Un vrai travail, un vrai salaire, un vrai toit - Pas la charité
Depuis plusieurs mois, les « acteurs » de la lutte de places mettent sur le tapis un « revenu universel », sorte de super-RSA. D’autres, plus radicaux parlent de « salaire à vie » et Mélenchon de « contrats jeunes » et de « droit opposable à l’emploi ». Les « précaricateurs » et les bonnes âmes se bousculent au portillon, feignant d’oublier l’explosion des emplois précaires du quinquennat agonisant. D’autres cherchent à opposer ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas. Remettons les pendules à l’heure.
Pierre MonatteLa marche à la précarité a commencé à la fin des années 1970. Les premières formes ont été le développement du travail intérimaire dont les agences mettaient en cause le monopole du placement de la main d’œuvre par l’ANPE (hors « petites annonces »). Les prospecteurs placiers de l’ANPE envoyaient des salariés privés d’emplois aux employeurs devant embaucher et les employeurs devaient motiver tout refus d’embauche du candidat, sélectionné en fonction de ses diplômes et de sa qualification acquise. En règle générale, le candidat subissait un essai professionnel. Il y avait deux types d’emplois : les emplois permanents et les emplois saisonniers. L’Intérim a alors servi de cheval de Troie de la déréglementation. L’autre forme de travail précaire visait les jeunes, sortant de l’école avec un CAP ou un BEP, les « stages Barre » payés à 90% du SMIC sur un an, pour des jeunes travailleurs qui pouvaient prétendre la qualification P1, bien plus élevée que le SMIC. Les patrons ne voulaient plus prendre en charge le temps d’adaptation des nouveaux embauchés à leur poste de travail.
1980 : Les jeunes des LEP contre les « stages »
Fin 1979, une circulaire ministérielle décide d’envoyer les élèves des LEP en stage de 15 jours en entreprise, comme premier pas vers un système d’alternance école-entreprise livrant au patronat une main d’œuvre taillable et corvéable à merci payée à coup de lance-pierre. Mais, cette première mesure « expérimentale » se heurte en janvier-février 1980 à la grève générale des élèves de LEP contre cette circulaire. Les militants de l’OCI y joueront un rôle dynamique d’entraînement sur un seul mot d’ordre : « abrogation de la circulaire « Beullac » - Pas un élève en stage ».
L’arnaque du « bac pro»
En 1988, la loi Carraz met en place le « bac pro » sous couvert du noble objectif d’emmener « 80% des jeunes au baccalauréat ». Il y a maldonne dans la seule mesure où le bac pro ne donne pas accès à l’Université. C’est donc un faux bac puisque le baccalauréat est historiquement « le premier grade universitaire » (depuis Napoléon !). A ce moment-là, les élèves ayant obtenu un BEP peuvent faire « deux ans de plus » pour un Bac pro et les meilleurs pourront éventuellement aller ensuite en classe de BTS. Et, cerise sur le gâteau, des « séquences en entreprises » sont prévues. Jusqu’ici, les élèves de BEP les mieux notés pouvaient aller dans une classe de Première technologique et préparer le bac technique, plus qualifiant que le bac pro. Mais là n’est pas le plus grave : cette loi a pour véritable objectif, la suppression progressive des CAP.
2000 : « L’exercice de l’État » de Mélenchon
En 2000, surgissent les fameux lycées professionnels qui permettent de généraliser l’alternance école-entreprise, avec des formations en alternance systématique. Le patronat ne remerciera jamais assez « le chef des insoumis » d’avoir « cristallisé » l’alternance. Y compris la SNCF qui fermera ses centres d’apprentissage soustraits à la « production » et qui, à l’instar d’autres grandes entreprises, pourra supprimer des postes en redistribuant les tâches de ces postes aux « alternants ». Le gouvernement de droite qui suivra les « années Jospin (et Mélenchon) n’aura plus qu’à supprimer les BEP. Le bac pro sera au mieux un BEP + : au lieu de quatre ans d’enseignement (moins les périodes d’alternances ou de « séquences en entreprise »), il n’en reste que trois. Tandis que prolifèrent les centres d’apprentissages privés et patronaux, subventionnés par l’Etat, au détriment de l’enseignement public.
1984 : premier envol de la précarité
La précarité ne se résume pas à ces mesures de déqualification et de mise à disposition d’une main d’œuvre intermittente « en formation ». Son véritable envol commence en 1984, sous le gouvernement Mitterrand-Fabius, avec les « TUC » (travaux d’utilité collective) : embauches de jeunes sous-payés et à 20 heures par semaines dans les entreprises publiques. Marchais aura beau dire « les Tuc, c’est du toc », son camarade Claude Quin, président de la RATP, va enrôler sous ce régime, des « RATP junior ».
De retour aux commandes, la droite va créer les SIVP (stages d’insertion à la vie professionnelle) du même acabit mais « embauchables » dans toute la branche. Puis revient la gauche qui crée des TUC à temps plein sous la forme des CES – contrats emplois solidarités, pour des « publics » de tous âge. Dans les mairies, à la SNCF, dans les écoles. Facturés en dessous du SMIC. Ensuite, Jospin imposera ses « emplois-jeunes »
Grandes mobilisations contre les contrats précaires
Ensuite toute une palette de contrats hybrides voit le jour, tels les « contrats de professionnalisation ». Le nouveau gouvernement de droite Mitterrand-Balladur pense avoir les coudées plus franches en tentant d’imposer les CIP en mars 2014. Le fameux SMIC jeunes qui va provoquer une flambée de révolte de la jeunesse, soutenue par la CGT, qui amènera le secrétaire général de la CGT, Louis Viannet à dresser en préalable à toute négociation avec le gouvernement « le retrait du CIP ». Le gouvernement reculera alors en bon ordre. Douze ans plus tard, Villepin reviendra à la charge avec les CNE-CPE (contrat nouvel emploi de 5 ans et contrat première embauche). Face à la levée en masse de la jeunesse et d’un pan entier de la population, Villepin abandonnera le CPE et le CNE tombera vite en désuétude.
Avec Hollande, la précarité repart en flèche avec les « emplois d’avenir » sans avenir et les CUI, contrats uniques d’insertion. Dans le même temps, 90% des embauches seront réalisées en CDD. CDD qui ont été « sanctuarisés » sous Mitterrand.
« Ce qui nous pend au nez »
Dès lors, comment s’étonner de la pauvreté galopante, dans ce pays ? En 2003, le secrétaire général de FO Marc Blondel prédisait : « Dans dix ans, les salariés seront tous des intermittents, y compris les fonctionnaires. Voilà ce qui nous pend au nez » (le Parisien, 25-08-2003). Dix ans, quinze ou vingt ans, c’est bien à cela que la « technostructure » des gouvernements successifs travaille et, il faut bien le dire, c’est bien à cette logique qu’obéissent tous les chantres de la « sécurité sociale professionnelle » ou du « salaire à vie ». L’alternance formation-entreprise à vie, au détriment de la formation initiale. Sur le papier, c’est bien joli : dans la vie vivante, c’est la précarité à vie. Même pavé de bonnes intentions, un enfer reste un enfer.
RMI/RSA - SMIC et assurance-chômage
Toutes ces potions magiques ne viennent pas à bout du chômage et de ses conséquences, à savoir la déchéance. Aussi bien, en 1988, a été créé le RMI (aujourd’hui RSA) présenté comme une belle œuvre sociale. Nous ne citerons jamais assez le mot de Jaurès s’insurgeant contre toutes ces belles âmes qui cherchent toujours à remplacer « la certitude du droit par l’arbitraire de l’aumône ». Un syndicaliste, Roger Sandri (FO) avait prévenu (nous citons de mémoire) : « le RMI vise à concurrencer le SMIC ». Premier aspect de ce cadeau empoisonné. Le pouvoir d’achat des salariés au SMIC tangente le pouvoir d’achat des allocataires du RSA.
La raison en est simple : personne ne peut vivre avec le RSA fixé sous le seuil officiel de pauvreté. Il trouve son complément dans l’APL (dont le plafond exclut les salariés qui ont des bas salaires), dans la CMU (inaccessible aux« petits salaires », trop pauvres pour avoir une mutuelle correcte et pas assez pour la CMU). Le RMI puis RSA n’ont pas seulement tiré le SMIC vers le bas, mais ils ont été une arme contre l’assurance-chômage. C’est ainsi que l’ARE a pu être limitée à moins de deux ans d’indemnisation et que Pôle emploi est chargé de se transformer en machine à radier les chômeurs.
Bien entendu, nous serons en première ligne de défense face à tous ceux qui s’attaquent aux « minima sociaux » et aux droits qui y sont attachés (APL, CMU) et, comme nous l’avons été, dans les combats pour leur augmentation immédiate. Mais, cette bataille s’inscrit dans un combat plus large : indemnisation de tous les chômeurs tant qu’ils n’ont pas obtenu un CDI et augmentation de l’ARE ; interdiction des licenciements et des suppressions de postes ; interdiction du travail précaire.
Comme l’affirmait le grand syndicaliste Pierre Monatte : « Vous avez besoin d’une boussole. Je n’en connais qu’une : l’intérêt ouvrier, celui de la classe ouvrière française, celui aussi des ouvriers de tous les pays. L’intérêt général, l’intérêt national, fichaises et tromperies . » (http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article214)
Daniel Petri,
04-01-2017
Lexique
APL :aide personnalisée au logement
ARE : allocation de retour à l’emploi (assurance chômage)
RMI : revenu minimum d’insertion
RSA : revenu social d’activité
CMU : couverture maladie universelle (récemment supprimée, mise en place de la CMU complémentaire)
LEP : lycées d’enseignement professionnel (préparant CAP, BEP, puis Bac-pro) fondus dans les lycées professionnels
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