"37,5 pour tous, public-privé : la bonne pointure"
5 pour tous | l'offensive du gouvernement contre les retraitesChirac l'avait bien annoncé dans ses voeux de nouvel an : " La réforme des retraites est le principal chantier du gouvernement en 2003 " et, avait il précisé, ce serait " un grand péril de ne pas la faire ". Lui emboîtant le pas, Raffarin s'est exprimé sur ce sujet devant le Conseil économique et social, vendredi 3 février. Quels sont les grands axes qu'il a développés ? Ils tiennent en trois mesures : harmonisation entre le public et le privé, c'est-à-dire faire passer les fonctionnaires et régimes spéciaux (EDF-GDF, SNCF, etc.) de 37,5 annuités à 40 ; maintien du droit à la retraite à 60 ans mais incitation à continuer de travailler après cet âge, encouragement de " l'épargne salariale volontaire ", c'est-à-dire mise en place de fonds de pension complémentaires. Cynique, il " encourage " les plus de 55 ans à continuer de travailler car on constate souvent que des travailleurs fatigués deviennent " des jeunes retraités actifs et dynamiques ". Des simulateurs, en quelques sorte...En clair, l'axe prioritaire du gouvernement, on s'en serait douté, est - au nom, bien sûr, de l'égalité - d'aligner dans un premier temps la Fonction publique et les régimes spéciaux sur le privé.
Les réactions syndicales
Interrogés à l'issue du discours de Raffarin, les dirigeants syndicaux ont donné leur point de vue. Chérèque, dirigeant de la CFDT, estime que " nous avons été entendus. Il faut aller vers un consensus et faire ensemble la réforme ". Aucune surprise donc de la part d'une confédération qui se prononce ouvertement pour les 40 annuités public-privé, l'épargne salariale, marchepied des fonds de pension. Chérèque, homme lige du gouvernement Chirac-Raffarin, fidèle à son prédécesseur, Nicole Notat.
Bernard Thibault, pour la CGT, tout en soulignant " les contradictions du discours ", a estimé qu'il ne fallait pas " engager le vote d'une loi sur les retraites au mois de juillet ", mois peu propice à un tel débat. Quel mois préfère donc Thibault ?
Enfin, Blondel, pour FO, appelle à une négociation avec " l'ensemble des partenaires sociaux " et non de manière bilatérale, tout en indiquant, à juste titre, que " lorsqu'on déshabille les fonctionnaires, on n'habille pas forcément le privé ".
Et pour finir, le MEDEF s'est, bien entendu, " félicité " des propositions de Raffarin.
Le mur des 37,5 annuités
Interrogé sur TF1 par Poivre d'Arvor, à la question " Allez-vous niveler par le bas le public et le privé à 37,5 annuités ? ", Raffarin a bondi : " Ca, pas question ! " Aussi, au nom de " l'harmonisation " et de " l'égalité ", la première étape est bien de faire passer les fonctionnaires à 40 annuités. Or, les 500 000 manifestants du 1er février l'avaient parfaitement compris : " 37,5 pour tous " fut le mot d'ordre le plus scandé dans les cent villes où ils sont descendus en masse pour les retraites. Ils ont de ce fait parfaitement compris que " 37,5 pour tous ", c'est le ciment de l'unité de la classe ouvrière, qu'il faut défendre le système par répartition solidaire.
Accessoirement - dirons-nous - c'est aussi le mot d'ordre qui rejette toutes les manoeuvres des appareils syndicaux qui se prononcent pour une réforme. En effet, on cherche vainement, dans l'appel intersyndical à la manifestation du 1er février le mot d'ordre de 37,5 annuités pour tous. Au nom de l'unité, c'est une unité qui aligne, la CGT en particulier, sur les orientations de la CFDT qui se prononce clairement pour les 40 annuités dans le public. Cette dernière s'est d'ailleurs félicitée, par une déclaration de sa commission exécutive, le 7 janvier, en ces termes : " Un accord qui pousse à la réforme. La CFDT confirme sa signature de la déclaration intersyndicale sur les retraites et sa participation à la journée de manifestation du 1er février. " La CFDT, qui martèle depuis des mois que le syndicalisme doit " choisir entre réforme et immobilisme " se félicite que " toutes les organisations syndicales, y compris celles qui refusaient hier encore l'idée d'une réforme, rejoignent cette dynamique pour affirmer ensemble la nécessité d'une réforme et en définir les principaux objectifs ". Ainsi la CFDT, qui se prononce pour les retraites à la carte (40 ans et plus, liquidation des 37,5 annuités dans le public, fonds de pension), se frotte les mains en voyant la CGT rejoindre les rangs des partisans de la réforme. Seulement, force est de constater que l'écrasante majorité des 500 000 manifestants n'est pas d'accord avec cette " unité " syndicale-là. En réclamant les 37,5 pour tous, elle bouscule brutalement le dispositif mis en place pour lui faire accepter une réforme pro-patronale, pro-Raffarin.
Thibault, accroché le 1er février au bras de Chérèque, a-t-il entendu ce que les salariés scandaient derrière lui ? C'est à espérer...
Le référendum à EDF-GDF : un désaveu pour les partisans de la réforme
Le 9 janvier dernier, les gaziers et électriciens se sont prononcés à une large majorité pour le " non " au relevé de conclusions qui supposait la liquidation de leur régime spécial (37,5 annuités entre autres) et un alignement progressif sur le régime général. Ce fut un camouflet pour la direction d'EDF-GDF, donc pour Raffarin, et un désaveu des dirigeants syndicaux de la CFDT qui avaient milité pour le " oui ", mais aussi de Denis Cohen, dirigeant de la CGT-Energie qui, lui aussi, avait appelé à voter " oui ". Olivier Barrault, autre dirigeant de la CGT-Energie, partisan du " non ", avait même déclaré : " Le oui de Denis Cohen est scandaleux, il est secrétaire général de la fédération mines-énergie et pas un simple membre. Qu'il ait ses idées, c'est normal, mais le débat doit avoir lieu dans les instances et pas de manière permanente. " Après ce cinglant échec des partisans de la réforme des retraites, la CGT dut faire une rapide marche arrière en se prononçant contre la signature du relevé de conclusions. Seulement, la leçon est là, impossible de l'effacer des mémoires : les gaziers-électriciens, en avant-garde des manifestants du 1er février, ont refusé la remise en cause de leurs acquis. " Les retraites, premier chantier d'une CGT de plus en plus tentée par la réforme ", titrait le 9 janvier dernier (avant le résultat du référendum à EDF GDF) le journal patronal La Tribune qui rappelait à cette occasion que, outre Denis Cohen, Jean-Christophe Le Duigou, en charge des questions économiques au sein du bureau confédéral de la CGT, faisait lui aussi partie des partisans de la réforme. A trois mois du 47e congrès confédéral, ça promet. La lutte de classes, du 26 novembre au 1er février, en entraînant d'autres échéances de même nature, sera omniprésente dans ce congrès où le sort de la CGT (syndicat de lutte de classe ou syndicat d'accompagnement, style CFDT) se jouera.
Derrière la réforme, les fonds de pension
Quel est l'enjeu ? Il s'agit tout simplement, pour le gouvernement Chirac-Raffarin, d'honorer la décision prise et signée, les 15 et 16 mars 2002, à Barcelone, par les gouvernements de l'Union européenne, dont le gouvernement français de " gauche plurielle ", celui de Jospin-Gayssot-Verts. Cet accord stipule l'obligation des gouvernements de prolonger de cinq ans l'âge moyen de départ à la retraite d'ici 2020. Tel est l'objectif. Il s'agit donc bien pour les gouvernements de l'Union européenne de remettre en cause les acquis sociaux, de niveler par le bas toutes les conquêtes, dont les retraites. S'agissant d'un dossier dont Rocard disait, déjà en 1991, qu'il " pouvait faire chuter plusieurs gouvernements ", le gouvernement Raffarin est décidé à honorer la signature de Jospin, en avançant à pas prudents et en s'assurant de l'assentiment des dirigeants syndicaux. D'abord, on aligne le public sur le privé à 40 annuités. C'est la condition première pour, ensuite, allonger la durée de cotisation dans le privé à 41, 42, voire 43 ans et plus. Ensuite, au nom de l'égalité, aligner à nouveau le public sur le privé. Dans le même temps, pour " assurer un bon niveau de retraite ", on préconise fortement l'épargne salariale, c'est-à-dire les fonds de pension déguisés. Et le tour est joué.
De Rocard à Raffarin
Il n'y a rien de nouveau sous le soleil et le gouvernement Raffarin puise dans les poubelles de ces prédécesseurs - dont Rocard, Premier ministre en 1991, qui dans sa préface du livre Demain, les retraites, indiquait déjà : " La guerre capitalisation-répartition, par exemple, n'aura pas lieu car elle n'a pas beaucoup de sens. En revanche, a du sens le point de savoir s'il faut constituer des réserves pour le régime de répartition et inciter les entreprises à enrichir le contrat de travail d'une dimension de salaire différé sous forme de fonds de pension. "
Ernest-Antoine Seillière, pour le Medef, ne dit pas autre chose. Interrogé dimanche 19 février sur Europe 1, il a clairement indiqué que le recours aux fonds de pension était " inévitable " : " Je ne l'ai jamais préconisé comme une alternative à la répartition, mais comme un complément inévitable, et ce sera mis en place. " Encore un qui a lu Rocard...
l'héritière spirituelle de ce dernier, Martine Aubry, a pour sa part affirmé qu'" inquiète sur l'avenir de la retraite par répartition, je ne suis ni pour 37,5 ans de cotisation pour tout le monde, ni pour 40 ans pour tout le monde ". En somme, les retraites à la carte chères à la CFDT.
Quant à Marie-Georges Buffet, remplaçante du malheureux Robert Hue qui va désormais avoir du temps pour tirer le bilan de la politique anti-ouvrière du gouvernement de la "gauche plurielle", elle a pronostiqué le 22 janvier " qu'il y aura du monde... " le 1er février dans la rue. Sur ce point, elle a vu juste, ce n'était pas bien compliqué, mais en revanche elle a ajouté... " pour proposer une réforme audacieuse et juste ". Perdu. Les 500 000 manifestants ont exigé l'unité pour les 37,5 annuités public-privé, pas une réforme.
Le fil conducteur qui relie le succès du 26 novembre, le " non " des gaziers-électriciens et les manifestations du 1er février, c'est celui de la classe ouvrière qui n'entend pas se laisser déposséder par le gouvernement réactionnaire de ses acquis, quitte à bousculer à chaque fois le dispositif de ceux qui, à la tête des directions syndicales, ont lié leur sort à l'économie de marché, au nom du " réalisme " et de la " modernité ".
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