Les causes de l’évolution historique

De nos jours, nous devons nous colleter la conception idéaliste de l’histoire. Ainsi, confrontés aux récents attentats, des idéologues pseudo-marxistes s’exclament : «  ces attentats ont un rapport direct, manifeste avec la religion ». Ce qui interdit de comprendre. Au reste, toute tentative d’essayer de comprendre sera immédiatement rappelée à l’ordre par un « vous excusez les terroristes ». Amalgamant les effets et les causes, ces chantres des « lumières » sombrent à leur tour dans l’obscurantisme.

Georg Wilhelm Friedrich HegelGeorg Wilhelm Friedrich Hegel

Dans notre dernier exposé, nous avons vu que Bossuet, bien que prisonnier d’une vision théologique des événements, s’est attaché à étudier les causes humaines et naturelles des événements historiques. Il nous a ainsi conduit sur le pas de la porte de la théorie de la causalité : tout ce qui existe et tout ce qui se passe a une cause.

Reste que la conception théologique explique l’évolution historique par la volonté et l’action, directe ou indirecte, de personnages ou d’éléments surnaturels.

La conception idéaliste de l’Histoire, portée par Voltaire et ses amis, va s’attacher à expliquer l’évolution historique par l’évolution des mœurs et des idées ou de l’opinion. Tout naturellement, ils vont voir dans l’opinion religieuse la cause des transformations, des changements qui se produisent. Ainsi, selon Voltaire, c’est le christianisme qui a causé la chute de Rome.

Force des idées et idées-force

Religieux et philosophes des lumières ont un point commun : ils ne recherchent pas les causes des événements dans l’état où se trouvent les sociétés. Pour les uns, le mal vient du pêché. Pour les autres, le mal vient de l’ignorance. Pour sûr, les philosophes des lumières ont un grand avantage sur les théologiens : en enfonçant le mur des dogmes religieux, ils libèrent la voie à la recherche scientifique et à l’évolution plus libre des mœurs. Dans les conditions de l’époque, cela relevait de l’exploit !

Bien entendu, les idées et les mœurs pèsent sur le mouvement historique de l’Humanité. Les idées ont une force et « quand elles s’emparent des masses, elles deviennent force matérielle » (Trotsky). Les mœurs, les mentalités exercent une forte influence sur les événements. Reste que les mœurs et les idées ne sont pas le fruit d’une « nature humaine » transcendantale et « supra-historique ». Déjà à cette époque, le philosophe idéaliste Hegel 1 raillait ceux qui « regardent l’Histoire par le trou de serrure de la moralité » [Hegel – La raison dans l’Histoire. 10-18 – page 28]

« L’état du peuple »

Paradoxalement, Il a été échu à un homme politique réactionnaire, Guizot 2 , de pousser plus loin la réflexion. Plus connu pour sa fameuse formule « Français, enrichissez-vous », ce grand clerc écrit en 1821 :

« C'est par l'étude des institutions politiques que la plupart des écrivains, érudits historiens ou publicistes ont cherché à connaître l'état de la Société, le degré ou le genre de sa civilisation. Il eût été plus sage d'étudier d'abord la société elle-même pour connaître et comprendre ses institutions politiques. Avant de devenir cause, les institutions sont effet, la société les produit avant d'en être modifiée, et au lieu de chercher dans le système ou les formes du gouvernement quel a été l'état du peuple, c'est l'état du peuple qu'il faut examiner avant tout pour savoir quel a dû, quel a pu être le gouvernement » . (Essais sur l'Histoire de France, 12° édition, p. 73.)

Force des idées et Forces sociales

C’est donc la société qui produit les institutions. Et la société, c’est « l’état du peuple ». Or, au même moment, commence à apparaître, avec Saint Simon, ce que nous allons appeler la - ou les - science sociale. Plekhanov résume ainsi la recherche de Saint Simon :

« Pour expliquer le passé, Saint-Simon étudie surtout l'histoire de l'Europe occidentale depuis la chute de l'empire romain. On voit dans cette histoire, la lutte des industriels (ou du Tiers Etat, comme on disait au siècle précédent) contre l'aristocratie. Les industriels se sont ligués avec la royauté, et, par l'appui qu'ils ont donné aux rois, ils leur ont fourni les moyens de s'emparer du pouvoir politique, qui se trouvait auparavant dans les mains des seigneurs féodaux. En échange de leurs services la royauté leur a donné sa protection, au moyen de laquelle ils ont pu remporter beaucoup d'importantes victoires sur leurs ennemis. Peu à peu, le travail et l'organisation aidant, les industriels sont parvenus à posséder une force sociale imposante, bien supérieure à celle de l'aristocratie. La Révolution Française n'était, pour Saint-Simon, qu'un épisode de la grande lutte, plusieurs fois séculaire, entre les industriels et les nobles. »

Cette fois, ce n’est plus « l’opinion » ou les « mœurs » qui gouvernent le monde mais « l’intérêt social », c’est-à-dire « l’intérêt des grands éléments constructifs de la société, l 'intérêt des classes et la lutte sociale provoquée par l'opposition de ces intérêts, qui gouvernent le monde et qui déterminent la marche de l'histoire . » et c’est dans cette lutte que les idées puisent leur force. Les idées ne sont pas innées. Elles procèdent de cette longue marche historique de l’Humanité

Daniel Petri,
02-09-2016

Sources : La conception matérialiste de l’Histoire (G. Plekhanov) 1904 https://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1904/00/plekhanov_19040000.htm

1. Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770- 1831) philosophe allemand.

2. François Pierre Guillaume Guizot (1787- 1874) historien et homme politique français, membre de l'Académie française à partir de 1836, plusieurs fois ministre sous la Monarchie de Juillet, en particulier des Affaires étrangères de 1840 à 1848, devenant président du Conseil en 1847, peu avant d'être renversé par la Révolution française de 1848.

Modifié le dimanche 11 septembre 2016
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