La situation politique en Turquie et notre lutte
En Europe, quand on parle de la Turquie, tout le monde pense au régime autoritaire d’un seul homme - Erdoğan - et à son influence au Proche-Orient par son soutien aux djihadistes en Syrie et en Libye. Le régime d’Erdoğan réprime les ouvriers, la jeunesse, la lutte des femmes, le mouvement des Kurdes et les socialistes, les révolutionnaires. Pour autant, existe encore en Turquie une tradition d’opposition sociale, qui était apparue aux débuts des années soixante et avait atteint un niveau prérévolutionnaire juste avant le coup d’État de 1980.
Erdoğan n’a pas réussi à devenir un leader incontestable comme Poutine. À l’inverse, le soutien dont il bénéficiait continue de diminuer ces dernières années, accéléré par la crise économique. L’année dernière, lors des élections locales, Erdoğan a perdu Istanbul et la capitale Ankara, les deux plus grandes villes du pays.
Désormais, le parti d’Erdoğan (AKP) 1 ne peut agir sans le soutien du parti fasciste (MHP - Parti d’Action Nationaliste). Ce n’est pas confortable pour Erdoğan parce que son destin est lié à celui du leader du parti fasciste. Cette liaison a limité la capacité de manœuvre d’Erdoğan qui, précédemment, avait pu gagner le soutien du mouvement national des Kurdes, des libéraux, des « gauche-libéraux ».
C’est la classe ouvrière qui va déterminer l’avenir d’Erdoğan. Les jeunes qui sont face au chômage et dans l’incertitude pour leur avenir, s’éloignent de l’AKP. Si les ouvriers, qui deviennent de plus en plus pauvres en raison de la crise économique, se détachent aussi de l’AKP, les équilibres politiques changeront complètement. C’est pourquoi nous faisons de notre mieux pour renforcer la lutte des classes.
La Turquie, un nœud de contradictions
Les politiques néolibérales qui sont apparues juste après le coup d’État de 1980, ont créé un « enfer » pour la classe ouvrière. La plupart des ouvriers travaillent avec un salaire minimum qui permet juste de ne pas mourir de faim. En raison des politiques anti-syndicales, les ouvriers ne sont pas organisés. La crise économique qui a commencé en 2016 et s’est durcie en 2018, a aggravé les conditions des ouvriers et leur mécontentement.
La jeunesse est dans l’incertitude pour son avenir. Des millions d’étudiants vont devenir chômeurs ou vont devoir travailler pour un bas salaire dans un secteur d’activité ne correspondant pas du tout à leurs années d’études.
C’est une période sombre pour le mouvement national kurde. Le parti kurde HDP (Parti Démocratique des Peuples) est poursuivi et ne peut pas agir ouvertement et manifester. La colère du peuple kurde est, elle, intacte ; en particulier, les ouvriers kurdes et la jeunesse kurde sont partie prenante de la lutte de classes.
Une autre composante importante de population est constituée par les Alévis que les islamistes n’aiment pas. Leur colère contre l’AKP est immense. La jeunesse alévie qui est proche des idées socialistes, est aussi importante pour la lutte contre le système.
On doit aussi parler du mouvement des femmes qui s’est développé face au conservatisme du gouvernement. Les femmes peuvent passer à l’action rapidement pour contrer les attaques du gouvernement, comme l’interdiction d’avortement.
Face au conservatisme de l’AKP, il y a enfin une réaction laïque et démocratique. On ne peut pas dire que cette réaction est purement kémaliste 2 . En raison de la répression menée par l’AKP, les socialistes révolutionnaires qui se battent dans la rue attirent l'attention et gagnent le respect de la population. Ce n’est pas un hasard si les jeunes kémalistes se transforment en socialistes.
L’opposition sociale
Malgré la faiblesse actuelle d’Erdoğan et de l’AKP au pouvoir depuis 18 ans, il n’existe pas encore une alternative politique à gauche, capable de mobiliser et d’organiser la lutte de classes.
Le mouvement socialiste est en crise depuis des années en Turquie où le stalinisme est puissant. La crise de la gauche a commencé avec le coup d’État de 1980, s’est approfondie avec la chute du bloc de l’Est et est maintenant à son apogée en raison de la répression menée par l’AKP. Le plus grand groupe stalinien, TKP (Parti Communiste de Turquie), est réformiste, sectaire, mène une politique proche du kémalisme et ne manifeste jamais contre le gouvernement. Il ne peut donc pas avoir d’influence sur le peuple.
Notre parti, SEP (Parti des Travailleurs Socialistes), est un parti nouveau mais qui, en combattant activement, gagne en influence auprès de la gauche socialiste et la renouvelle. Le SEP est le parti le plus dynamique et énergique partout où il existe. C’est ainsi qu’il gagne de nouveaux membres. Il n’est pas surestimé de dire que l’avenir de la gauche passe par notre parti.
Le parti kurde (HDP) contient la plupart des groupes socialistes. Maintenant, 7 groupes socialistes ont des députés au parlement mais ils sont élus sur les listes du HDP. Ils n’ont pas d’assise populaire leur permettant un réel pouvoir au parlement. En effet, le HDP est favorable au capitalisme, à l’Union Européenne et aux États-Unis. Il est impossible à des socialistes révolutionnaires de faire partie du HDP. Enfin, le HDP ne peut agir légalement en raison de la répression du gouvernement.
Depuis le coup d’État de 1980, les syndicats sont très affaiblis. Comme si cela ne suffisait pas, l’AKP a pris le contrôle de la direction de la TÜRK-İŞ (Confédération des Syndicats des Ouvriers de Turquie - la plus grands confédération) et empêche son action. La DİSK (Confédération des Syndicats Progressifs des Ouvriers de Turquie) dans laquelle les groupes socialistes ont des positions importantes, n’agit pas en raison de de la crise économique. La DİSK n’intervient que comme ONG sur la question kurde ou les questions démocratiques. La KESK (Confédération des Syndicats des Travailleurs du Service Public) qui était le syndicat pionnier pendant les années 1990 et qui est dirigée par des socialistes, ne fait plus rien en raison du durcissement de la répression du gouvernement suite à l’essai de coup d’État d’un autre groupe islamiste en 2016.
D’où viendra la solution ?
Erdoğan a réussi à créer un régime autoritaire mais il a quelques inquiétudes à avoir pour l’avenir. Il a gagné en polarisant et en opposant les identités ethniques et religieuses et les modes de vie (comme les laïques et les conservateurs) pendant 18 ans mais ça ne marche plus. Le mécontentement des masses populaires conservatrices a augmenté en raison de la crise économique.
Néanmoins il n’est pas possible de penser que ce processus va spontanément mettre un terme au pouvoir de l’AKP. Depuis 18 ans, Erdoğan et l’AKP ont pu surmonter les obstacles en manœuvrant. Face à Erdogan, la question est de créer « un printemps des ouvriers ».
En résistant à la répression du gouvernement, nous nous battons pour empêcher la division des masses travailleuses en fonction des identités ethniques et religieuses, pour développer une lutte socialiste révolutionnaire et pour pouvoir créer un avenir socialiste, comme le Parti des Travailleurs Socialistes (SEP).
Güneş Gümüş, dirigeante du SEP, février 2020
Traduction : Engin Kara
1. AKP: «parti de la justice et du développement », parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002.
2. kémaliste : faisant partie du parti kémaliste ou « parti républicain du peuple » (CHP), parti social-démocrate, républicain et laïque, fondé par Mustapha Kemal Ataturk, premier président de la république turque.
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