« Ce matin ils ont osé, ils ont osé vous assassiner »
60ème anniversaire de l’exécution de Fernand IvetonLe nom de Fernand Yveton est celui d’un de ces soldats inconnus et maudits qui hante la conscience de « la gauche ». Ouvrier tourneur, syndicaliste, la « République » l’a guillotiné le 11 février 1957. Le Président René Coty et le garde des Sceaux François Mitterrand ont refusé sa grâce. Les dirigeants du PCF avaient refusé que l’avocat communiste Gaston Amblard, le défende avant sa condamnation. Sans le militant, éducateur et chercheur Jean Luc Einaudi, le nom de Fernand, décapité à 31 ans, serait tombé dans l’oubli.
Fernand Iveton(Photo : AFP)
Quelques minutes avant d’être exécuté, Fernand Iveton peut encore prononcer quelques mots : « La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l’amitié entre Français et Algériens se ressoudera ». Dans sa cellule, il avait écrit « Je ne suis pas musulman (…) mais je suis algérien d’origine européenne […] ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur » (Propos rapportés par son jeune avocat commis d’office, Maître Albert Smadja).
Le 11 février 1957, dans cette prison marquée au fer des crimes d’État, Annie Steiner, Algérienne d’origine européenne liée au FLN qui purge alors 5 années de prison, écrit : « En nos corps fortifiés / Que vivent votre idéal / Et vos sangs entremêlés / Pour que demain ils n'osent plus / Ils n'osent plus nous assassiner . » 1
« Algérien d’origine européenne »
Fernand était le fils de Pascal Iveton, enfant de l’assistance publique et d’Incarnación Gregori, née en Espagne. Pascal Iveton, militant communiste et syndicaliste employé à Gaz d'Algérie, fut révoqué par le régime de Vichy. Fernand Iveton, dans les pas de son père, devient ouvrier tourneur à l’usine à gaz de l'EGA (Electricité et Gaz D’Algérie) à Alger où il fut délégué syndical, affilié à la Confédération Générale du Travail (CGT), puis à l'Union générale des syndicats algériens. Tandis que le PCF soutient le gouvernement colonialiste de Guy Mollet, le PC Algérien se lie avec le FLN et c’est dans ce cadre que Fernand rejoint le FLN à titre individuel.
Attentat symbolique – tortures – justice militaire
Le 14 novembre 1956 à 14 h, il dépose la bombe dans un placard d'un local désaffecté de l'usine. L’objectif est un sabotage purement matériel qui a pour but de provoquer une panne d'électricité à Alger et Iveton a exprimé à deux reprises son souci de ne tuer personne. Il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser après le départ des ouvriers, en fonction de quoi un premier réglage a été prévu pour 18 h 30. Iveton a jugé que la marge est insuffisante, au cas où des ouvriers s’attarderaient pour des raisons imprévisibles, et il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser à 19 h 30.
Iveton est repéré par un contremaître de l'usine qui l'a vu entrer dans le local avec son sac de plage et en ressortir les mains vides. Iveton est arrêté à 16 h 20. La bombe est désamorcée par les militaires. Il n'y a ni dégâts, ni victimes. Fernand Iveton est torturé au commissariat central d'Alger. Les policiers veulent lui faire avouer de toute urgence les noms de ses complices. Tortures endurées : brûlures sur tout le corps par l’électricité, supplice de l’absorption d’eau jusqu’à étouffement, etc.
En application des pouvoirs spéciaux demandés par le président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, et votés par l'Assemblée nationale le 12 mars 1956 (dont les députés PCF), il est jugé par le tribunal militaire d'Alger. Défendu par deux avocats commis d'office — le Parti communiste français ayant donc interdit qu'il le soit par l'avocat communiste Gaston Amblard — il est condamné à mort pour «tentative de destruction d'édifice à l'aide d'explosifs», le 24 novembre 1956, à l'issue d'une journée d'audience.
Mitterrand vote pour la mort d’Iveton
Le pourvoi d'Iveton devant le tribunal de cassation militaire est rejeté le 3 décembre 1956. L’avocat communiste Joë Nordmann se joint aux avocats commis d'office, Albert Smadja et Charles Laînné, pour tenter d’obtenir sa grâce. Mais son recours est refusé le 10 février 1957 par le président de la République, René Coty, avec l’accord du garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand et du président du Conseil, Guy Mollet (en 1981, usant du 49-3, Mitterrand arrachera l’amnistie des généraux tueurs de l’OAS).
Les élus d’Oran veulent « oublier »
60 ans après, la lutte contre l’oubli est loin d’être terminée : en septembre 2016, les autorités locales d’Oran ont décidé de débaptiser la rue Fernand Iveton 2 « Indignés, deux habitants de cette rue se sont rendus, hier, à notre bureau, pour se plaindre de cet état de fait . » lit-on dans El Watan.
HONNEUR À FERNAND, EXÉCUTÉ « POUR L’EXEMPLE » PAR L’ÉTAT FRANÇAIS COLONIAL.
Luciano Menzi
11-02-2017
1. Publié en 1963 dans Espoir et parole, poèmes algériens recueillis par Denise Barrat avec des dessins de Abdallah Benanteur, Paris, Éditions Seghers, [présentation en ligne sur [archive] Gallica].
2. http://www.elwatan.com/regions/ouest/oran/l-histoire-de-l-algerie-est-elle-ignoree-06-09-2016-328237_135.php
Sources :
- EINAUDI (J.-L.). - Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton : enquête. Paris : L’Harmattan, 1986, 250p.
- FAUX (E.), LEGRAND (T.), PEREZ (G.). - La main droite de Dieu. Enquête sur François Mitterrand et l’extrême droite . Paris : le Seuil, 1994.
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