La casse de la fonction publique est en marche !

Alors que la loi du 6 août 2019 constitue une attaque sans précédent contre la fonction publique, ses personnels (5,5 millions dans ses trois versants) découvrent aujourd’hui, par ses décrets d’application, la portée de textes destructeurs à plus d’un titre. Il nous a semblé important de dresser un tableau des principales mesures qu’elle contient.

La casse de la fonction publique est en marche !
(Photo : Reuters)

Comme nous l’avons écrit dans notre précédent numéro, cette loi, boîte à outils en « ressources humaines », vise un vaste plan de suppressions d’emplois dans la fonction publique (120 000 postes supprimés) et accompagne les restructurations et démantèlements qui ont été annoncés dès 2017, dans le cadre du plan Action Publique 2022.

Le service public, « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »

Cette attaque s’inscrit dans la continuité de réformes qui, toutes, ont eu pour objet de mettre à bas les avancées historiques que constituent la Sécurité sociale, les nationalisations d’entreprises, le développement de services publics, les statuts protecteurs de leurs personnels, et qui ont été arrachées à une bourgeoisie affaiblie et compromise au sortir de la seconde guerre mondiale. A ce titre, le préambule de la Constitution de 1946 (« Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ») apparaît en contradiction avec les intérêts capitalistes dont le principe premier est l’accumulation de la richesse dans des mains privées. Cette appropriation collective qu’incarnent les entreprises et services publics (éducation, santé, recherche, transports, énergie…) est d’autant plus insupportable pour le capitalisme que ce dernier traverse l’une de ses plus graves crises.

Or, alors qu’une part croissante de la population est rejetée dans la misère, le service public incarne encore un lien social et un filet protecteur, selon le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Le mouvement en Gilets jaunes l’a porté dans ses cahiers de doléances. Emmanuel Macron, représentant de la grande bourgeoisie et des intérêts du capital, poursuit naturellement la politique de casse de ses prédécesseurs. « Un gouvernement moderne n’est qu’un comité qui administre les affaires communes de toute la classe bourgeoise » résumaient Marx et Engels dans le Manifeste.

Contre le statut, le recours au contrat

La loi du 6 août ne s’embarrasse d’aucun détour pour supprimer par milliers des postes de fonctionnaires et miner la fonction publique. En premier lieu, alors qu’on y dénombre déjà plus d’un million de contractuels, elle généralise le recours au contrat sur l’ensemble des besoins permanents de toutes catégories, y compris les emplois de direction. Est ainsi répudié le recrutement statutaire par concours, égalitaire, à valeur légale et réglementaire, excluant clientélisme et arbitraire de l’employeur et garantissant un minimum d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Le recrutement statutaire offre à l’agent détenteur de son grade une stabilité et une possibilité de mobilité que n’offre pas le contrat attaché à un poste qui, on l’aura compris, ne sera qu’exceptionnellement à durée indéterminée. On imagine aisément ce que des responsables en « ressources humaines » pourront tirer de ce mode de recrutement. Il est ainsi précisé dans le décret d’application du 19 décembre 2019 (article 3) que « Le ou les entretiens de recrutement sont conduits par une ou plusieurs personnes relevant de l’autorité hiérarchique…dans des conditions adaptées à la nature de cet emploi … ».

Afin d’éliminer toute candidature indésirable, il est ajouté que « l’autorité de recrutement peut, le cas échéant, écarter toute candidature qui, de manière manifeste, ne correspond pas au profil recherché pour l’emploi permanent à pourvoir, au regard notamment de la formation suivie ou de l’expérience professionnelle acquis e. » Notamment… Les avis de vacance doivent bénéficier d’une publicité « suffisante » et le délai pour candidater, ne jamais être inférieur à un mois, « sauf urgence » …

Le contrat de projet, emploi jetable

Enfin, par son article 17, la loi du 6 août instaure le « contrat de projet », emploi jetable et précarisé à outrance, qui ne saurait aboutir à un CDI. Ainsi, « Les administrations de l’Etat…peuvent, pour mener à bien un projet ou une opération identifiés, recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération ». D’une durée minimale d’un an, avec période d’essai et « possibilité de la renouveler », ce contrat « peut être rompu par décision de l’employeur lorsque le projet ou l’opération ne peut pas se réaliser… ». Quant à la rémunération, le décret d’application daté du 27 février 2020, stipule lapidairement qu’elle « peut faire l’objet de réévaluation au cours du contrat, notamment au vu des résultats de l’entretien professionnel… ». La perversité est ici à son comble. Plus productif sera l’agent contractuel, plus vite prendra fin son contrat, avec le bâton ou la carotte de la réévaluation salariale!

En avant les restructurations !

Ritournelle de cette loi, la « restructuration » de service, avec suppressions de missions et d’emplois, détermine des dispositifs d’« accompagnement » pour les mobilités contraintes.

« Le fonctionnaire dont l’emploi est supprimé est affecté dans un emploi vacant correspondant à son grade au sein d’un service du département ministériel dont il relève, dans le département où est située sa résidence administrative . », correspondant donc à son lieu de travail et non à son lieu de domicile.

Sans poste vacant disponible, le fonctionnaire pourra demander « une priorité de mutation ou de détachement dans tout emploi...de son ministère…sur l’ensemble du territoire national » ou, en dernier ressort dans un autre ministère du département ou de la région de sa résidence administrative. La priorité ne garantit nullement le recrutement, du simple fait du nombre réduit de postes vacants et du nombre élevé de candidatures également « prioritaires » ou bien de « la limite d’un pourcentage » réservé aux demandes d’agents sans affectation. Les Commissions Administratives Paritaires (CAP) ne siégeant plus pour l’examen des demandes de mutation, la messe est dite! Quant aux fonctionnaires territoriaux privés d’emploi, la dégressivité de leur rémunération est accrue (à 100% pendant un an au lieu de deux précédemment), en supprimant le principe d’une rémunération-plancher de 50%, avec licenciement à l’issue de la période de prise en charge (10 ans).

De la rupture conventionnelle…

Le décret d’application du 31 décembre 2019 institue « une procédure de rupture conventionnelle » pour les fonctionnaires et agents contractuels de la fonction publique. Cette procédure entraîne radiation des cadres ainsi que le versement d’une indemnité tenant compte au maximum de 24 ans de service (soit au maximum 24 mois de la rémunération brute annuelle). Ainsi, lorsqu’elle souhaitera se séparer d’un agent, l’autorité hiérarchique le convoquera-t-elle à un entretien afin de lui indiquer le motif de la demande et la date de cessation de ses fonctions. Ou comment mettre la pression pour pousser vers la sortie, la mise au placard ou la surcharge de travail accompagnant d’autant mieux cette procédure.

…au transfert au privé

Pour terminer cet aperçu des dispositifs « RH », cette loi scélérate permet, « à la demande de l’intéressé » et durant un an, de « mettre à disposition auprès d’un organisme ou d’une entreprise » du « secteur concurrentiel », un fonctionnaire payé par son autorité d’emploi, avec un « remboursement partiel de la rémunération de l’intéressé par l’organisme ou l’entreprise » qui ne peut être inférieur à 50% de la rémunération mensuelle brute (article 15 du décret d’application du 23 décembre 2019). Voilà une main-d’œuvre à bas coût pour le secteur privé.

Plus brutalement, elle autorise, par son article 76, de transférer une activité de droit public employant des fonctionnaires à une personne morale de droit privé et de les détacher d’office sur un CDI. « Lorsque le contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil prend fin, le fonctionnaire opte soit pour sa radiation… soit pour sa réintégration de plein droit… ». Et lorsqu’il est « licencié », il est réintégré « de plein droit » dans son corps d’origine. Rien ne dit, par exemple pour faute professionnelle, qu’il ne puisse être radié des cadres.

Il est évident que seule la lutte collective, et non les recours individuels, permettra d’abattre et d’obtenir l’abrogation de telles attaques.

A suivre,

Dans le prochain numéro : disparition des Commissions Administratives Paritaires (CAP), des Comités Techniques (CT), des Comités Techniques, d’Hygiène, Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), des comités médicaux et des commissions de réforme.




Pierre-Yves Chiron,
29 février 2019

Modifié le mercredi 11 mars 2020
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