« La victoire de la légalisation de l'avortement renforce toutes les luttes de genre »

Le 30 décembre dernier, la légalisation de l'avortement, qui a été l'objet d'une lutte acharnée des femmes argentines depuis des décennies, a été votée par le Sénat argentin. C'est une victoire historique et un immense encouragement pour les luttes menées par nos camarades dans de nombreux pays. Le combat est encore à poursuivre en Argentine même, pour l'application effective de la loi et pour la séparation de l'Église et de l'État. Celeste Fierro, dirigeante nationale du Movimiento Socialista de los Trabajadores (MST, Mouvement socialiste des travailleurs.euses), section argentine de la Ligue socialiste internationale (LIS) et de Juntas y a la Izquierda (Unies et à gauche) répond aux questions de La Commune.

« La victoire de la légalisation de l'avortement renforce toutes les luttes de genre »

1. Le 30 décembre 2020, après des décennies de combat, le droit à l'avortement a été conquis par les femmes argentines avec l'adoption de la loi par le Sénat. Que représente cette victoire historique ? Que représente-t-elle pour toi ?

Cette victoire est un triomphe historique pour le mouvement des femmes et des dissidences LGBTI+ dans notre pays, qui mène depuis des années des luttes pour la légalisation de l’avortement. Cette revendication date de plusieurs décennies, mais elle a pris de l’ampleur à partir de 2005 lorsque la Campagne nationale pour le droit à l’avortement, un espace unitaire avec plus de 300 organisations, dont notre MST avec le Frente de Izquierda y de Trabajadores-Unidad (FIT-U, Front de Gauche et des Travailleurs.euses-Unité) et notre organisation de femmes Juntas y a la Izquierda, a été formée. Là, le symbole du foulard vert est apparu ; sa présence, au fil des ans, est devenue massive. Le mot d’ordre historique de la Campagne est : « Éducation sexuelle pour décider ; Contraception pour ne pas avorter ; Avortement légal, sûr et gratuit pour ne pas mourir ».

Pendant les dernières années, et même pendant la quarantaine, des centaines de milliers de femmes, en particulier des jeunes filles- ainsi que des hommes - sont descendues dans les rues pour faire pression sur le gouvernement et sur le Parlement. La Campagne a dû présenter le projet de loi huit fois au Parlement, qui l’a toujours gardé dans ses tiroirs, jusqu’en 2018 où, pour la première fois, sous la présidence de la droite du gouvernement Macri, le traitement et l’approbation ont été obtenus à la chambre basse. Cette fois, nous avons également gagné au Sénat. C’est une nouvelle démonstration que la lutte paye et que nous pouvons réussir.

La victoire de la légalisation de l’avortement renforce toutes les luttes de genre, aujourd’hui en particulier contre la violence sexiste et contre les féminicides, qui ont atteint un niveau effroyable : un par jour. Face à ce grave problème, le gouvernement national d’Alberto Fernández et de Cristina Fernández de Kirchner n’apporte pas de réponses efficaces. Lorsqu’il a promulgué la loi sur l’avortement, le président Fernández a déclaré de manière irresponsable et aventureuse qu’il était « heureux de mettre fin au patriarcat » (!) Non seulement la réalité quotidienne le nie, mais aussi, en tant que socialistes, nous savons que le patriarcat est inséparable du système capitaliste car l’oppression des femmes et leur travail domestique non rémunéré rapportent des avantages économiques à la bourgeoisie.

Sur le plan personnel, la légalisation de l’avortement est une joie immense, car c’est un combat que je mène depuis le début de ma vie militante au sein du MST, avec mes camarades Vilma Ripoll, Alejandro Bodart et l’ensemble de notre parti.

2. Qu’est-ce qui a rendu ce vote possible, pourtant rejeté en août 2018 ? Quel a été le rôle de la mobilisation des femmes dans la société et dans les rues ?

En 2018, nous avions vu comment cette grotte de dinosaures qu’est le Sénat avait rejeté la loi : les secteurs politiques et religieux anti-droits avaient gagné, dont le Pape, l’Église catholique, les différentes églises évangélistes.

Cependant, en raison de la pression sociale en faveur de la légalisation, Alberto Fernández dans sa campagne électorale a dû promettre d’en présenter un projet. Mais son projet est plus limité que celui de la Campagne car il maintient la pénalisation de l’avortement après la 14ème semaine et il inclut l’ « objection de conscience personnelle ». Puis, la Chambre des députés a cédé encore plus, acceptant l’ « objection institutionnelle ». Cela signifie que les cliniques privées et les œuvres sociales sont dispensées de pratiquer l’avortement, même si elles doivent le financer. Et lorsque Fernández a promulgué la loi, il a décrété son veto à la nature « intégrale » du concept de santé, ce qui gêne les avortements non punissables en cas d’ « atteinte à la santé psychique ». Malheureusement, les dirigeantes de la Campagne, où les secteurs liés au gouvernement prédominent, ont accepté ces limites au lieu de défendre leur projet initial, construit collectivement par les organisations.

Même ainsi, la loi que nous venons de conquérir est une victoire énorme en matière d’avancée des droits, bien que maintenant nous devons mener le combat pour son application effective, des obstacles surgissant dans certaines provinces et mairies.

La mobilisation a été, sans doute, la clé de la victoire. La constante de toutes les luttes sociales s’est réaffirmée : le seul outil pour dépasser le frein du régime et les orientations centristes du mouvement est de descendre dans la rue. Dans ce processus de mobilisation, le rôle de notre parti a été mis en évidence. C’est ainsi que lors de la session d’adoption de la loi, la télévision officielle du Sénat a dû montrer nos drapeaux et nos cortèges face au Parlement tout au long de cette journée.

3. En janvier 2021, la justice a été saisie par un groupe anti-avortement et a suspendu l'application de la loi. Quelle est aujourd'hui la situation ?

En fait, cela ne s’est produit que dans une seule des 24 provinces du pays, Chaco, où un juge a suspendu l’application de la loi. Mais il n’a pas réussi, puisque la loi s’applique dans le pays entier et même le gouverneur de cette province a dû préciser qu’elle s’appliquera également là-bas. Maintenant, la lutte est pour une application efficace, car les concessions du gouvernement aux secteurs anti-droits les encouragent à faire des recours pour bloquer la pratique de l’avortement.

Dans une autre province, San Juan, où l’Église a du poids, dans l’un des deux principaux hôpitaux publics, tous les professionnels se sont déclarés « objecteurs de conscience ». Nous avons tout de suite organisé des manifestations, car aucun agent public ne peut refuser de se conformer à une loi nationale. Et avec toutes les organisations féministes, nous organisons des actions pour faire pression sur le ministère de la Santé afin qu’il embauche rapidement des professionnels garantissant le droit à l'avortement.

4. L’Église catholique, les évangélistes, les partis réactionnaires, ont livré une bataille acharnée contre la loi. Les subventions publiques coulent à flot dans les caisses du clergé. La prochaine lutte démocratique visera-t-elle à conquérir la séparation stricte entre l’Église et l’État ?

Bien sûr. De même, aujourd’hui, le plus urgent est la lutte contre les féminicides : la justice est patriarcale, il y a des violences policières1 et le gouvernement bavarde sur le « genre » mais le budget alloué pour prévenir les violences sexistes et pour aider les femmes qui en souffrent est indigent : 0,074% du budget national.

Quant à l’Église catholique, le laïcisme progresse dans la société, en particulier chez les jeunes. D’autre part, le gouvernement péroniste continue de financer cette institution médiévale et les écoles religieuses de toutes confessions : il a également intégré l’Église dans son nouveau « conseil économique et social », avec des capitalistes et la bureaucratie syndicale, dont l’objectif est d’imposer la « paix sociale » au détriment de la classe ouvrière.

L’Église reçoit de l’État argentin plus de 2 millions d’euros par an, qui sont payés par l’ensemble de la population. Mais le montant le plus important concerne les subventions publiques pour l’enseignement religieux : seules les écoles catholiques dépassent 370 millions d’euros par an. À leur tour, la plupart des écoles confessionnelles ne respectent pas la loi sur l’Éducation sexuelle intégrale et elles militent contre tous les droits de genre.

Voilà pourquoi nous croyons qu’il faut se battre pour séparer l’Église et l’État, pour annuler toutes les subventions, les exonérations fiscales et autres privilèges juridiques. Le Code civil doit également être réformé pour que l’Église catholique cesse d’être considérée une personne juridique publique, comme si elle était un État, et pour annuler le concordat Argentine-Vatican qui place le droit canonique avant la législation nationale. En tant que socialistes, nous concevons la lutte pour la laïcité de l’État et pour les droits de genre comme faisant partie de la lutte politique de fond contre ce système capitaliste et patriarcal, père de l’exploitation de classe, de l’oppression de genre et de toute violence.

1. Près d’un féminicide sur cinq est commis par un agent ou un ex agent policier.

Modifié le mercredi 24 mars 2021
Voir aussi dans la catégorie Argentine
« La victoire de la légalisation de l'avortement renforce toutes les luttes de genre »« La victoire de la légalisation de l'avortement renforce toutes les luttes de genre »

Le 30 décembre dernier, la légalisation de l'avortement, qui a été l'objet d'une lutte acharnée des femmes argentines depuis des décennies, a été votée par le Sénat argentin. C'est une...

Alternativa Socialista 775Alternativa Socialista 775

Tareas para el año que comienza Las dos crisis. Para hacer un balance del año que termina no puede pasarse por alto que estuvo marcado por dos crisis de magnitudes históricas. La sanitaria...

Le vent de la révolution souffle sur le mondeLe vent de la révolution souffle sur le monde

La situation mondiale vit un changement évident, avec des explosions, des révoltes et des révolutions. Ses causes, ses caractéristiques, ses défis.

Hector DaerRéforme des retraites en Argentine : le bras de fer

En décembre, la situation était extrêmement tendue en Argentine. La mobilisation contre la réforme des retraites a provoqué de violents affrontements à Buenos Aires entre la police et les...

Élections en Argentine : La déroute du péronisme et les perspectives du MSTÉlections en Argentine : La déroute du péronisme et les perspectives du MST

Le 22 octobre 2017, après les primaires du mois d’août, quelque 33,1 millions de citoyens ont été convoqués à des élections législatives partielles afin de remplacer, pour quatre ans, 127...

Le mouvement vers la grève généraleLe mouvement vers la grève générale

Les statistiques indiquent une amorce de reprise économique en Argentine mais, dans la rue, la tension sociale s'accentue en raison d’une inflation à 40 % : Des dizaines de milliers d'Argentins...



HAUT