Tsipras-Syriza vont à Canossa (1)

Le 5 juillet c’est pourtant par un « non » massif que le peuple grec a rejeté par 61,3 % des voix le plan d’aide des créanciers (la « Troïka » - Commission Européenne (CE), Banque Centrale Européenne (BCE) et Fond Monétaire International (FMI)  qui était soumis à référendum par le gouvernement d’Alexis Tsipras. Le même Tsipras, suivi massivement par droite et gauche du Parlement qui vient d’adopter 10 mesures d’austérité draconiennes supplémentaires à son peuple.

Pourtant, qu’a signifié le peuple grec par son vote massif pour le non ?

Ce résultat est un refus sans appel de l’austérité, de la misère et contre toutes nouvelles privations.
Les grecs ont dû faire face au chaos créé par l’instauration du contrôle des capitaux et qui a entraîné la fermeture des banques le dimanche 29 juin au soir après le refus des créanciers de la Troïka de prolonger l'aide financière au-delà du 30 juin. C’est le cas quand les Grecs se voient contraints de ne pouvoir retirer au maximum que 60 euros par jour et par personne aux distributeurs automatiques, causant la détresse et le malheur de tous ceux qui voulaient leur argent. La campagne contre le « non » a été si violente que des travailleurs, des syndicalistes, ont été menacés de sanctions et de licenciements à cause de leurs prises de positions. La brutalité est telle que Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances avant sa démission déclare : « Pourquoi est-ce qu'ils nous ont forcés à fermer les banques ? Pour insuffler la peur aux gens. Et quand il s'agit de répandre la peur, on appelle ce phénomène le terrorisme ».

Le non, une victoire des travailleurs grecs

Sur le terrain de la terreur et de la démagogie, les technocrates européens n’ont pas été en reste pour tenter eux aussi d’influencer le vote. Tout est bon. Pour Jean-Claude Juncker, le président de la Commission Européenne, « il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort » (sic), appelant le peuple grec à « voter oui, quelle que soit la question posée ». Pour lui, une victoire du « non » serait « désastreuse pour la suite des événements ». « Un non des Grecs au référendum serait interprété comme un non à la zone euro, un non a l’Europe ». Pour Martin Schulz, le Président du Parlement Européen, « une victoire du non au référendum en Grèce forcerait le pays à introduire rapidement une nouvelle monnaie ». « Ils devront introduire une autre monnaie, puisqu'ils n'auront plus d'euros à disposition comme moyen de paiement ». Pour Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, la « crédibilité de la zone euro » est plus importante que son « intégrité ». Enfin, François Hollande appelle les négociateurs à conclure un accord « tout de suite », craignant que le référendum de dimanche ne conduise la Grèce -et l'Europe- à effectuer « un saut dans le vide ».

Dans ce contexte extrême, les 61,3 % du « non » sont donc une authentique victoire politique des masses contre la Troïka et les institutions antidémocratiques de l’Union Européenne (UE), une victoire contre l’austérité et contre les fauteurs de misère. C’est aussi une victoire contre les banqueroutiers qui ont fait campagne et appelé à voter « oui » comme le PASOK (social-démocrate), Nouvelle Démocratie (droite conservatrice) et To Potami (centre). C’est, enfin, une victoire contre Tsipras et sa majorité gouvernementale Syriza-ANEL (extrême droite) grâce à la neutralisation du piège du référendum.

Tsipras et Syriza violent brutalement le vote du 5 juillet !

A peine quelques jours après ce vote pourtant sans ambigüité contre l’austérité, Tsipras présente ses 10 propositions. En résumé :
« Actions prioritaires et engagements », tel est le titre du document envoyé par Tsipras à L'union européenne, la BCE et le FMI. En voici les principaux points : Hausse de la TVA à 23%, y compris pour la restauration. La TVA sur les produits de base, l'électricité et les hôtels, la TVA reste à 13% et à 6% pour les médicaments, livres et places de théâtre. · Suppression des avantages fiscaux pour les îles, à commencer par les îles les plus riches et touristiques. Depuis plusieurs années une réduction de la TVA de 30% y est appliquée. · Hausse de la taxe sur les sociétés de 26 à 28%. · Âge de départ à la retraite fixé à 67 ans ou 62 ans avec 40 ans de travail. Cet âge sera relevé graduellement d'ici à 2022. · Réduction du plafond des dépenses militaires de 100 millions d'euros en 2015 et de 200 millions en 2016 contre une réduction de 400 millions proposée par les créanciers. · Déréglementation de certaines professions, dans le secteur du tourisme, chez les ingénieurs, les notaires, etc. · Mesures pour lutter contre l'évasion fiscale et la réorganisation du système de collectes des impôts. · Evaluation des fonctionnaires et mesures pour moderniser le secteur public. · Vente de la part restant de l'Etat au capital social des télécommunications grecques OTE, dont le principal actionnaire est Deutsche Telekom. Appel d'offres lancé pour la privatisation des ports du Pirée et de Thessalonique d'ici octobre.
Sous certains aspects, Tsipras va même au-delà des demandes de l’UE ! Les Grecs sont à nouveau poignardés dans le dos par ceux auxquels ils ont donné mandat contre l’austérité. Les premières manifestations de salariés, qui en appellent sans doute bien d’autres ont eu lieu à Athènes et dans toute la Grèce. Et l’aile gauche de Syriza rue dans les brancards.

Pas de salut hors de l’exigence d’annulation de la dette

Nous avons été parmi les rares, dès janvier 2015, à souligner la contradiction majeure devant laquelle se trouvait Syriza. D’un côté, les masses l’ont clairement investi d’une politique de rupture avec l’UE et l’austérité. De l’autre, Tsipras et sa majorité qui veulent « trouver une solution viable, juste et mutuellement utile » dans le respect du cadre des institutions européennes. Le credo de Tsipras ? « la restructuration de la dette et son rééchelonnement ». Surtout pas son annulation car cela signifierait rompre avec l’UE et la Troïka, ce qu’il refuse. Et c’est là que le bât blesse.
Comme s’il était possible de négocier loyalement, d’égal à égal, avec les représentants de l’impérialisme le plus sauvage.
A ce jeu cynique et mortifère, les capitalistes sont évidemment les plus forts. Et ils comptent bien faire payer au peuple grec, et jusqu’au dernier centime d’euro, les frais de leur propre crise. Car il s’agit au fond pour l’UE et le FMI de se venger et de briser politiquement l’échine du peuple grec afin d’en faire un exemple aux yeux de tous ceux qui auraient l’outrecuidance de vouloir s’opposer à leurs intérêts. Cela est notamment valable pour l’Espagne où la crise économique a créé une profonde instabilité politique.

Il n’est pas sûr que l’UE n’exige pas plus d’humiliations de la part de Tsipras !

Ainsi, depuis six mois, Tsipras et le gouvernement Syriza-ANEL négocient, le couteau de la Troïka sous la gorge, tous les reculs, toutes les compromissions et trahisons « viables » de leur programme, celui-là même pour lequel ils ont été élus. Mais cela ne suffit pas. Cela ne suffit jamais à rassasier les appétits voraces des capitalistes. On connaît les tristes résultats : paiement rubis sur l’ongle des échéances de remboursement des créanciers (dette + intérêts), poursuite des privatisations, poursuite de la casse des services publics et de la protection sociale, casse des retraites et de la santé, renoncements aux principales mesures du plan d’urgence. Cette politique de soumission aux diktats de la Troïka a bien sûr des conséquences dramatiques et immédiates pour toute la population grecque qui, plus que jamais, subit le chômage de masse, les baisses des salaires et des minima sociaux, la chute du pouvoir d’achat et la vie chère, l’explosion de la misère, en somme la paupérisation des conditions d’existence de tout un peuple. C’est justement pour rompre avec cette politique que Tsipras a été élu .C’est pourtant ce à quoi il tourne le dos.il n’est pas sûr d’ailleurs, à l’heure où nous écrivons que l’UE lui en soit reconnaissante et qu’elle n’exige pas encore et toujours plus ! Tsipras, tu vas boire le calice jusqu'’à la lie, lui disent les dirigeants de l’UE…

Au fait, pourquoi Tsipras a-t-il organisé ce référendum ?

Pourquoi Tsipras a organisé ce référendum alors que, démocratiquement et légitimement élu en janvier, il était fondé à refuser la ratification de l’accord scélérat ? Pourquoi ce souci de la consultation populaire alors que le peuple n’a jamais été consulté ni sur l’élaboration ni sur les contenus des lettres et plans de réformes proposés à la Troïka par Tsipras et son gouvernement ? Etait-ce une « géniale stratégie » (façon Staline, Kim Il Sung, Mao, Pol Pot) pour renforcer sa position dans les négociations comme beaucoup de soutiens le prétendent ? Etait-ce par lâcheté politique (c’est pas moi, c’est le peuple qui ni veut pas) ? Ou, bien plus certainement, était-ce dans l’objectif d’instrumentaliser le « non » qui sortirait des urnes, et justifier ainsi la nécessité de trouver un bon accord avec l’UE et le FMI. Et cela n’a pas manqué, avant même la proclamation officielle des résultats !

« Le non au référendum est un grand oui à la démocratie » (Varoufakis)

Pour Yanis Varoufakis (alias Bruce Willis), la victoire du non est aussi « un outil qui servira à tendre une main coopérative à nos partenaires ». Il déclare que « dès lundi le gouvernement va œuvrer pour trouver un terrain d'entente » avec l'UE et le FMI. « Nous allons négocier d'une manière positive avec la Banque centrale européenne et la Commission européenne ».
Tsipras estime lui que le « non » lui donne le droit de « renégocier » et non d'engager « une rupture » avec l'UE. « Il existe des solutions justes et viables. Je suis certain que la BCE comprend la dimension humanitaire de la crise dans notre pays ».

Réouverture des négociations

Et les négociations furent rouvertes, comme par miracle. Il suffisait de demander… Une réunion de crise Hollande-Merkel le 6 juillet, un entretien téléphonique Tsipras-Barack Obama le 7 juillet, puis au cours d’une réunion extraordinaire des dirigeants de la zone euro organisée à Bruxelles, voilà que Tsipras remet à Hollande, Merkel et Juncker, une note contenant de nouvelles propositions de réformes. Selon la presse internationale, « Athènes s'engagerait en échange d'un nouveau plan d'aide à de nouvelles réformes et demanderait une restructuration de la dette. Il pourrait s'agir d'une version adaptée des dernières propositions de la Commission européenne formulées le 30 juin et rejetées par la Grèce. »

Les deux premières victimes du « NON »

« Peu de temps après l’annonce des résultats du référendum, on m’a informé d’une certaine préférence de membres de l’Eurogroupe, et de “partenaires” associés, […] pour mon “absence” des réunions ; une idée que le premier ministre a jugé potentiellement utile à l’obtention d’un accord. Pour cette raison je quitte le ministère des finances aujourd’hui. ». « J'estime qu'il est de mon devoir d'aider Alexis Tsipras à exploiter, comme il le jugera adéquat, le capital que le peuple grec nous a accordé lors du référendum ». Yanis Varoufakis, principal négociateur avec la Troïka depuis janvier 2015, démissionne du gouvernement le lendemain de la victoire afin de ne pas gêner Tsipras. Cette démission se veut un geste de bonne volonté de Tsipras à l’adresse de la Troïka et fait suite à son écartement de la délégation des négociateurs lors du round de Riga en avril dernier. A l’époque, ce retrait était justifié par son don d’énerver ses interlocuteurs.

L’autre victime n’est autre qu’Antonis Samaras, Premier ministre au plus fort de la crise entre juin 2012 et janvier 2015. Dans la foulée de la victoire du « non » au référendum, il a remis sa démission de chef du principal parti d’opposition grec, Nouvelle Démocratie (conservateurs). Il avait mené campagne et appelé à voter « oui » et explique : « notre parti a besoin d’un nouveau départ, dès aujourd’hui je démissionne de la direction ».

Rupture avec l’UE et l’austérité !

Par son vote du 5 juillet, le peuple grec a exigé le respect du mandat qu’il a confié à Syriza en janvier : rupture avec l’UE ; arrêt de l’austérité ; fin des plans de réajustement, annulation de la dette ! En ce sens, le peuple n’est pas resté immobile face aux dérobades et au manque de courage de Tsipras d’aller à la rupture.
Dans ce cadre, les conditions de la mobilisation de la classe ouvrière et son irruption dans la lutte de classes conditionnent largement les rapports de forces et conditionnent les événements qui viennent dans la voie de la rupture avec l’UE. C’est donc par et dans la lutte de classes que les travailleurs grecs trouveront les chemins politiques qui les mèneront à la victoire.

Wladimir Susanj
11 juillet 2015

Modifié le dimanche 12 juillet 2015
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