Qu’est-ce que l’Union européenne ?
Première partie
Nous sommes partisans de la rupture avec l’Union européenne et ses institutions. Nous militons pour l’abrogation des traités dit « européens » et inconditionnement pour « sortir de l’UE ». Il n’existe pas, selon nous, de Plan B dans le cadre de cette fausse Europe. Cela dit, nous ne sommes pas les défenseurs de la France face à une Europe de Merkel. La France, comme État, est un des piliers du dispositif de l’UE contre les travailleurs et les peuples. Explications.
En 1979, Chirac disait des pro-Européens qu’ils étaient « le parti de l’étranger » et, à l’occasion des premières élections européennes, le PCF menait campagne contre « l’Europe allemande ». Le rejet de ce qui était alors la Communauté économique européenne (CEE) était facilement assimilé au chauvinisme et à la germanophobie. Son acceptation passait pour un élan généreux de pacifisme : ainsi, il n’y aurait plus de guerre en Europe, plus d’affrontement entre les vieilles puissances (Angleterre, Allemagne, France). La seconde guerre mondiale vécue par de nombreux adultes marquait encore fortement les mémoires. Défendant la dite « construction européenne », Mitterrand s’enflammait : « le nationalisme, c’est la guerre ».
Pour comprendre ce dont il est question, il nous revenir sur la genèse de cette « construction ».
Les premiers pas vers l’UE
C’est en 1950 que, de concert avec le ministre Robert Schumann, Jean Monnet, commissaire général au Plan, met en avant le principe d’une« solidarité de production » entre l’Allemagne et la France « ouverte aux autres pays d’Europe » dans le domaine de l’acier et du charbon. Dans la foulée, un an plus tard, se constitue la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), première ébauche de ce qui deviendra l’Europe des Six 1 . Ce sera le premier traité européen. Les tentatives de mettre au point au début des années 50 une Communauté européenne de défense échoueront.
Le 25 mars 1957, deux traités sont signés à Rome par les six pays européens ayant participé à la création de la CECA. Le premier institue la Communauté économique européenne (CEE), qui a pour but la mise en place d’un marché commun, et le second la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) dite Euratom. Il s’agit donc bien de promouvoir une libre circulation des marchandises et des capitaux au sein de cet espace encore réduit et donc de supprimer les barrières douanières qui freinent ce flux.
Les avertissements de Mendès-France
Le député radical- bourgeois Pierre Mendès France s’en inquiète 2 : « Nous aurons aussi à subir dans le Marché commun une concurrence redoutable (…) Certaines de nos industries, tout au moins, ne pourront pas s’adapter ou s’adapteront mal (…) En cas de marché commun sans barrières douanières ou contingents, ou bien avec des barrières et des contingents rapidement réduits puis éliminés, les marchandises dont les prix de revient sont les plus bas se vendent par priorité et dans tous les pays participants. Ces prix de revient sont fonction des charges qui pèsent sur la production. Or, la France connaît de lourds handicaps dans la compétition internationale. Elle supporte des charges que les autres n’ont pas, tout au moins au même degré : charges militaires, charges sociales, charges d’outre-mer. » . Il poursuit : « J’en viens, maintenant, aux charges sociales qui ont été évoquées à plusieurs reprises par un certain nombre de nos collègues. La seule harmonisation prévue en principe concerne l’égalité des salaires masculins et féminins dans un délai de quatre, cinq ou six ans. (…) Aucune autre généralisation d’avantages sociaux n’est vraiment organisée ni même garantie et cela apparaît si l’on énumère un certain nombre de ces avantages sociaux qui pèsent, dans une mesure qui est loin d’être négligeable, sur la productivité et sur les prix de revient. (…) La tendance à l’uniformisation n’implique-t-elle pas que les pays les plus avancés vont se voir interdire, au moins momentanément, de nouveaux progrès sociaux ? (…) C’est bien ce que donne à croire l’article 48 du projet en discussion, et dont voici le texte : « Après l’entrée en vigueur du traité, les États membres, afin de prévenir l’apparition de nouvelles distorsions de la concurrence, se consulteront mutuellement avant de procéder à l’introduction ou à la modification de dispositions législatives ou administratives susceptibles d’avoir une incidence sérieuse sur le fonctionnement du Marché commun. » (…) Tout relèvement de salaire ou octroi de nouveaux avantages sociaux n’est-il pas dès lors, et pour longtemps, exclu pour les ouvriers français ? Sur ce point, je mets le gouvernement en garde : nous ne pouvons pas nous laisser dépouiller de notre liberté de décision dans des matières qui touchent d’aussi près notre conception même du progrès et de la justice sociale ; les suites peuvent en être trop graves du point de vue social comme du point de vue politique. Prenons-y bien garde aussi : le mécanisme une fois mis en marche, nous ne pourrons plus l’arrêter. » Les craintes qu’exprimait ce député se sont plus que vérifiées. Pour les dissiper a été inventé par Mitterrand (et Mélenchon) le mythe d’une Europe sociale et le mirage d’une harmonisation sociale « par le haut » entretenu par la LCR puis son hologramme NPA.
Main basse sur l’Europe
Mendès France le souligne : les États du vieux continent butent sur un réel problème économique : « nos vieux pays européens sont devenus trop petits, trop étroits pour que puissent s’y développer les grandes activités du XX e siècle, pour que le progrès économique puisse y avancer à la vitesse qui nous est devenue nécessaire . ». A cette contradiction de fer entre le caractère mondial de la production, la division internationale du travail et le maintien d’États nationaux, le capitalisme ne peut apporter que deux réponses : la compétition nationale à concurrence débridée et la guerre. Et l’une n’empêche pas l’autre. Il va d’ailleurs vite s’avérer que le marché unifié commun entrave la coopération entre pays. Ainsi, jusqu’à un passé récent, les rapports entre les sociétés nationales de chemins de fer pour le trafic international Voyageurs et Marchandises étaient fondés sur le principe de coopération : la convention Europ embrassait tous les pays d’Europe. La libéralisation du rail en cours actuellement a fait exploser ces cadres, à coup de directives européennes imposant la séparation entre l’infrastructure (les rails et bâtiment) et l’exploitation (les trains), et ordonnant la concurrence. Laquelle entraîne la concurrence entre salariés des différents pays, propice à la xénophobie. Ces directives ferroviaires n’ont pas été dictées par l’Allemagne mais ont été édifiées sur la base de rapports de commissaires bien français, tel Simon Nora, il y a cinquante ans déjà.
De Gaulle, champion de « l’intégration européenne »
Un an après le traité de Rome, de Gaulle prend le pouvoir. La politique économique de cet « eurosceptique » fut guidée d’un bout à l’autre par la marche à l’intégration européenne. De nos jours, les élites anti-libérales (plus ou moins) se plaignent de la dictature de l’économie sur la politique et de la dictature de l’économie financière sur l’économie réelle. Il s’agit en fait de la dictature des taux de profits capitalistes, c’est-à-dire la proportion en pourcentage dans laquelle un capital investi dans une activité augmente au cours de cette activité. Plus ce pourcentage de profit est élevé, plus l’investissement pourra être amorti rapidement et plus vite seront amortis les moyens de production engagés, à commencer par les machines. Cela, de Gaulle l’a parfaitement assimilé. De même, il a parfaitement compris que les investissements productifs seront de plus en plus lourds, compte tenu des capitaux qu’il faut engager dans les machines et ce qu’on appelle alors « l’automation ». Il a tout autant compris que si les investissements dans les machines et les infrastructures sont incompressibles, l’investissement dans les effectifs et les salaires peut être comprimé jusqu’à être réduits à la portion congrue. D’autant que l’automation est source de compression de personnel et de déqualification. Ce qui réduit d’autant les débouchés de la production sur le marché intérieur puisque cette donne met un frein à la consommation des ménages. Le marché intérieur est devenu trop étroit. De Gaulle agit pour faire entrer la France de force dans la compétition internationale. Cela implique des restructurations industrielles sans pitié, des attaques contre les salaires et la réduction de la part des salaires mis dans le pot commun de la Sécurité sociale (part ouvrière et part patronale des cotisations). Une politique qui va se heurter à partir de 1963 (grève des mineurs) à une résistance tenace qui culminera dans la grève générale, en mai-juin 1968.
CEE : « État-major des capitalistes contre la classe ouvrière »
D’entrée de jeu, la CEE va être un « État-major des capitalistes contre la classe ouvrière » 3 dont la Commission de Bruxelles est l’institution –clé, agissant comme un directoire. Sa mission poursuit un seul but : extorquer un maximum de plus-value aux salariés et donc briser tous les acquis, statuts qui entravent les taux de profits. Cette institution supranationale n’en est pas moins l’émanation des gouvernements nationaux et non une « Eurocratie ». Elle participe de l’imbrication de tous les États et de l’oligarchie financière. Ce n’est donc pas au nom de la défense de l’État- nation français et de sa souveraineté comme État que nous combattons l’UE, mais de notre point de vue internationaliste : l’unité des travailleurs et des peuples d’Europe, à l’opposé de cette concurrence en bande organisée
A Suivre
Daniel Petri ,
17 mai 2017
1. La Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la République fédérale d’Allemagne (RFA).
2. https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/150815/discours-de-pierre-mendes-france-contre-le-traite-de-rome-le-18-janvier-1957
3. Nous reprenons ici la bonne formule trouvée dans la revue Tribune internationale – La Vérité n°46 – Mars 1989 – revue de ce qui était alors la IVème internationale – centre international de reconstruction (courant lambertiste).
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