Vers un Parti socialiste unifié ?

VenezuelaNous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Gonzalo Gómez, l'un des fondateurs du site web Apporea et membre de cette agence de média alternatifs, participant actif à différents mouvements sociaux et membre du courant " C-CURA " (Courant de Classe Unitaire, Révolutionnaire et Autonome) de l'Union Nationale des Travailleurs (UNT), la centrale syndicale vénézuelienne. Cet entretien a été publié dans Alternativa Socialista, l'organe du Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) d'Argentine.Que signifie l'appel de Chávez à construire le Parti socialiste unifié du Venezuela ?

Gonzalo Gómez : C'est la discussion clef du moment, celle qui focalise toutes les attentions. Dans le cours de la campagne électorale, Chávez a lancé un appel pour la constitution d'un parti " unique " de la révolution. Une fois sa victoire confirmée, il a posé comme condition pour ouvrir cette nouvelle étape de construction du " Socialisme du XXIe siècle " la dissolution des partis qui sont au gouvernement ou qui le soutiennent, pour constituer le Parti socialiste unifié du Venezuela. Il exige que cela ne soit pas un simple sigle, indiquant que ceux qui désirent être au gouvernement pour se remplir les poches et exercer des pouvoirs devront renoncer à leur charge, il fustige le bureaucratisme et la corruption mais sans nommer personne précisément. Chávez appelle à un processus accéléré de discussion et de structuration de ce parti, qui est censé être dirigé par des responsables élus par la base et non désignés comme cela arrive souvent et comme il lui est arrivé de le faire lui-même à de nombreuses reprises. Celui qui voudra faire bande à part - c'est ainsi qu'il le dit - avec le processus révolutionnaire ne pourra entrer dans le gouvernement.

Les partis du gouvernement

Cette politique de Chávez semble répondre, d'un côté, à l'impérieuse nécessité de pouvoir s'appuyer sur une direction unifiée et cohérente, compte tenu de la multiplicité d'organisations politiques, corporatives, de groupes de pression, avec leurs contradictions et leurs querelles et à ce que tout le monde constate au Venezuela : la population vote pour Chávez mais pas pour les partis qui s'en réclament et qui ne représentent pas grand-chose par rapport à lui, le dirigeant incontesté de la révolution. La situation a atteint un tel point qu'il a demandé la dissolution de son propre parti, le MVR (Mouvement Pour la Ve République), qui est celui qui recueille le plus de votes, et de très loin.
Mais il y a une autre réa­lité que la population voit et sent et que Chávez perçoit, lui aus­si. C'est le rejet qu'inspirent ces partis, malgré les voix qu'ils re­cueillent en son nom. Ce­la s'est vu dans le ni­veau élevé d'abstentions aux élections municipales. Il est très fréquent d'entendre que les ministres, et les gouverneurs, les maires et les fonctionnaires des ministères ne font pas ce que dit Chávez, ils font le contraire ou sabotent les mesures gouvernementales prises en faveur du peuple qui affectent de puissants intérêts économiques. Au fur et à mesure, la population se rend compte que les corrompus sont entrain de miner le processus.

Une leçon

Face à cela, il existe des groupes et des courants de militants ouvriers et paysans qui montrent de la méfiance et qui défendent leur autonomie et leur liberté d'action à l'intérieur du processus. Ces groupes sont considérés comme " anarchistes " par des fractions du gouvernement, alors que souvent leur action a contribué à la mobilisation du peuple dans des situations dangereuses, grâce à leur désobéissance manifestée à l'égard des dirigeants politiques plus " assis ". Un exemple : la période du 11 au 13 avril 2002, pendant laquelle ils ont essayé de coordonner les militants dans les quartiers pour organiser la mobilisation contre l'imminent coup d'État contre-révolutionnaire, alors que la ligne officielle était de rester à la maison ou d'aller travailler car il était dit que le lockout patronal était vaincu, que l'armée était sous contrôle et qu'il ne fallait pas se rassembler dans la rue pour ne pas tomber dans les provocations. Résultat, l'appel à la population pour défendre le gouvernement n'a pas reçu l'appui nécessaire, et le coup d'État réactionnaire a eu lieu. Chávez est tombé, mais la puissante mobilisation spontanée du peuple révolutionnaire a répliqué immédiatement et dans l'unité avec les secteurs loyaux de l'armée, mis à bas ce gouvernement éphémère et rétabli Chávez au pouvoir. Il semble que de nombreux hommes politiques du gouvernement n'ont rien appris de cette leçon historique. Le Parti Socialiste Unifié du Venezuela, ou quel que soit son nom, devra assimiler ces leçons et entretenir de bons rapports avec ces courants révolutionnaires qui ne font pas partie de ses rangs et toujours chercher à la fois l'unité dans la lutte à partir du débat démocratique et l'action pratique en commun autour d'accords de base, s'il prétend vouloir gagner la confiance de tous les secteurs combatifs du peuple.

Unité

Mais contradictoirement, une bonne partie de ce mouvement populaire qui rejette la bureaucratie se sent attirée par la proposition du parti unique, la comprenant réellement comme l'" unité " et non comme une imposition monolithique, une " unité " qui doit servir à renouveler les directions et établir la participation démocratique dans la conduite du futur parti de gouvernement. Mais d'un autre côté il y a un manque de confiance, car il se demande si le Régime interne, conçu pour ce parti unique, permettra que se développe, dans un cadre d'un véritable respect de la diversité, le débat démocratique, ou s'il se verra écrasé par une discipline tyrannique imposée par la direction et les sommets qu'il a toujours connus. Dans ce domaine, les partis qui vont se dissoudre dans la structure unifiée ne sont pas des modèles admirés et respectés.

Quel parti ?

Parmi les thèmes clefs qu'il faut aborder dans la discussion sur le Parti Socialiste Unifié, il y a celui de son objectif historique, comme instrument d'organisation et de direction politique des travailleurs, des paysans, des secteurs populaires et de leurs alliés, pour la mobilisation, l'organisation de la lutte afin d'obtenir la défaite des forces du capital intérieur et impérialiste, la prise effective et totale du pouvoir, pour consolider la seconde indépendance, la souveraineté nationale et transformer l'État bourgeois, pour développer la démocratie du peuple et avancer dans la construction d'un nouvel État contrôlé par le pouvoir populaire et construire une société socialiste, sans exploiteurs, sans grands propriétaires agricoles, sans multinationales, sans corrompus ni bureaucrates, qui permettra d'élever le niveau de vie de tout le peuple qui lui apporte les meilleures conditions de sécurité et les meilleures chances de bonheur. Un parti disposé à impulser tous les combats nécessaires dans une union révolutionnaire avec tous les peuples qui luttent contre l'exploitation pour leur libération et pour la préservation de la vie sur cette planète.

Comment préparer la construction de ce parti ?

G. G. : Dans les discussions à la base et parmi les cadres moy­ens, à propos de la composition et de la direction de ce parti, surgissent des propositions très intéressantes. Par exemple, j'ai participé à une réunion de militants qui s'est con­clue par une résolution, adoptée dé­mocratiquement par un vote unanime, qui dit : " les militants du PSUV ne doivent être ni latifundistes ni capitalistes, au contraire ils doivent être des compatriotes avec un niveau moral élevé, humanistes, et engagés dans la révolution [...] Ils doivent être l'expression de l'unité du peuple ; c'est-à-dire du peuple organisé exerçant le pouvoir d'État [...] Ils doivent être des militants confirmés [...] mener une guerre à mort contre la corruption, le bureaucratisme, le clientélisme de partis et l'inefficience dans les structures de l'État [...] Ces représentants doivent être élus par la base [...] Ils ne doivent pas permettre la mainmise sur le PSUV par n'importe quelle élite ou individualité ".

La place des révolutionnaires

Ces nombreuses prises de position ressemblent à celles que nous avons toujours défendues et qui recoupent le sentiment et l'opinion générale de très larges secteurs. La grande majorité des mouvements de masse, de l'activisme populaire, des travailleurs, des paysans, de la jeunesse, répond positivement à l'appel et s'intègre à ce que devra être le PSUV dont le nom, le programme politique et la forme n'ont pas encore terminé d'être définis. La population veut participer à cela, ne veut pas que cela lui soit imposé d'en haut, sinon cela se videra tôt ou tard.

Comment les révolutionnaires y participent-ils ?

G. G : Les révolutionnaires ne peuvent rester isolés au nom de la pureté révolutionnaire, nous devons être là où est le peuple, faire l'expérience avec lui, construire la théorie et la pratique avec lui, apprendre et partager les savoirs, aider à la formation et continuer notre propre formation en assimilant ce qui est nouveau et différent, tout ce qui existe dans tout processus révolutionnaire. La présence des militants organisés est fondamentale dans la participation au mouvement social vivant, pour transmettre et préserver l'intégrité de l'arsenal idéologique et l'expérience historique du combat révolutionnaire qui contribuent à créer les antidotes nécessaires pour défendre les milliers de militants en formation des périls de l'autoritarisme de l'opportu­nisme, de l'arrivisme ainsi que de l'avant-gardisme ultra-gauche. Nous qui nous sommes formés dans le cadre du trotskysme, qui avons recueilli le meilleur de la tradition bolchevique sans dogmatisme, qui avons été toujours sur la ligne de l'antibureaucratisme, pour la démocratie ouvrière nous devons nous regrouper avec les autres courants militants afin de travailler à l'intérieur du nouveau parti unitaire pour réaliser ces conditions sans lesquelles ce parti ne pourra jamais être un véritable parti révolutionnaire. Sur ce chemin se détermineront les choix et les destins.
Modifié le lundi 02 avril 2007
Voir aussi dans la catégorie Venezuela
Chavez et Maduro en 2011Contre l’interventionnisme et les menaces militaires impérialistes

Nous reproduisons des extraits du texte publié sur le site apporea.org par nos camarades vénézuéliens de Marea Socialista.

La crise au Venezuela atteint un niveau sans précédentLa crise au Venezuela atteint un niveau sans précédent

Contre la faim, la répression, la mort et la décadence sociale, le mécontentement se voit partout. Tous les jours, les mobilisations dans les rues sont énormes. Le phénomène n’a rien à voir...

Où va le Venezuela ?Où va le Venezuela ?

Pour comprendre la situation et lever le voile sur les informations qui sont diffusées dans le monde, inutile d'écouter la coalition de droite (MUD) pro-impérialiste ni la version du président...

Nicolas MaduroAu cœur du marasme, un pôle anticapitaliste de masse prend corps

Le Venezuela traverse une crise économique et politique majeure : le pays miné par la chute du cours du pétrole, dans la mesure où 90 % de ses revenus proviennent de la vente de l’or noir, a...

Dilma Rousseff et Michel TemerL’Amérique latine et les défis de la gauche

L’Amérique latine entre dans une phase de changements, avec de nouveaux processus, de nouveaux gouvernements, l'échec de projets antérieurs et une nouvelle politique des USA vis à vis de la...

Pour un nouveau pôlePour un nouveau pôle

Nous reproduisons ici un article paru dans le numéro 663 de la revue Alternativa Socialista, sur les derniers développements au Venezuela.



HAUT