Quelques mots sur l'Ukraine

Nous publions ci-dessous un article de Vincent Présumey, militant révolutionnaire et syndicaliste FSU, dont nous partageons les grandes lignes et qui a le grand mérite de « tordre le cou » aux idées reçues sur l’Ukraine.

Jamala avec Mustapha Djemilev, ancien compagnon de lutte de Léonide PliouchtchJamala avec Mustapha Djemilev, ancien compagnon de lutte de Léonide Pliouchtch
Photo : lecomte-est-bon.blogspirit.com

Devinette : quel est le grand pays européen dans lequel, récemment, un début d'explosion révolutionnaire, avec manifestations de masse, apparition d'organismes ad hoc occupant temporairement la place de l'État dans une grande partie du pays, a produit la fuite d'un président en exercice ?

Il y a fort à parier que beaucoup de militants de gauche et du mouvement ouvrier chez nous, peineraient à répondre. Certains citeraient peut-être l'Islande, en 2009, mais le pays dont il s'agit est nettement plus important (soit dit sans dévaloriser les Islandais !) : il s'agit de l'Ukraine.

Les hallucinations de Mélenchon

Mais sitôt l'Ukraine nommée : problème ! La plupart des camarades vous confieront honnêtement qu'ils ne connaissent pas bien (un pays européen aussi peuplé que la France, en position charnière, mais bon …) et hésitent à se prononcer, ajoutant, avec un peu moins de candeur, que ne sachant pas ils s'en désintéressent, sûre manière d'en savoir encore moins. Et quelques uns vous feront le coup du « pays de nazis », où des ultra-nationalistes haineux armés par l'OTAN interdiraient de « parler le Russe ». Citant éventuellement J.-L. Mélenchon qui, tellement convaincu qu'en Ukraine la Wermarcht, pardon l'OTAN, attaque l'armée rouge, pardon la Russie de Poutine, affirma sur son blog (4 mars 2015) avoir vu des mercenaires et des « pauvres diables chicanos » débarquer en Ukraine …

L’ « anti-impérialisme » aux couleurs de la France

Nous avons affaire ici à ce qu'on pourrait appeler l' « anti-impérialisme français ». Le militant « anti-impérialiste » dénonce les seuls Etats-Unis et ne critique les puissances européennes et la politique française que dans la mesure où il les pense alignés sur eux. En fait, il s'agit d'un chauvinisme aspirant à une mythique politique gaullienne restaurant l'alliance franco-russe. Il est parfaitement logique à cet égard qu'en même temps qu'il pourfendait d'hallucinatoires mercenaires chicanos débarqués par l'OTAN en Ukraine, J.-L. Mélenchon soutenait les paras français à Bangui.

Un lourd tribut

La réalité ukrainienne est celle, d'abord, d'une nation essentielle dans la lutte des classes européennes, et qui, avec les Juifs et les Irlandais, est celle qui a payé le plus lourd tribu à la contre-révolution impérialiste et/ou stalinienne depuis deux siècles, un fait qui n'est toujours pas reconnu car le caractère délibéré, et donc génocidaire, du Holodomor, la famine de 1932-1933, au moment même où Staline préférait Hitler à la révolution en Allemagne, reste souvent nié (7 millions de morts dont 4,5 en Ukraine).

Un soulèvement national et démocratique

Gouverné par une bureaucratie devenue capitaliste, ayant mis la main sur les usines d'État, notamment dans l'Est du pays, l'Ukraine a vu un soulèvement national, démocratique, se produire fin 2013 début 2014. Charriant beaucoup d'illusions (douchées depuis) sur l'Union européenne, ce mouvement, dit du « Maidan », a en réalité vu diminuer le rôle de l'extrême-droite, partagée en deux courants, les nationalistes intégraux, ethniques, de Svoboda, et le groupe radical-souverainiste Prayi Sector, bien que l'imagerie diffusée par les pro-Poutine de droite et de gauche en France se gave d'images de ces groupes.

Les faits

Une révolution commençait. Ce qui l'a gelée, c'est l'intervention armée russe. L'intervention de l'impérialisme russe, car tous les caractères d'une puissance impérialiste, non pas de premier plan, mais régionale et d'autant plus agressive, sont réunies par la Russie de Poutine. Poutine a annexé la Crimée, par une opération militaire décorée d'un référendum truqué. Les habitants de Crimée, russes, ukrainiens, tatars, n'ont pas pu décider de leur destin et ont été assimilés à des Russes, comme s'ils étaient des serfs attachés au sol. Il a ensuite couvert une « guerre hybride » financée par le plus grand capitaliste d'Ukraine, l'oligarque Akhmetov, dans le Donbass et à Louhansk. Alors qu'on a encore certains idiots utiles d'extrême gauche pour y voir des sortes de communes ouvrières, les travailleurs y sont réduits à la mendicité, la terreur y règne, le christianisme orthodoxe est obligatoire, les syndicalistes indépendants assassinés, les Juifs et les Roms menacés : c'est là que l'extrême-droite est au pouvoir, et pas ailleurs, en Ukraine, à l'ombre des tanks russes. Tels sont les faits.

Cette intervention a stoppé la révolution commençante, laissant pendant une immense aspiration démocratique et le rejet de la corruption, terme générique qui contient en fait à la fois les mœurs du capitalisme et celles de la bureaucratie. Seuls des groupes locaux, une mouvance de jeunes anarchistes (y compris, en Galicie, « anarcho-nationalistes »), et le syndicat indépendant des mineurs, en butte à l'hostilité du pouvoir mais légal alors qu'il est illégal dans le Donbass occupé, ont continué le combat, tandis que l'aspiration à détruire la corruption nourrit les apparitions d'hommes « providentiels » comme l'aventurier politique géorgien Saakachvili, devenu « gouverneur » d'Odessa.

Deux faits récents montrent à la fois où sont espoir et complexité.

Mi-mai, Nadia Savtchenko, pilote d'avion kidnappée par l'armée russe dans le Donbass, était libérée par la Russie. Il s'agit d'une héroïne nationale, comme un Padraig Pearse en Irlande en 1916 (la différence est qu'il y avait eu un James Connoly pour le mener au combat !) ou un Krim Belkacem en Algérie. Son retour en Ukraine inquiète le pouvoir, car elle fait figure de combattante contre la corruption et pour l'indépendance d'une Ukraine unifiée.

Et puis, il y a eu … l'Eurovision ! La victoire de la chanteuse tatare de Crimée Jamala a été vécue comme une victoire nationale par les Ukrainiens, ce qui indique le recul du nationalisme ethnique au profit du sentiment d'émancipation nationale associant tous les groupes, Ukrainiens, Russes d'Ukraine, Tatars, Juifs, dans une nation souveraine. Cette aspiration n'est pas compatible avec la domination impérialiste du capital, russe aussi bien qu'US ou européen…

Vincent Présumey,
02-06-2016

Modifié le lundi 06 juin 2016
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