Iran : la révolte des opprimés

La fin de l’année 2017 a vu naître en Iran un mouvement de protestation populaire, contre le régime, l’augmentation des prix et le chômage. Pendant une dizaine de jours (du 28 décembre 2017 au 5 janvier 2018) des milliers de travailleurs, de chômeurs, et de jeunes ont manifesté dans tout le pays et défié la « République islamique » de Khaménei (le Guide) et Rohani (le président). Ils se sont heurtés à une répression d’une extrême violence avec un bilan officiel de 25 morts et des centaines de manifestants emprisonnés.

Hassan RohaniHassan Rohani
(Photo : AFP/ATTA KENARE)

Le catalyseur de la contestation est l’annonce, début décembre, par le président Rohani, d’un budget d’austérité pour l’année à venir dans un contexte de vie chère et de hausse des prix (les œufs et les volailles ont augmenté de 50 % en décembre d’après les chiffres de la Banque centrale iranienne), de corruption et de chômage.

Un budget d’austérité

Ce budget prévoyait notamment une hausse de 50 % du prix de l’essence, la fin des primes en liquide pour les produits de première nécessité, la privatisation des écoles publiques ainsi qu’une augmentation de 39 % du budget militaire (qui a subi une hausse de 80 % depuis le premier mandat de Rohani).

Les sanctions économiques mises en place depuis 1995 par les puissances impérialistes et renforcées en 2010 et 2011 par les Etats-Unis (présidence Obama), ont paupérisé une grande partie de la population iranienne alors que la rente pétrolière continuait (et continue) d’enrichir la bourgeoisie nationale, et notamment son corps religieux (institutions religieuses dont celle du Guide suprême et des pasdarans 1) et finance les coûteuses interventions militaires dans la région (Liban, Irak, Syrie, Yémen…). La mise en œuvre, par le gouvernement, de politiques de désinflation, qui compriment les salaires, déjà bas, a touché très durement les ouvriers et les fonctionnaires et c’est dans ce contexte d’austérité salariale que les annonces d’un budget « d’ajustement » ont mis le feu aux poudres.

Alignement du régime sur le FMI

La levée des sanctions économiques, censée améliorer le quotidien de la population, n’a eu que peu d’effet. Surtout, ces sanctions n’ont pas été (partiellement) levées pour rien. Ce qui est à l’œuvre ici, comme en Europe ou en Amérique Latine, c’est un alignement de la bourgeoisie nationale sur les demandes du FMI. Un rapport 2 très explicite analyse les projections du FMI relatives aux dépenses publiques pour 181 pays, montre par exemple que la suppression des aides minimum, c’est-à-dire la fin des programmes de « cash transferts 3 » (pour « recapitaliser » les banques), la réduction des dépenses publiques et l’augmentation de la TVA font partie du package des mesures « d’ajustement » pour l’Iran. L’annonce du budget de Rohani s’aligne exactement et en tout point sur les diktats du FMI, outil financier du capitalisme mondial.

La base sociale de la contestation

D’après le sociologue Farhad Khosrokhavar « la révolte est beaucoup plus celle des “va-nu-pieds” que des classes moyennes : elle témoigne de la misère, de la baisse du niveau de vie dans une société où la rente pétrolière enrichit indûment, et par la corruption, les élites du régime » 4. On peut constater que ce sont les régions ouvrières du Kurdistan iranien qui ont mené la contestation. Ce mouvement a été nourri par les très nombreuses grèves sectorielles de ces dernières années (chauffeurs de bus de Téhéran, secteur de l’automobile, enseignants, ouvriers du textile) et la propagation de la contestation à l’ensemble du pays montre que la base sociale s’est élargie : d’abord à la jeunesse très présente dans les manifestations car comme l’explique l’universitaire Firouze Nahandi : « Le taux de chômage des jeunes, souvent très diplômés, se situe entre 30 % et 50 % »5, mais aussi à la « classe moyenne », première victime des faillites bancaires de 2016 et 2017 qui a perdu son épargne.

En Iran, comme en Grèce et sur tous les continents, le capitalisme mondial avec le relai des bourgeoisies nationales mettent les peuples à genoux. Les mouvements de cette fin d’année en Iran sur fond de crise économique et « d’ajustements structurels » expriment la révolte des opprimés qui se prennent en main, ne comptant que sur eux-mêmes. A leur mondialisation les peuples opprimés répondent par la lutte des classes.



Julie Charmoillaux,
28 janvier 2018




1 Les pasdarans sont les gardiens de la Révolution islamique, un corps armé d’élite, au service du Guide suprême.

2 http://policydialogue.org/files/publications/ERE_DE_AUSTERITE_Ortiz_Cummins.pdf

3 Il s’agit d’une sorte de revenu de base, payé en liquide, mis en place en 2011 pour remplacer les prix subventionnés comme ceux des carburants et des produits de bases.

4 http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/05/iran-que-traduisent-les-manifestations-de-ces-derniers-jours_5237961_3232.html

5 Ibid

Modifié le mardi 13 février 2018
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