Dossier du mois : Réfugiés

Dossier du mois : Réfugiés
(photo : Michel Spingler/AP)

Dieppe : le port de l’angoisse

Dieppe a souvent été une terre d'accueil pour les populations fuyant la guerre ou la répression. Les réfugiés espagnols, fuyant la répression franquiste, furent nombreux à s'installer à Dieppe. Au cours des dernières années, sont arrivées des familles venues de Tchétchénie, du Kosovo, d'Afghanistan fuyant les conflits, des Arméniens aussi. Ces quelques familles étaient prises en charge par le CADA* car la plupart étaient candidats à la demande d'asile. Depuis un an, la situation n'est plus la même.

Nous sommes dans le contexte des scandaleux accords du Touquet de 2004 entre la France et le Royaume Uni, qui, en fait, déplacent la frontière du Royaume Uni dans les ports français et lieux de passage.

A cela s'ajoutent les accords UE-Turquie qui ne font que précariser encore plus les migrants, notamment en opacifiant les trafics d'êtres humains des passeurs.

Vers un faux Eldorado

Dieppe est un port avec une liaison trans-Manche. Sont arrivés par vagues successives des dizaines de migrants venus tenter leur chance pour passer en Royaume Uni, faux Eldorado. Près de 120 s'étaient installés sur la zone portuaire près du terminal ferry, dans des conditions très précaires, au pied des falaises notamment. Ils sont Albanais, Syriens, Erythréens, Somaliens, Soudanais, Afghans, Iraniens, et Irakiens, fuyant la guerre ou la misère, venus directement ou via Calais. Des associations se sont créées (Itinérance Dieppe, Plan Humanitaire 76) pour apporter une aide ponctuelle : nourriture, tentes… et un accompagnement dans les démarches pour ceux qui souhaitent demander l'asile. À la demande des bénévoles, les équipes de Médecins du Monde sont venues régulièrement. Mais la plupart des migrants sont candidats au passage en Grande Bretagne.

Dieppe : Union sacrée UDI - PCF contre les migrants

Vite, les pouvoirs publics, les collectivités ont vu d'un mauvais œil l'installation des campements dans la zone portuaire. Les terrains appartiennent au Syndicat Mixte du Port de Dieppe dont le président n'est autre qu'Hervé Morin, Président de Région, ancien ministre UDI de la Défense. Celui-ci a demandé et obtenu, avec l'appui du Maire PCF de Dieppe, Sébastien Jumel, l'expulsion des migrants de la zone concernée. Le maire de Dieppe est même allé voir le ministre Cazeneuve pour obtenir plus de répression contre ce qu'il appelle scandaleusement « la mafia albanaise », sans doute pour faire plaisir à une partie de son électorat quelque peu xénophobe. Un peu comme pour les armes de destruction massive en Irak, on recherche toujours la fameuse mafia…

Comment le Maire PCF traque les migrants

Les migrants se sont donc déplacés de quelques centaines de mètres, toujours près du Transmanche, dans des tentes fournies par Médecins Sans Frontières, sur un terrain appartenant à la Chambre de Commerce et d'Industrie qui a aussitôt demandé (et obtenu) le démantèlement du campement. Les migrants sont maintenant éparpillés dans la ville, squares, squats, dans des conditions encore plus précaires. Le maire PCF a fait murer un auditorium, le dernier endroit où les migrants pouvaient se mettre à l'abri.

Dans la lignée de Marchais-Hue-Mercieca

Il faut dire que le PCF a une longue tradition en la matière. Tout le monde se souvient de Georges Marchais appelant à stopper l'immigration légale et clandestine, de Robert Hue, maire de Montigny-lès-Cormeilles, en 1981, maniant la délation à l'encontre d'une famille de travailleurs immigrés accusée à tort de trafic de drogue, du maire PCF de Vitry, Paul Mercieca envoyant des bulldozers pour raser un camp de Maliens le 24 décembre 1980. La tâche des bénévoles devient de plus en plus compliquée. Un certain nombre de migrants, écœurés par tant de haine à leur égard, ont préféré rejoindre d'autres ports : Cherbourg, Ouistreham…, d'autres retournent sur Calais.

Rappelons que selon l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État » et « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien et de revenir dans son pays. »

Jeanne Malmont,
28-08-2016

* Centre d’accueil des demandeurs d’asile

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«Afflux massif» de « migrants » en Europe ?

Depuis 2014, c’est en effet l’idée qui est véhiculée par les titres accrocheurs de la presse et des JT (« afflux massif de migrants », « crise migratoire ») et les images utilisées en illustration (bateaux surchargés et foules invasives sur les chemins). Qu’en est-il en réalité ?

Le terme de migrant, terme désignant toutes les personnes déplacées, est préféré par les médias à celui du réfugié, protégé par la convention de Genève alors même que la moitié des arrivants sont des Syriens, fuyant la guerre. Le glissement juridico-sémantique est symptomatique de la volonté de ne pas s’apitoyer et de ne pas accorder le refuge ou un quelconque asile.

Qu’en est-il en réalité ? L'ONU par son Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), a comptabilisé un maximum de 1 million de personnes entrées en Europe via la Méditerranée en 2015 (contre 216 000 en 2014). Si ce chiffre est important, il nécessite d’être toutefois relativisé en fonction de plusieurs critères géographiques, historiques, économiques et démographiques.

Il doit tout d’abord être comparé aux 65,3 millions de personnes déplacées de force à l’échelle mondiale (dont plus de 40 millions à l’intérieur de leur propre pays) 1 .

Sur les 25 millions déplacées hors de leur pays de naissance, plus de 50 % sont accueillies dans six pays pesant moins de 2 % de l’économie mondiale, tous situés hors d’Europe. C’est ainsi que la Turquie en accueille 2,5 millions, le Pakistan 1,6 million, le Liban 1,1 million… Les six pays les plus riches, totalisant près de 57 % du PIB mondial, dont font partie trois pays européens (l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France) n’accueillent qu'à peine 9 % de réfugiés.

Par ailleurs, démographiquement, le million d’étrangers arrivés clandestinement en Europe en 2015 ne représente en fait que 0,2 % de la population de l’Europe. C’est ainsi que le nombre de réfugiés pour 10 000 habitants à la fin de 2014 est sans commune mesure en France (46) ou en Allemagne (56) avec ce qu’il représente en Turquie (226) ou au Liban (2587)…

Enfin, si l’on fait un petit retour historique, cette arrivée de réfugiés n’est pas la première que l’Europe doit intégrer : sans remonter jusqu’à la seconde guerre mondiale ou la guerre froide, en 1992, le nombre de demandes d’asile faites à l’Union européenne à 15 avait dépassé les 600 000 suite à la guerre en ex-Yougoslavie, soit le même chiffre qu’en 2014 dans l’Europe des 28. Si les demandes ont dépassé le million en 2015, en revanche les réponses positives n’ont concerné que 360 000 réfugiés.

En réalité, l’origine des réfugiés, leur religion et le contexte des attentats ont libéré de toute retenue la parole déjà ordinairement xénophobe des hommes politiques de toute l’Europe. C’est donc sans répit que, depuis 2014, ils déshumanisent les réfugiés en les comparant à des animaux menaçants ou à des catastrophes naturelles (de la fuite d’eau évoquée par Sarkozy pour qualifier l’arrivée des réfugiés en passant par le premier ministre britannique David Cameron les assimilant à un « essaim » ou le président tchèque Vaclav Klaus à une « vague » ou un « tsumami » prêt à déferler sur l’Europe … pour arriver à Victor Orban les qualifiant de « poison » amenant le terrorisme, la criminalité et le chômage en Europe).

La mort aux frontières...

Ce qui caractérise la situation migratoire en Europe, plutôt que l’afflux de réfugiés, c’est une fermeture barbare et indigne des frontières à tous les peuples opprimés et particulièrement à ceux chassés par la guerre en Afrique (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Libye, Mali, Nigéria, République démocratique du Congo, Soudan du Sud et Burundi), au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen) et en Asie (Kirghizistan, Birmanie, Pakistan). La réalité des chiffres c’est une Europe qui contraint les réfugiés à arriver illégalement et qui est responsable de plus de 10 000 morts en Méditerranée depuis 2014. Pour les huit premiers mois de 2016, sur 4254 décès de « migrants » de par le monde, 3171 l’ont été en Méditerranée 2 !!!

L'Europe forteresse

Plutôt que d’ouvrir ses frontières aux réfugiés d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, l’Europe dépense sans compter pour garder ses frontières (via l’Agence européenne de sécurité aux frontières appelée Frontex) ou externaliser le contrôle de ses frontières à la Turquie par l’accord scélérat de mars 2016 qui bafoue la convention de Genève. Les réfugiés syriens, irakiens sont bloqués en Turquie et ne peuvent plus accéder en Europe ; les 160 000 réfugiés qui étaient en Grèce doivent être « triés » dans des « hot spots » avant d’être « acceptés » en Europe ou renvoyés en Turquie.

Même la frileuse politique des quotas proposée par Juncker est rejetée par une grande partie des Etats européens qui ont reconstruit depuis 2014 des frontières entre eux avec des barbelés ou envisagent des referendums sur l’accueil des réfugiés (comme la Hongrie en octobre 2016).

Traque et répression en France

Le gouvernement français n’est pas en reste : la traque des clandestins et leur répression s’accentue chaque jour à Calais, à Dieppe (voir article ci-contre) tandis que les chiffres de l’enfermement des réfugiés atteignent des sommets : 48 000 personnes placées en centre de rétention en 2015.

Où sont les candidats à la future élection présidentielle française qui dénoncent cette politique mortifère, inhumaine et indigne ? Où sont les candidats qui dénoncent la politique guerrière de la France en Afrique et au Moyen-Orient et le doublement en dix ans du budget destiné aux opérations extérieures de la France 3 ? Où sont les candidats qui dénoncent le triplement depuis le début du septennat Hollande des ventes d’armes du gouvernement français (dont les deux tiers aux pays du Proche et du Moyen-Orient) 4 ?

Libre circulation des peuples et des hommes

Respect de la convention de Genève

Abrogation des accords scélérats du Touquet, UE-Turquie, Schengen…

Régularisation de tous les sans-papiers, fermeture de tous les centres de rétention

Retrait des troupes françaises, arrêt des ventes d'armes par le gouvernement

Isabelle Foucher,
06-09-2016

1. Tendances mondiales du HCR : les déplacements forcés en 2015 . Rapport annuel (en anglais).

2. http://missingmigrants.iom.int/

3. Challenges , Opérations extérieures : une facture de plus en plus salée, 7 septembre 2015.

4. http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/rapport-au-parlement-sur-les-exportations-d-armement-2016

signalé par l’article de Mediapart :

https://www.mediapart.fr/journal/international/010616/ventes-d-armes-de-la-france-un-trafic-toujours-opaque

Voir aussi : https://www.mediapart.fr/journal/international/230816/la-france-accusee-de-vente-darmes-utilisees-contre-des-populations

Modifié le lundi 05 septembre 2016
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