La réforme des retraites en question
8 QUESTIONS - 8 REPONSES | Le dossier du moisFrançois Fillon, ministre des affaires sociales et de l'emploi, a annoncé la couleur s'agissant de la réforme des retraites : passage progressif des fonctionnaires à 40 annuités d'ici 2008, suppression des régimes spéciaux, allongement à 41 annuités pour tous en 2012 et 42 en 2020, surcote pour les salariés qui travaillent au-delà de l'âge légal de 60 ans, de 3% par an jusqu'à 65 ans et décote pour ceux qui partiraient avant 60 ans, incitation à l'épargne salariale par des aides fiscales... Retour sur un dossier explosif. 1/ En quoi consistent les retraites par répartition ?Depuis l'instauration du système de sécurité sociale en 1945, la protection sociale en France, dont les retraites, est basée sur le système dit de répartition solidaire. Les actifs cotisent pour les retraités en mettant dans un " pot commun " une partie de leur salaire, le salaire différé.
Ainsi les cotisations prélevées (insistons : une partie du salaire mise à gauche par les travailleurs) servent immédiatement au paiement des retraites ainsi qu'au système général de santé (paiement des soins, des médicaments, de la médecine etc.). Citons l'article 1er de l'ordonnance de 1945 instituant la Sécurité sociale : " l'organisation de la Sécurité sociale garantit les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain. Elle couvre également les charges de maternité et les charges de famille. Elle assure le service des prestations d'assurance sociale, d'accident du travail et maladie professionnelle, de l'A.V.T.S. (Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés) ainsi que le service des prestations familiales dans le cadre des dispositions fixées par le présent code. "
Autant dire que ce système, quasi unique au monde, est un acquis social majeur, sous-produit de la lutte des classes au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
2/ Quel était le système avant 1945 ?
Majoritairement un système basé sur la capitalisation : ceux qui pouvaient se le permettre cotisaient individuellement auprès d'organismes privés financiers qui boursicotaient avec cet argent. Il y avait bien des lois sur les assurances sociales, instituées entre 1928 et 1932, ancêtres de la répartition, mais elles ne concernaient qu'une infime partie des salariés, ceux qui avaient les meilleurs salaires dans certaines branches professionnelles. Ainsi, la pension de retraite ne correspondait alors qu'à 40% du salaire moyen, ce qui favorisait donc le financement par capitalisation (fonds de pension). Or, avant la deuxième guerre mondiale, la récession économique, l'effondrement des bourses avaient réduit à néant l'épargne individuelle et jeté les retraités dans la misère et le dénuement.
l'incitation actuelle à " l'épargne salariale " et aux fonds de pension par les gouvernements successifs a donc un air de déjà vu pour les salariés.
3/ Pourquoi parlez vous de " salaire différé " en parlant de la Sécurité sociale ?
Parce que, et c'est l'essentiel, le financement de la sécurité sociale, donc des retraites, est basé à 85% sur les cotisations salariales, c'est-à-dire une partie du salaire qui n'est pas versée directement aux travailleurs. Il suffit de lire une fiche de paye de travailleur du privé pour le constater.
Les prétendues " charges sociales " qui écrasent tant les patrons, ce n'est donc pas autre chose que ce salaire différé que le patronat intègre dans le prix de revient des marchandises. Elles sont la propriété, non du patron (comme on voudrait nous le faire croire) mais bien du salarié.
C'est ainsi que ces fonds, le salaire différé, appartiennent collectivement aux salariés, (comme le salaire net appartient individuellement à chaque salarié), assurant par là une solidarité entre actifs et retraités, malades et bien portants, le bien portant d'aujourd'hui étant le malade de demain. Ainsi cette organisation collective a soustrait la classe ouvrière à la charité publique ou privée.
4/ Mais on nous dit, pour expliquer la nécessité des réformes, que bientôt il n'y aura plus assez d'actifs pour financer les retraites ?
C'est effectivement l'argument massue des gouvernements de gauche et de droite depuis vingt ans. Rocard, dans son " livre blanc sur les retraites " avait donné le coup d'envoi et proposé déjà, avant Fillon, l'allongement des années de cotisation.
Cet " argument " n'a que les apparences de la logique. Il est en réalité de totale mauvaise foi. Pourquoi ? Imaginez que vous êtes agressé dans la rue par un voleur : il vous dépouille de tous vos biens et de vos vêtements. Puis il vous dénonce pour attentat à la pudeur. C'est ce qui se passe avec les retraites. Pour qu'il y ait un financement suffisant, il faut des cotisants, donc des actifs, donc des salariés, effectivement ! Belle découverte. Seulement, dans ce pays il y a 2,5 millions de chômeurs, chiffres officiels qui ne cessent de grimper. En réalité, les organisations syndicales évaluent à prés de 4,5 millions le nombre de précaires : chômeurs, petits boulots, CDD, emplois-jeunes, radiés de l'ANPE, temps partiels imposés (surtout chez les femmes travailleuses), intérimaires etc. Autant de cotisations en moins pour les retraites. Or, un million de chômeurs en moins, c'est 12 milliards d'euros en plus pour les retraites, chiffre que nul ne conteste. C'est ainsi que la lutte pour préserver le système de répartition solidaire est indissociable de la lutte contre les licenciements qui se multiplient et contre le travail précaire sous toutes ses formes. Le reste n'est que propagande consciente pour remettre en cause le système de solidarité ouvrière qui a fait ses preuves depuis 1945. Ainsi, la lutte pour le plein emploi rapporterait environ 40 milliards d'euros aux retraites. Voilà un chiffre que Fillon s'est bien gardé de rappeler.
5/ D'accord, mais lutter contre les licenciements, est-ce suffisant pour assurer les retraites ?
Non. A ce constat vital, il convient d'y ajouter celui sur les salaires, dont la stagnation et même la baisse est manifeste depuis 20 ans. Ainsi 10% d'augmentation des salaires, ce qui est loin de faire le compte au regard de la hausse du coût de la vie, rapporterait aussitôt 12 milliards d'euros aux caisses de retraites.
6/ Et les charges patronales ?
En effet, les gouvernements successifs n'ont cessé de faire cadeaux sur cadeaux aux patrons qui pleurent sur leurs charges. Ainsi, le total des exonérations de charges patronales (qui sont rappelons-le une partie du salaire différé) est passé de 2 milliards d'euros en 1990 à plus de 16 milliards en 2002. Autant de moins pour les retraites. Ajoutons à cela que, de 1980 à 2002, la part des profits bruts dans la valeur ajoutée (profits allant dans la poche patronale mais issus de la richesse nationale créée) est passée de 31% à 41%, pendant que celle des salaires a reculé de 69% à 59%.
7/ Alors, l'idée qu'il faudrait taxer aussi les revenus financiers du capital et des entreprises pour financer les retraites est une bonne idée ?
Non. Une fausse-bonne idée. La plupart des directions syndicales, CGT, CFDT mais aussi FO émettent effectivement cette proposition qui a les apparences du bon sens. Seulement, elle revient à introduire le loup dans la bergerie. On l'a vu, les retraites sont financées pour l'essentiel sur les cotisations résultant des salaires. Introduire dans le financement de la Sécurité sociale une partie du capital revient à terme à remettre entre les mains des institutions financières, boursières, bancaires, un système basé sur la solidarité ouvrière indépendante du patronat.
Il en est de même de l'épargne salariale introduite par Laurent Fabius. La plupart des organisations syndicales ont cru bon de s'y engager et de créer le Comité Intersyndical de l'Epargne Salariale, qui " labellise " les entreprises où les salariés devraient épargner individuellement. C'est ni plus ni moins que l'antichambre des fonds de pension. La CGT et la CFDT vont même jusqu'à labelliser l'épargne salariale au Crédit lyonnais considérée par elles comme un fonds " éthique ", de bonne morale. Ethiques, les magouilles à coups de milliards de francs disparus en fumée et le millier de licenciements réalisé au Crédit lyonnais en 2001 ? On croit rêver.
8/ Quel est l'objectif du gouvernement au travers de cette réforme ?
Il est la poursuite, l'accentuation et l'aggravation brutale d'un processus engagé depuis 20 années pour liquider le système de répartition et lui substituer, à terme, le système de capitalisation qu'exigent le Medef, l'Union européenne et le Fonds Monétaire International qui considèrent cette conquête ouvrière comme une insolence face à leur volonté remettre la main sur cette partie des salaires qui échappe à leur contrôle. Les fonds de pension qu'ils veulent imposer, on sait ce qu'il en est : ils ont perdu 30% de leur valeur depuis 1999 et la récession économique actuelle ne va rien arranger. Des milliers de salariés en Angleterre et aux Etats-Unis ont vu, du jour au lendemain, s'effondrer les économies de toute une vie, et se sont retrouvés dans la détresse à la veille de leur retraite, poussés vers la charité publique, comme il y a un siècle.
C'est bien ce retour en arrière, cette régression qu'il faut éviter en luttant, maintenant, pour la maintien du système par répartition, contre toute réforme.
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