Les journées de mai 1937

Histoire : la Révolution espagnoleLes journées de mai 1937 à Barcelone constituent un tournant décisif dans la Révolution espagnole et marquent le début de l'écrasement, par le sang et la répression, des forces ouvrières révolutionnaires par les staliniens au service de la bourgeoisie espagnole. Ces événéments, que rapporte Ken Loach dans son film Land and Freedom, ont une portée et une actualité brûlante sur le rôle réactionnaire des forces du " Front Populaire ". Retour sur une page d'histoire fondamentale. Voilà ce qu'en dit l'historien Pierre Broué dans son ouvrage Staline et la Révolution, le cas espagnol (Fayard, 1993).Le 25 avril, Roldán Cortada, membre du CC du Parti Socialiste Unifié de Catalogne (PSUC, parti stalinien) [...] est assassiné. La question a été posée du rapport entre ce meurtre et la mission d'achat d'armes en France de la victime, mais il n'y a pas de réponse. Le 27, des incidents graves se produisent à Puigcerda, pour le contrôle de la frontière, entre carabiniers et miliciens de la CNT.[...]

Le 27 avril a lieu l'enterrement de Roldán Cortada : une foule immense dans les rues de Barcelone, au coude à coude. Treball y a vu " un plébiscite " dirigé " contre l'ennemi de l'intérieur, contre ceux que nous appelons incontrôla­bles ". Du côté du POUM, c'est le sentiment du danger imminent qui domine et La Batalla, sous le titre significatif de " Manifestation contre-révolutionnaire", commente : " l'objectif politique essentiel des manifestations comme celle d'hier est de créer dans la petite bourgeoisie réactionnaire et les couches les plus arriérées de la classe ouvrière une atmosphère de pogrom contre l'avant-garde révolutionnaire du prolétariat catalan CNT, FAl, POUM. On crée un climat psychologique pour des actions de plus grande ampleur. " [...]

Les staliniens décident de prendre par la force le central téléphonique

C'est dans les derniers jours d'avril que le CC du PSUC [...] a pris la décision de faire reprendre par les forces de police le central téléphonique, la Telefónica, que les milices de la CNT contrôlent depuis le mois de juillet 1936. Pere Riba, le collaborateur de Comorera, en témoigne : il est temps pour les gens du PSUC d'en finir avec les anarchistes et autres gêneurs.

Le 3 mai, trois camions de gardes que commande Rodríguez Salas s'arrêtent devant l'immeuble de la Telefónica : les gardes occupent par surprise le rez-de-chaussée, mais les miliciens de la CNT ripostent et on se tire dessus dans l'immeuble. La nouvelle se répand dans Barcelone comme une traînée de poudre : en quelques heures, sans aucun mot d'ordre, c'est la grève générale, entreprises et transports s'arrêtent. On tiraille un peu partout dans la ville où, pendant la nuit, les travailleurs construisent des barricades.

Les canons de Montjuich et du Tibidabo sont braqués sur le palais de la Généralité qui est attaqué le 4 mai entre 10 et 11 heures, deux chars d'assaut appuyant les assaillants. À Valence, Largo Caballero convoque les dirigeants des organisations syndicales pour leur demander de s'interposer.

C'est dans la journée du 4 qu'arrivent de Valence ces responsables et d'au­tres, dont Garcia Oliver, Santillán, Federica Montseny, Hernández Zancajo. Ils appellent par radio à la fin des combats.

La riposte du prolétariat catalan

Le 5, après un début de journée calme, de violents combats se déroulent dans le centre de la ville ou les locaux du PSUC et le palais de la Généralité sont une nouvelle fois attaqués. Un nouveau gouvernement a été constitué, Aiguadé et Rodríguez Salas écartés à la demande des dirigeants syndicaux de Valence, et un nouveau ministre, Antonio Sesé, est tué dans la rue : ses camarades accusent la CNT, qui se défend énergiquement. Les forces de police attaquent des locaux syndicaux, celui des Jeunesses libertaires et du comité régional de la CNT. Les anarchistes italiens Camillo Berneri et Francesco Barbieri, arrêtés chez eux par des hommes en uniforme, sont retrouvés assassinés.

Le 6, les combats de rue continuent. Des unités contrôlées par le POUM et la CNT font mouvement vers Barcelone et sont arrêtées en route par des représentants de la CNT qui les persuadent de rebrousser chemin.

Le 7 mai s'ébauche une reprise de travail. Les transports reprennent. Les ouvriers libèrent 230 policiers arrêtés à Sans. La police détruit quelques barricades. De temps en temps éclatent des fusillades, par exemple contre la voiture du ministre anarchiste Federica Montseny.

Dans l'après-midi, le gouvernement de Valence annonce qu'il prend la responsabilité de l'ordre public en Catalogne. La CNT-FAI lance un appel pour un cessez-le-feu ; le gouvernement de la Généralité l'imite. A quoi succède un appel commun en ce sens de l'UGT et de la CNT. Le gouvernement promet une trêve de trois heures, mais les membres du comité central de la CNT trouvent leurs camarades du comité régional prêts au combat jusqu'au bout. Les ouvriers présents dans le local les insultent et les menacent.

Le président Companys lance le sixième appel au cessez-le-feu, par radio. On annonce officiellement qu'il accepte que l'ordre public en Catalogne soit pris en charge par le général Pozas, auprès duquel Comorera va placer son plus proche collaborateur, Pere Riba. Les membres du POUM sont exclus de l'UGT en Catalogne. Les patrouilles de contrôle, qui ont été jusqu'à présent le fer de lance des combats du camp ouvrier, réclament à leur tour un cessez-le-feu.

Le 7, nouveaux appels à un cessez-le-feu. Arrivent à Barcelone plusieurs milliers de gardes sous les ordres d'un officier qui a commandé une colonne anarchiste, Emilio Torres Iglesias. Le 8 mai, les Amis de Durruti, groupe anarchiste hostile à la militarisation, distribuent leur manifeste tandis que police et militants du PSUC commencent la démolition systématique des barricades. [...]

Signification des journées de Mai

[...] Les journées de Mai sont la preuve de l'attachement des ouvriers de Catalogne aux conquêtes de la révolution, de leur détermination ne plus reculer d'un pas et à se battre plutôt que de se laisser rouler encore . En d'autres termes, elles attestent le caractère profondément révolutionnaire du mouvement ouvrier commencé le 18 juillet dans les rues du grand port contre les militaires. Le fait que, dans ces conditions, barricades et combats armés aient bénéficié de la sympathie et de l'appui de l'écrasante majorité des ouvriers de Barcelone montre d'ailleurs que le PSUC menait bel et bien une politique dirigée contre la révolution et qu'il n'escroquerait pas là-dessus sa clientèle.

Il est important à cet égard de comprendre ce que signifiait la Telefónica aux yeux des ouvriers de Barcelone et pourquoi tant de mensonges grouillent autour de cet immeuble. C'est que ce bâtiment admirablement situé a été en quelque sorte l'axe du combat entre les militaires soulevés et les ouvriers de la ville à partir du 19 juillet. Les factieux qui l'avaient occupé donnèrent aux ouvriers l'ordre de couper les communications des centres de résistance ouvriers. Les techniciens avaient fait mine d'obtempérer, mais avaient en réalité coupé les relations entre les quartiers généraux des militaires soulevés (Capitania General, Commandancia Militar) et les différentes casernes. Sa prise avait été le signe de la victoire ouvrière et il avait été immédiatement placé sous le contrôle effectif - surveillance et écoute des communications - d'un comité CNT-UGT. Au début de 1937, répondant à ceux qu'elle traitait de " pessimistes " parce qu'ils déploraient les reculs de la révolution, Solidaridad Obrera avait rappelé que la Telefónica avait été " la clef de l'échec des fascistes " et assuré que cette " clé de la révolution " devait rester aux mains des ouvriers.

La question du pouvoir

Rien n'est plus instructif à cet égard que les récriminations des hommes politiques à propos du contrôle de leurs communications : elles émanent d'hommes pour qui n'existe qu'un seul Pouvoir légitime, le leur. Joan Comorera l'exprime avec une franchise presque désarmante :

" Tous les contrôles intérieurs de la Telefónica étaient au service, non de la collectivité, mais d'une organisation : ni le président Azaña, ni le président Companys, ni personne, ne pouvaient parler sans que l'oreille du contrôleur sache ce qu'ils disaient. "

Les ouvriers de la CNT, la classe ouvrière barcelonaise en général, considèrent de leur côté que le contrôle des conversations par eux est une conquête révolutionnaire et la reconnaissance de leur droit au pouvoir. l'attaque de Rodríguez Salas et de ses gardes est donc à leurs yeux une agression contre la classe ouvrière tout entière, une tentative de remettre en question une conquête de juillet. Treball le reconnaît de façon tout à fait explicite quand il titre " Pas de dualité de pouvoirs " le discours de justification de Comorera sur mai. C'est bien la question du pouvoir qui était posée.

La question du pouvoir est aussi celle des armes. Essayer de désarmer le peuple, c'est se ranger de l'autre côté de la barricade.

On le sait, tout a commencé avec l'achat d'armes courtes, de guerre civile, par les gens du PC et avec la décision de dissoudre les patrouilles de contrôle : l'enjeu est effectivement clair.

[Les intertitres sont de la rédaction.]
Modifié le mercredi 09 mai 2007
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