qui n'ont eu de cesse de combattre la législation laïque de la France. Je me permets toutefois d'énoncer qu'à l'époque Jean Luc Mélenchon avait été premier secrétaire de la fédération socialiste de l'Essonne depuis 1981 et qu'il était devenu sénateur de la République dans ce même département... Je n'ai pas vu beaucoup les troupes de la Gauche Socialiste s'opposer à cette félonie et nous, les laïques, à l'époque nous étions bien seuls pour mener le combat.

De Pétain à De Gaulle...

Mais surtout l'aide à la construction d'édifices religieux, s'il est une remise en cause du principe de laïcité, n'est que l'arbre qui cache la forêt. l'essentiel de l'aide publique depuis 50 ans porte sur l'école et le corps législatif imposé par la loi Debré dès la naissance de la Vème République. l'état ne salarie et ne subventionne aucun culte, cela signifie dans le domaine de l'éducation renouer avec le mot d'ordre fondateur du mouvement laïque et du CNAL en 1962, à savoir : " Fonds publics à l'école publique, fonds privés à l'école privée ! " Au lieu de cela, le PG prend pour cible une modification apportée à la loi de 1905 dans son article 19 par le gouvernement de l'Etat français du maréchal Pétain.

Voici l'article 19 de la loi du 9 décembre 1905 : il s'agit de l'article définissant les associations cultuelles (et non culturelles qui relèvent de la loi de 1901), qui imposent aux communautés religieuses de les constituer aux fins de gérer leurs biens ou patrimoines de manière totalement privée et séparée de toute relation d'autorité ou de cogestion avec les pouvoirs publics.

La loi stipule ceci : " Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte et être composées au moins : Dans les communes de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ; dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ; dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse.
Chacun de leurs membres pourra s'en retirer en tout temps, après payement des cotisations échues et de celles de l'année courante, nonobstant toute clause contraire. Nonobstant toute clause contraire des statuts, les actes de gestion financière et d'administration légale des biens accomplis par les directeurs ou administrateurs seront, chaque année au moins, présentés au contrôle de l'assemblée générale des membres de l‘association et soumis à son approbation.
Les associations pourront recevoir, en outre des cotisations prévues par l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Elles pourront verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d'autres associations constituées pour le même objet.
Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux monuments classés. [phrase modifiée in fine par le décret n° 66-388 du 13 juin 1966 art. 8, JO du 17 juin 1966 : édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques
] " (Soulignons au passage que c'est le régime gaulliste de la Vème République que l'édifice soit ou non classé par les Beaux Arts)

Voici la modification apportée par le régime de Pétain : " Les associations cultuelles pourront recevoir, dans les conditions déterminées par les articles 7 et 8 de la loi des 4 février 1901-8 juillet 1941, relative à la tutelle administrative en matière de dons et legs, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l'accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles. [Dispositions ajoutées par la loi n° 42-1114 du 25 décembre 1942, JO du 2 janvier 1943] " Citons la référence à la loi du 4 février 1901 induite dans ce paragraphe, portant sur la tutelle administrative en matière de dons et de legs : "Article 7 : Dans tous les cas où les dons et legs donnent lieu à des réclamations des familles, l'autorisation de les accepter est donnée par décret en Conseil d'Etat. Article 8 : Tous les établissements peuvent, sans autorisation préalable, accepter provisoirement ou à titre conservatoire les dons et legs qui leur sont faits. "

Ce paragraphe ajouté par le régime de Vichy concerne les dons et legs. Tout citoyen peut s'il le désire, faire un don ou léguer ses biens à une association religieuse ou caritative. Dans le cas d'un legs, certaines associations ont constitué une fondation habilitée à recevoir des legs. En aucun cas dans ce texte il ne s'agit de subventions publiques. Je m'étonne que dans un parti aussi centralisé que le PG, où rien n'échappe au président fondateur, la ficelle soit aussi grosse. En effet, en tant qu'ancien sénateur, Jean Luc Mélenchon a une grande habitude des arcanes et des roueries propres aux textes législatifs. Ce n'est pas le régime de Vichy, même si son personnel politique pouvait le souhaiter et si la hiérarchie le soutenait, qui portera atteinte frontalement aux lois laïques, mais le régime gaulliste issu du coup d'Etat de 1958, et qui introduira le financement public de l'école privée, confessionnelle et catholique à 90%.

Alignement sur l'Eglise...

Si nous parlons de reprendre l'initiative sur la question laïque, cela ne peut se faire qu'autour du mot d'ordre fondateur : " fonds publics à l'école publique ! fonds privés à l'école privée ! ". Cela remet les pendules à l'heure vis-à-vis de tous ceux qui cherchent à détourner l'attention et à déplacer le curseur vers l'Islam, position qui au nom de la laïcité débouche sur le racisme. Quant au populisme d'extrême droite et au FN, ce dernier cherche depuis sa fondation à capter l'électorat de la droite catholique, le mot d'ordre des laïques sera alors suffisamment explicite pour retirer à cette formation toute légitimité d'utiliser une référence à la laïcité.

La question qui reste posée vis-à-vis du PG en conclusion est la suivante : pourquoi cette organisation, qui prétend faire rebondir la gauche sur la question laïque, fait-elle ce détour alambiqué et faux sur un texte du régime de Pétain et ne reprend-elle pas à son compte la revendication qui était au coeur du combat laïque fondateur du CNAL ? Dans la dernière période historique, quelle a été la position de la socialdémocratie sur la question laïque ? Les premières dérives apparaissent dans les années 1972 dans l'évolution de l'ex-FEN (Fédération de l'Education Nationale), puis le colloque du CNAL de juillet 1972 voit l'entrée de la CFDT et des courants politiques de la gauche de l'Eglise (ACO, Vie Nouvelle) dans le cartel d'organisations le soutenant. Dans le même temps, ces mêmes organisations, fondées sur les principes de Rerum Novarum, sont partie prenante de la renaissance du parti socialiste à Epinay en 1971. C'est la FEN qui promeut le grand projet d'Unification Laïque de l'Education Nationale, c'est-à-dire une unification dans un même service d'enseignement des deux écoles, avec reconnaissance du caractère propre de l'école confessionnelle. Ce projet sera porté par le gouvernement de François Mitterrand et son ministre de l'Education Nationale, Alain Savary en 1982-1984. Le camp laïque se mobilisera dans un climat où les organisations de gauche laisseront se développer la plus grande ambigüité sur le fond et sur les mots d'ordre, tandis que l'Eglise, après avoir mobilisé ses troupes grâce à ses différents réseaux et le maillage territoriale des UNAPEL (Association de parents de l'enseignement privé) contre le gouvernement socialiste, finira par refuser le plan Savary : il n'était pas question pour elle que ses personnels deviennent des fonctionnaires de l'Etat, même si Savary faisait toutes les avances possibles pour que soit garanti dans le service public unifié le caractère propre. Depuis nous sommes revenus au statu quo défini par la loi Debré, mais aggravé dans le sens d'une aide accrue à l'enseignement privé catholique sous les gouvernements de gauche, rappelons sur ce point le protocole Lang-Cloupet.

Faux-semblant...

Je ne suis pas sûr que ce vieux serpent de mer de l'Unification dite " laïque ", produit des dérives et des trahisons de la social-démocratie soit mort. Et quand je vois la démarche alambiquée du Parti de Gauche dans ces ateliers législatifs, j'ai toutes les raisons de penser que la rupture avec la social-démocratie est loin d'être effective. De revendication simplement républicaine et démocratique au moment de la loi Debré, la question du financement des religions, et il s'agit essentiellement de la hiérarchie catholique, pose aujourd'hui de manière beaucoup plus politique la question du démantèlement des institutions de la Vème République : le gaullisme s'est imposé par un coup d'Etat, comme tous les bonapartismes il avait besoin de rétablir les relations " du trône et de l'autel ", utiliser la religion comme " une gendarmerie des consciences ", pour reprendre le mot de Marx. Si combat laïque il doit y avoir, le courage politique devrait consister à poser la question du renversement d'institutions complètement rétrogrades. Quand on pense que l'école privée aujourd'hui est scandaleusement financée, alors que la hiérarchie catholique est incapable, du fait de l'effondrement de ses effectifs membres du clergé, de gérer ses propres écoles et qu'elle en confie la direction à des " laïcs "... Quand on pense que la France prétendument laïque, si l'on prend le cadre européen, est l'état qui en proportion finance le plus ses écoles privées confessionnelles, bien au-delà de ce qui est pratiqué dans les états qui sont sous régime concordataire... Tous ces problèmes-là, un parti qui revendiquerait le drapeau de la laïcité, devrait les poser avec courage et détermination. Mais le Parti de Gauche, là comme ailleurs, c'est comme le Canada Dry, ça a l'apparence du combat laïque, ça a l'agitation et les effets de tribune du combat laïque, mais ce n'est pas le combat laïque.

Robert Duguet,
8 février 2011.

Précisons " au-delà de la loi " signifie au-delà de la loi Debré, c'est-à-dire du contrat d'association qui lie un établissement confessionnel à l'Etat et au terme duquel l'Etat verse une subvention publique. Soulignons là qu'il ne s'agit pas de remettre en cause le dispositif de la loi Debré et d'une manière générale des lois anti laïques mais ce qui est attribué au-delà de ce que la loi Debré autorise. NDLR : Cet article est reproduit, avec l'autorisation de son auteur, du site " Socialisme maintenant ". Les sous-titres sont de la rédaction de " La Commune "

Modifié le lundi 05 septembre 2011
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