La sécurité sociale professionnelle

Un cheval de Troie contre le Code du travail | Le dossier du moisEn ce début d'année, à l'occasion de la cérémonie traditionnelle des voeux présidentiels, en présence des corps constitués et des directions syndicales, Jacques Chirac fait la promotion de la sécurité sociale professionnelle. De Nicolas Sarkozy à Marie-George Buffet, en passant par Ségolène Royal, la plupart des prétendants au poste de chef de l'État promettent d'instaurer cette désormais fameuse sécurité sociale professionnelle, chère aux voeux de Jacques Chirac. Ouvrons donc le dossier.Voyons, point par point, quelle réalité se cache derrière cette " sécurité sociale professionnelle " brandie, avec une belle unanimité, comme un étendard par tous ces gens.

1- D'où vient le projet de sécurité sociale professionnelle ?

l'économiste du PCF Paul Boccara en a revendiqué la paternité. Mais, avant lui, c'est l'économiste-chroniqueur Jean Boissonnat qui l'a inventée en 1995 dans un rapport du commissariat général du Plan intitulé Le travail dans vingt ans , à la demande du gouvernement de droite de l'époque qui préconisait, comme le MEDEF, le remplacement du contrat de travail par le contrat d'activité. Dans ce rapport, Jean Boissonnat écrivait :

" Construire les compétences tout au long de la vie. Il faut préparer chacun à mobiliser les différentes formes de son savoir dans des situations variées, changeantes, souvent neuves. l'objectif visé est de permettre à chacun de bâtir ses compétences de façon permanente tout au long de sa vie ; ce qui suppose une conception renouvelée du système éducatif et de la formation continue : une partie du temps de travail est assimilable à du temps de formation. Au-delà de l'action irremplaçable de l'école, ce sont tous les temps et tous les modes de construction des compétences qu'il est proposé de reconnaître et de développer ". Voilà le point de départ d'un projet qui sera porté ensuite par le PCF et la direction de la CGT.

2- Comment le PCF l'a-t-il fait sien ?

En 1996, Robert Hue, alors secrétaire général du PCF, parle de " sécurité emploi-formation ". Dans le programme du PCF, cette proposition va se substituer à la vieille revendication du plein emploi qui y figurait encore jusqu'alors. Ainsi, en 1979, les députés du PCF déposent une proposition de loi pour l'interdiction des licenciements. Elle n'a aucune chance de passer puisque la majorité des députés est de droite. Après 1981, Ils auraient pu ressortir cette bonne proposition de loi puisque, cette fois, il y avait une majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale. Ils n'en firent rien. Depuis lors, le PCF ne veut plus entendre parler d'interdiction des licenciements. Et les dirigeants de la CGT pas davantage. Cette évolution du discours du PCF conduit ses députés à amender la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social. Désormais, les plans de licenciement devront comporter, sous peine de nullité, des mesures visant au reclassement de salariés s'ajoutant aux conventions de conversion déjà prévues par le Code du travail : actions de reclassement interne ou externe à l'entreprise, création d'activité nouvelle, actions de formation ou de conversion. Un an auparavant, le 44e congrès de la CGT avait à nouveau adopté la revendication, mise à jour en 1969, demandant qu'il n'y ait pas de licenciement sans reclassement préalable. Ce même congrès confédéral avait entériné une bonne fois pour toutes " la mobilité géographique et professionnelle " assortie du voeu pieu que celle-ci réponde aux aspirations des salariés. Mais l'idée de sécurité sociale professionnelle trouve également sa source dans le déploiement, depuis 1971, de la formation permanente et continue des salariés, qui a fait l'objet de multiples accords de branche et interprofessionnels entre les " partenaires sociaux ".

3- Pourquoi la la CGT propose-t-elle la sécurité sociale professionnelle ?

Jean-Christophe Le Duigou, numéro deux de la CGT et mentor de Bernard Thibault, est un des principaux promoteurs de la sécurité sociale professionnelle. Dans son livre Demain le changement (Armand Colin éditeur, 2005), Le Duigou nous assène qu'il " ne saurait être question d'ignorer la compétitivité des entreprises " et que " l'idée " d'interdiction des licenciements " n'est, de ce point de vue, ni réaliste, ni ambitieuse ".

Chemin faisant, Le Duigou ne se contente pas de prendre fait et cause contre l'interdiction des licenciements. Il se reconvertit également dans la bataille pour " le droit à la mobilité professionnelle ". Voilà ce que revendique Le Duigou ! À quand le droit à la précarité ? Et, pourquoi pas, le droit au licenciement ?

Voilà qui, en tout cas, confirme ce que nous écrivions lors du 48e Congrès de la CGT à propos de la " sécurité sociale professionnelle " et du " nouveau statut du salarié " qui lui est assorti : " Ces notions fumeuses et en apparence utopiques s'opposent en fait au combat pour l'interdiction des licenciements, à la lutte contre les délocalisations ". [Voir La Commune n° 58, page 7 : " 48e Congrès de la CGT : résistance à la normalisation ", Pedro Carrasquedo).

4- En quoi consisterait cette sécurité sociale professionnelle ?

Résumons l'exposé que J.-C. Le Duigou nous en livre :

a- Le travailleur licencié resterait lié à son entreprise d'origine jusqu'à ce qu'il ait retrouvé un autre travail équivalent. " Bien entendu, la rémunération ne serait plus à la charge de l'employeur ", mais celui-ci aiderait le salarié viré à retrouver un travail.
b- l'accès à la formation serait facilité par la création d'un service public " de type nouveau " dans lequel les organisations syndicales et les organisations patronales seraient " associées à la gestion de l'ensemble des outils actuels de la formation continue ".

c- Ce système " devrait s'accompagner d'un suivi individualisé des personnes, employeurs et salariés, alliant des formes de soutien efficace à des contrôles et sanctions pour ceux qui n'accepteraient pas de respecter les règles ". Quelles règles ? Celles qui obligent déjà un chômeur à accepter, sous peine de radiation, une formation ne correspondant pas à ses aptitudes et aspirations, mais obéissant aux besoins du marché capitaliste ?

Il n'est pas étonnant que Chirac et Sarkozy aient pris le relais. Sur cette base de départ qui au mieux serait une utopie réactionnaire, Chirac propose la fusion de l'UNEDIC et de l'ANPE pour mieux faire dépendre les allocations de retour à l'emploi des " actions de formation " réorientant les chômeurs vers les " gisements d'emploi " répondant aux besoins immédiats du patronat.

La sécurité sociale professionnelle serait la pierre angulaire de la transformation du contrat collectif de travail assis sur les conventions collectives de branche et le Code du travail en un contrat d'activité, tel que Jean Boissonnat l'avait défini :

" [...] il vise, en s'inspirant d'expériences déjà à l'oeuvre, à faciliter les projets individuels et la souplesse de l'organisation productive ; contrat individuel adapté à la diversité et aux rythmes des itinéraires professionnels, il garantit la continuité des droits et obligations et peut impliquer une pluralité d'acteurs. Le contrat d'activité a pour vocation " d'absorber " une partie des multiples dispositifs et des actuels mécanismes de financement de l'insertion, de la formation professionnelle, du chômage. La mise en oeuvre du contrat d'activité [...] ne peut se faire qu'à travers des instances multipartites décentralisées disposant d'un pouvoir d'adaptation, dans le cadre fixé par la loi et la négociation sociale ". La direction de la CGT appelle cela " le nouveau statut du salarié ", dont la paternité revient, encore une fois, à Jean Boissonnat et à son rapport. l'individualisation du contrat de travail, faisant une croix sur cent cinquante années de lutte du mouvement ouvrier pour les conventions collectives et les CDI qui en découlent, est le corollaire du projet de " sécurité sociale professionnelle " qui s'oppose également aux droits des chômeurs.

5- Quand Ségolène Royal expérimente la sécurité sociale professionnelle

Ségolène Royal s'est engagée à la créer à titre expérimental dans la Région Poitou-Charentes qu'elle dirige. " Il s'agit de faire en sorte que, lorsqu'un salarié perd son emploi, entre le moment où il perd son emploi et le moment où il retrouve son emploi, on lui maintienne son salaire et son droit à la formation professionnelle ", claironne-t-elle sur France 3 Poitou-Charentes le 11 juin 2006, en précisant qu'un crédit de 5 millions d'euros sera débloqué. Et de prendre pour exemple le cas de l'entreprise Heuliez qui connaît un plan de licenciement pour éliminer un tiers des effectifs, soit 541 emplois. Or, ce qu'elle annonce n'est autre qu'un plan social de reclassement dans cette entreprise de Cerizay (Deux-Sèvres). Quelle est la durée du plan de reclassement ? Les emplois proposés aux licenciés correspondent-ils à leur qualification ? Peuvent-ils refuser l'emploi proposé ? Retrouveront-ils leur niveau de salaire ailleurs ? Seront-ils embauchés en CDI ? (Lorsque Le Duigou parle de droits transférables dans une autre entreprise, il parle de tout - qualification, compte épargne-temps, etc. - sauf de la rémunération et du type de contrat, CDI ou non, NdlR). Toutes ces questions sont en suspens. La seule nouveauté, c'est l'implication directe de la Région dans la mise en oeuvre de ce plan de licenciement. Ce qui nous fait dire, à ce stade, que la sécurité sociale professionnelle, tarte à toutes les crèmes, n'est rien d'autre qu'un vaste Plan social généralisé. Ce qui fait dire au secrétaire général de la CGC (cité dans La Tribune, le 21/11/2005) : " Dans vingt ans, nous serons tous des intermittents ".

La sécurité sociale professionnelle, c'est le travail précaire généralisé.
Modifié le mardi 23 janvier 2007
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