La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2

Revenons sur la question essentielle à l'origine de l'hécatombe qui a été décrit dans le premier épisode. Sous l'Ancien Régime, et même en remontant jusqu'à l'Antiquité, les méthodes et recettes contraceptives plus ou moins efficaces ne sont pas criminalisées et sont couramment utilisées. Comment et pourquoi l'avortement a-t-il été interdit pour aboutir à la situation décrite précédemment ?Comment en est-on arrivé là ?

La bataille pour la légalisation de l'avortement, épisode 2

Sous l'Ancien Régime, et même en remontant jusqu'à l'Antiquité, les méthodes et recettes contraceptives plus ou moins efficaces ne sont pas criminalisées et sont couramment utilisées. Des livres donnent ainsi des recettes empêchant la fécondation et provoquant l'avortement précoce 1 .

L'infanticide est puni de mort mais l'avortement avant le 40e jour de conception n'est pas considéré comme un infanticide 2 (jour où le fœtus masculin est censé s'animer, et donc avoir une âme, on considère que le fœtus féminin s'anime un peu après 3 ).

Au fil du temps, entre contraception et avortement

En 1556 c'est Henri II qui produit un édit qui reste en vigueur jusqu'à la Révolution punissant l'avortement, édit repris par l'article 317 du code pénal de 1810 4 .

A la Révolution, l'article XVII du code Pénal 5 précise que « Quiconque sera convaincu d'avoir, par breuvages, par violence, ou par tout autre moyens, procuré l'avortement d'une femme enceinte, sera puni de vingt années de fer ».

Dès la fin du XVIIIe siècle, l’aristocratie puis la bourgeoisie très tôt, limitent leur descendance afin d’éviter une dispersion de la fortune. La démographie chute. C'est donc Napoléon qui durcit les peines requises contre l'avortement, on devine aisément pourquoi : en 1810 la Grande Armée a besoin de chair fraîche, pas de conquête sans guerre et sans morts !

Mais rien n'y fait : tout au long du XIXe jusqu'au début du XX e siècle, la moyenne d'enfants par femme continue de dégringoler.

La France est malthusienne ou plutôt néomalthusienne (voir encadré) sans le savoir. Sans aucune contrainte, les Français ont adopté une attitude volontaire de restriction de la fécondité. Dans les couches les moins favorisées, ce comportement gagne du terrain avec l’idée d’une ascension sociale possible. La place de l’enfant dans la famille et dans la société change. La surmortalité infantile, liée en partie à la surfécondité, n’est plus acceptable. L’enfant à naître n’est plus une contrainte mais devient un désir, selon Philippe Ariès 6 . Une nouvelle morale familiale se crée en même temps que de nouvelles relations dans les couples.

Là où la natalité baisse, le politique se déchaîne...

Les démographes s'affolent... Après 1870, les préoccupations natalistes des hommes politiques prennent une importance considérable, confortée par l’influence d’une Église catholique particulièrement puissante en France. La première guerre mondiale avec ses conséquences démographiques catastrophiques va renforcer ces préoccupations et exacerber les passions.

C'est dans ce contexte que sont proclamées les lois « scélérates » de 1920 et 1923 7 .

Or, malgré la nouvelle législation, il apparaît très vite que le nombre d’avortements ne diminue pas, pas plus que ne se produit le relèvement, tant attendu par certains, de la natalité française.

1939 : le Code de la famille

L’année 1939 marque un tournant dans l’accroissement de la répression de l’avortement : l e 23 février est créé par Daladier le Haut Comité à la population, notamment chargé de réfléchir à un texte de loi qui modifierait la législation existante et permettrait de mieux réprimer l’avortement. Le nombre des affaires d’avortement instruites devant les tribunaux ne cesse de se multiplier pendant l’année 1939 : 90 procès au premier trimestre, 277 au second et 509 au troisième.

Le 29 juillet est promulgué le « Code de la famille ». La tentative d’avortement est réprimée, y compris sur une femme qui n’était pas effectivement enceinte : le nouveau texte punit en effet « quiconque aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée telle ».

Vichy : « crime contre la sûreté de l’État » et peine de mort

On atteint le summum sous le régime de Vichy qui fait de l'avortement un crime contre la sûreté de l’État (loi du 15 février 1942) donc passible de la peine de mort : Marie-Louise Giraud 8 en fait les frais en 1943. Plus de 15 000 condamnations à des peines diverses pour faits d'avortement sont prononcées jusqu’à la Libération.

Après-guerre : les condamnations pleuvent

Même si à la Libération cette loi est abrogée, dans l'immédiat après seconde guerre mondiale, en 1946, les condamnations pleuvent : 5 251 condamnations sont prononcées en France pour faits d’avortement.

Mais de nouvelles voix se font entendre qui vont s’efforcer de démontrer que le développement de la contraception est une façon de lutter contre le développement de l’avortement criminel...

A suivre



Marie Gouze,
05 novembre 2017



Sources:

http://www.avortementancic.net

https://www.universalis.fr/encyclopedie/malthusianisme-et-neo-malthusianisme

https://wp.unil.ch/bases/2013/07/thomas-malthus-et-le-malthusianisme


1. Magie Naturelle qui est des secrets et miracles de nature mise en quatre livres par Jean-Baptiste Porta, Neapolitain, Rouen, 1631, p.245 et 246.

2. « La fornication ne renferme en soi aucune malice. Un enfant n'a point d'âme raisonnable dans le ventre de sa mère. Ainsi une femme ne commet pas un homicide en se faisant avorter. On peut procurer l'avortement avant que le fœtus soit animé, pour éviter la honte d'une fille : on peut tuer pour défendre son bien contre un injuste ravisseur, quand il ne s'agit que d'un œuf » Échantillon de la morale des nouveaux casuites en diverses propositions in Préjugés légitimes contre le papisme, Partie 1 , Pierre Jurieux, Amsterdam, 1685.

3. La jurisprudence du code Justinien conférée avec les ordonnances royaux, les coutumes de France et les décisions des Cours souveraines, Tome 2, Claude de Ferrière, Paris, 1684.

4. Cité dans son intégralité dans l'épisode 1, note n°5.

5. 25 septembre 1791, Titre II : Crimes contre les particuliers, section première « Crimes et attentats contre les personnes ».

6. L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Philippe Ariès, Paris, 1960.

7. Décrites précédemment dans l'épisode 1.

8. Marie Louise Giraud : arrêtée à Cherbourg en octobre 1942, elle est traduite devant la section de Paris du Tribunal d’État. Après un procès expéditif de deux jours, les 7 et 9 juin 1943, elle est guillotinée « pour l’exemple » le 30 juillet 1943, dans la cour de la prison parisienne de la Petite Roquette, le maréchal Pétain lui ayant refusé sa grâce.




Malthusianisme versus Néomalthusianisme

Le malthusianisme est la doctrine de Thomas Robert Malthus (1766-1834), pasteur et économiste anglais du début du XIXe siècle. Cet auteur, dans son Essai sur le principe de population édité en 1798, pensait avoir mis en lumière « la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée ». De cette « loi naturelle » il concluait au danger de surpopulation du globe et préconisait la limitation des naissances par la chasteté et le recul de l'âge du mariage. Malthus propose alors plusieurs manières d’empêcher la population de croître afin de réguler la population. Si aucun effort n’est fait pour cette régulation, alors la catastrophe démographique est inévitable. Les mesures qu’il propose pour permettre de réguler quelque peu la population sont drastiques ; en voici quelques exemples: prélever un impôt sur les naissances, offrir des occupations aux couples sans enfants ou encore et surtout, arrêter toute aide sociale aux nécessiteux.

C’est à partir de 1890 que débute le mouvement néomalthusien français militant avec la parution de l’article révolutionnaire de Henry Fevre Et multipliez-vous. Marie Huot lance le slogan de la « grève des ventres jusqu’au bouleversement révolutionnaire de la société ». Ce slogan établit d’emblée le caractère politique du néomalthusianisme français proche des mouvements anarcho-syndicalistes. Il le restera jusqu’à sa disparition après la deuxième guerre mondiale. L’influence eugéniste marquera également assez fortement certains courants néomalthusiens. Paul Robin (1837-1912) fut la figure emblématique de ce mouvement. Normalien engagé dans l’action politique à l’extrême gauche, intéressé par la pédagogie expérimentale qu’il appliquera à un orphelinat, il crée en 1896, la ligue de la régénération humaine dont la devise sera « bonne naissance-éducation intégrale ». Elle se propose de « répandre les notions exactes de science physiologique et sociale permettant aux parents d’apprécier les cas où ils devront se montrer prudents quant au nombre de leurs enfants, et assurant, sous ce rapport leur liberté et surtout celle de la femme ». La ligue veut aussi faire connaître « les procédés anticonceptionnels qui en font une arme de lutte contre le malheur ». L’avortement est considéré par les néo-malthusiens comme un dernier recours. Sa légalisation est réclamée pour éviter les conséquences dramatiques des avortements clandestins. Paul Robin ouvre à Paris en 1889 un centre de consultation et de vente de produits anticonceptionnels. Un journal Régénération paraîtra jusqu’en 1902. Il fut relayé par un autre Génération consciente animé par Eugène Humbert (1870-1944) et sa femme Jeanne (1890-1986) qui furent deux figures importantes de ce mouvement.

L’arrivée de la première guerre mondiale met le mouvement en veilleuse. La propagande antinataliste est alors considérée comme une trahison.

Modifié le lundi 13 novembre 2017
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