La Sécurité sociale minée par le « déclin des cotisations »

Décriées comme des « charges », les cotisations (part salariés et part patronale) versées à la Sécurité sociale sont en réalité partie intégrante du salaire que l’on appelle « salaire différé ». La Cour des comptes parle de leur « déclin ». Un déclin qui n’est pas dû à une « évolution fatale » ou à une « main invisible » mais qui obéit à un plan concerté dans un consensus « gauche-droite ». Premier aperçu.

La Sécurité sociale minée par le « déclin des cotisations »

Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2015 a le mérite de la clarté:

« La Cour a ainsi analysé l’évolution de la part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale. Cette dernière a connu un recul massif en 25 ans : les 322 Md€ qu’elles ont apportés en 2013 n’en représentaient plus que 60 %. »1 A sa création en 1945, la sécurité sociale était quasiment exclusivement financée par des cotisations sociales assises sur les salaires. En 1978, la part des cotisations sociales atteignait encore 83,5%. Trente-cinq ans plus tard, elle est tombée à 60 %.. Ce déclin des cotisations, selon la Cour des comptes « traduit aussi le souci sans cesse plus affirmé de limiter le poids des prélèvements sociaux sur les revenus d’activité pour soutenir l’emploi et la compétitivité économique ». Et de rappeler que ce « déclin des cotisations » obéit à « la politique conduite avec continuité depuis 1993 pour faire bénéficier les entreprises d’allégements généraux de cotisations, encore substantiellement accrus dans le cadre du pacte de responsabilité présenté en 2014 » . Autrement dit : les cotisations, voilà l’ennemi des gouvernements successifs !

Un recul massif de la part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale à partir des années 90

En 1990, les cotisations sociales représentaient 86 % des recettes, soit 2,5 points de plus qu’en 1978.
Cette évolution s’est radicalement inversée avec la mise en place de la CSG en 1991, qui a élargi l’assiette des prélèvements sociaux aux autres revenus que les salaires, puis avec la montée en puissance des exonérations de cotisations patronales dans l’objectif d’alléger le « coût du travail ».

Ce double mouvement s’est traduit, par un recul de plus de 20 points de la part des cotisations sociales dans les recettes. La création de la CSG et sa substitution en 1991 à une partie des cotisations « patronales » famille, puis à la majeure partie des cotisations salariales maladie entre 1996 et 1998 se sont accompagné au total d’une réduction de 7,6 points des cotisations aux régimes de base, soit 32 Md€, représentant près de 15 % du produit total des cotisations sociales.

Les exonérations de cotisations décidées au cours des années 1990 et accentuées en 2000 se sont traduites par des diminutions de recettes de cotisations représentant près de 28Md€ en 2013 (hors exemptions d’assiette). Elles ont été compensées par l’affectation d’impôts et de taxes, pour près de 21 Md€ par l’État.

Un recul inégal suivant les risques.
Le recul de la part de cotisations est plus ou moins marqué selon les risques :

  • Les cotisations de la branche maladie , soit plus de 85 Md€, ne représentent plus que 45 % de leurs recettes prévisionnelles pour 2015. Cette situation résulte directement de la suppression de la quasi-totalité des cotisations salariales au profit de la CSG en 1997-1998. Les cotisations demeurent cependant la première ressource de l’assurance maladie, devant la CSG.

  • Financement des risques accidents du travail et maladies professionnelles : Les cotisations dites patronales sont restées la source quasi exclusive du, avec une part voisine de 95 % des recettes. Ce secteur financé par les cotisations est excédentaire.

  • Les cotisations de la branche famille , soit 32 Md€ de cotisations exclusivement « patronales » prévues pour 2015, représentent encore 61 % de ses recettes. La part des cotisations, qui représentait encore 95 % des ressources de la branche en 1990, est ainsi passée à 67% en 2005, puis à 64 % en 2010.

  • La part des cotisations finançant le risque vieillesse a également reculé du fait de la montée en charge, à partir de 1994, du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), financé par la CSG et par des impôts et taxes affectés. Ces derniers représenteraient en 2015 près de 24 Md€, soit 8% des recettes des régimes de retraite (18% pour le seul régime général). En 2013, la part des cotisations sociales dans les ressources des régimes de retraite de base s’est élevée à 56 %. Cette proportion a atteint 76 %, les régimes complémentaires qui conservent un financement prépondérant par les cotisations.

Il est temps de déminer la Sécurité sociale, attaquée jusque dans ses fondements et de la restaurer sur ses bases fondatrices de 1945, en rétablissant le principe de la sécurité sociale financée exclusivement par le salaire différé (ou « socialisé »), sans « exonérations ».

Remi Duteil,
30 décembre 2015

1 [Cour des comptes / Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, page 8- 09/2015]

Modifié le lundi 11 janvier 2016
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