Syndicat et parti

VenezuelaVoici la retransciption d'une entrevue accordée par Orlando Chirino à trois semaines du Congrès de l'UNT (Union nationale des travailleurs, centrale syndicale en pleine expansion au Venezuela). Orlando Chirino est coordinateur national de l'UNT, membre de son courant lutte de classes, dirigeant du Comité d'initiative pour la construction du " Parti Révolution et Socialisme " et par ailleurs membre de l'Unité Internationale des Travailleurs (UIT-IVe Internationale). Il défend une orientation syndicale et politique indépendante et résolument ouvrière et révolutionnaire. La Commune : Quand on parle d'approfondir le processus révolutionnaire, est-ce que cela passe aussi par la " cogestion dans les entreprises et sur les lieux de travail ?

Orlando Chirino : Bien sûr, nous revendiquons la généralisation de la cogestion du pays, comme mot d'ordre démocratique. Il faut se souvenir que la participation des travailleurs est inscrite dans l'actuelle Constitution, et signifie une conquête très importante puisqu'elle suppose le contrôle social et s'oppose à la bureaucratisation. Mais le gouvernement a commencé à freiner le processus co-gestionnaire, surtout dans le secteur pétrolier et dans celui de l'électricité, sous le prétexte qu'il s'agit de secteurs stratégiques qui courent le risque de rester aux mains de la droite si on y applique la cogestion. Notre point de vue est à l'opposé de cette vision.

Pendant les derniers lock-out patronaux en 2002 et en janvier-février 2003, les travailleurs de ces secteurs ont montré leur capacité à défaire les plans impérialistes et à remettre la production en marche afin de garantir l'approvisionnement du pays en énergie. C'est pourquoi nous ne comprenons pas, alors que la production a repris son cours normal, qu'il n'y ait pas le contrôle ouvrier. Nous analysons ce recul comme une concession politique faite par le gouvernement aux secteurs réactionnaires. Pour notre part, nous revendiquons la co-gestion comme programme de transition et pour une prise de conscience socialiste.


l'UNT, la cogestion et les coopératives


L. C : Le gouvernement présente les coopératives comme un autre axe pour construire la démocratie participative ...

O. C : Pour nous, à l'UNT, le premier outil d'organisation et de participation est le syndicat. C'est pour cela que nous sommes contre un coopérativisme opposé aux négociations collectives ou au droit syndical. Nombreux sont ceux qui utilisent les coopératives pour la précarisation du travail, la flexibilisation et les contrats à durée déterminée. Aujourd'hui, la majorité des coopératives du pays sont engagées dans ce type de relation : 4 ou 5 personnes sont les patrons de la coopérative et prennent des gens sous contrat pour un temps limité, avec des bas salaires et sans droit syndical, comme des " petites entreprises ". Tout ceci en contradiction évidente avec le discours gouvernemental sur la construction du socialisme. Il existe même un secteur en faveur de la transformation des coopératives en entreprises, qui conduit à déguiser l'exploitation de la main-d'oeuvre, pour le plus grand profit des grandes entreprises qui les sous-traitent comme prestataires de services sans être obligées d'en passer par les règles de la négociation collective et par les syndicats.

De plus, cela leur permet de recevoir les subventions publiques distribuées par l'État à ce type de coopératives. Il est vrai que de nombreuses coopératives permettent de résoudre de graves problèmes immédiats, ceux des plus pauvres : celles qui distribuent des repas aux indigents, par exemple. Ces coopératives sont complémentaires. Mais fondamentalement, nous croyons qu'au Venezuela, avec toutes nos richesses, on peut créer des emplois dignes et permanents, et pas ces emplois précaires, instables et à durée limitée qui existent dans les coopératives.


Le combat pour l'indépendance de classe


L. C : l'UNT a annoncé qu'elle tiendrait son congrès national les 30, 31 mars et le 1er avril 2006. À cette occasion, quels sont les sujets de discussion et quels sont les problèmes à résoudre ?

O. C : Le premier problème à résoudre, c'est la tenue, enfin, de ce congrès national. Au congrès de fondation de l'UNT, il avait été décidé de procéder à des élections pour mettre en place une direction démocratique et une réforme des statuts dans l'année suivante. Trois ans ont passé et nous n'avons toujours pas appliqué les résolutions de ce congrès, parce qu'il existe à l'intérieur de l'UNT des courants qui ne veulent pas se soumettre à la consultation de la base. La réforme des statuts est destinée à démocratiser de manière radicale notre organisation pour qu'au mois de mai aient lieu les élections de la direction, de manière directe et à bulletins secrets à tous les niveaux.

S'il en est ainsi, nous serons la première centrale syndicale ouvrière dans le monde à avoir un comité exécutif élu de cette façon. Ensuite, il faudra ratifier le cadre principiel de l'UNT : autonome et indépendante du patronat, de l'État et des partis politiques.


L. C : Actuellement, ce n'est pas le cas ?

O. C : Si, c'est le cas, mais il y a de fortes pressions et un courant interne [le FBT, Front Bolivarien des Travailleurs] qui revendique le " gouvernementalisme ", c'est-à-dire que pour eux la centrale doit être un appendice du gouvernement. Il faut insister sur une meilleure information de la base, le comité exécutif ne peut débattre portes closes sans informer les travailleurs. De même en ce qui concerne les contrats collectifs : ils doivent être élaborés à partir d'une consultation démocratique. Un de nos plus grands défis comme centrale est le changement de la loi organique du travail, parallèlement à la réaffirmation de son orientation internationaliste et socialiste. Enfin, nous devons rediscuter notre programme : prendre position sur la dette interieure et exterieure du pays et décider si nous exigeons un référendum populaire pour son abolition ; pour la formation d'un club des endettés, dresser le drapeau de la souveraineté et de l'autodétermination de notre peuple, prendre position sur les super bénéfices de la banque du Venezuela et des multinationales et savoir si nous lançons le mot d'ordre de nationalisation, etc.


Il faut un parti révolutionnaire au Venezuela


L. C : Orlando, tu es aussi connu comme dirigeant politique trotskyste. Avec d'autres camarades, tu appelles à la formation d'un nouveau parti révolutionnaire au Venezuela. Peux-tu nous expliquer les raisons de cette décision ?
O. C : Nous sommes des militants politiques très précoces. À onze ans, j'ai commencé à militer, et à seize ans, je suis devenu un militant conscient, révolutionnaire, après avoir abandonné Action Démocratique.Action Démocratique (AD) : parti social-démocrate, membre de l'Internationale Socialiste, qui a partagé le pouvoir politique avec le parti social-chrétien COPEI, après la chute du dictateur Marcos Pérez Jiménez en 1958. Il représente pour le peuple vénézuélien des décennies de corruption, de clientélisme et de gestion servile du capitalisme vivant de la rente pétrolière. C'est à ce moment là que je suis devenu trotskyste et je le revendique clairement. Mais avant tout, j'ai été et je reste un dirigeant syndical dans ce pays, défendant dans ce cadre l'autonomie du mouvement, sa démocratie et la lutte pour le socialisme. À l'intérieur de ce processus de construction de la révolution bolivarienne et surtout depuis la sortie de prison du Président Chávez, nous avons partagé beaucoup de choses avec lui, nous avons beaucoup discuté, nous avons commencé par construire le Front Bolivarien des Travailleurs [FBT], nous avons été les fondateurs du FBT, un front vers lequel devaient converger tous les dirigeants syndicaux se reconnaissant dans le Président Chávez et d'accord avec le processus. Mais la lutte des classes nous a amenés à poser la question du programme que nous défendons ; aujourd'hui nous croyons légitime d'appeler à la construction d'une nouvelle force révolutionnaire. Le 9 juillet dernier, nous avons mis en place un comité d'initiative pour la construction d'un parti révolutionnaire au Venezuela, un parti des travailleurs, appelé " Parti Révolution et Socialisme ". Pourquoi ? Parce que nous avons besoin d'un parti révolutionnaire, surtout quand, dans le FBT comme dans les directions des trois partis chávistes, il y a des dirigeants qui freinent le processus. Nous pensons qu'il est vital d'empêcher un recul de nos conquêtes. Il ne s'agit rien de moins que de protéger la vie de nombreux dirigeants révolutionnaires de ce pays et fondamentalement du peuple de ce pays qui s'est engagé, qui est sorti dans les rues pour défendre le processus. Je voudrais souligner que nos conquêtes ne sont pas le fruit des partis qui ont des députés au Parlement. Le parti que nous voulons construire ne sera pas " trotskyste ", dans ce parti sont en train de s'intégrer des camarades de différents courants, y compris de franges de militants qui quittent - dans la mesure où la lutte des classes s'aiguise - des partis comme le PPT, le MVR et Podemos,PPT, MVR, Podemos : trois partis chávistes au gouvernement. et dans le même temps, des responsables politiques, étudiants, syndicalistes, etc. Je le répète ici, nous ne voulons aucun type d'autoproclamation et, dans ce sens, le PRS n'existe toujours pas. Il n'est même pas fondé ! Nous avons en vue un congrès de fondation pour juillet ou août 2006, où nous déterminerons s'il est juste ou non d'avancer plus avant dans la construction de ce parti. Ce qui est clair pour nous aujourd'hui, c'est que cette dynamique de construction d'un nouveau parti révolutionnaire s'inscrit en soutien à la révolution bolivarienne. Pour cette raison, nous soutiendrons fortement la réélection du Président Chávez en décembre 2006, ce qui est une condition indispensable au renforcement du processus et à l'approfondissement de notre bataille contre l'impérialisme.


Propos recueillis par Élie Cofinhal,
le 10 mars 2006.

Modifié le lundi 17 avril 2006
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