Grèce : « Un génocide social »

« L'économie, l'État, la politique de la bourgeoisie et ses relations internationales sont profondément atteintes par la crise sociale qui caractérise la situation pré-révolutionnaire de la société. Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation pré-révolutionnaire en situation révolutionnaire, c'est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat, sa couardise petite-bourgeoise devant la grande bourgeoisie, les liens traîtres qu'elle maintient avec celle-ci, même dans son agonie »

Ces quelques lignes, extraites du « Programme de Transition » de Léon Trotsky, illustrent avec une acuité saisissante la crise politique majeure qui caractérise aujourd’hui la situation en Grèce. Encore convient-il pour être complets de citer la suite : Dans tous les pays, le prolétariat est saisi d'une profonde angoisse. Des masses de millions d'hommes s'engagent sans cesse sur la voie de la révolution. Mais, chaque fois, elles s'y heurtent à leurs propres appareils bureaucratiques conservateurs. »

Comme ils sont loin les flonflons du bal du 25 janvier. Aussi éloignés que le sont la victoire électorale de Syriza, l’accession de Tsipras au poste de Premier ministre ou les promesses de mettre un terme à l’austérité. Comme il semble loin, tout à coup, ce temps où Syriza était qualifié de parti d’ « avant-garde » ou de parti « révolutionnaire ».

Sept mois après, c’est la gueule de bois pour la classe ouvrière grecque qui va continuer à être saignée à mort. C’est aussi la fin du mythe pour tous ceux qui n’ont pas fait - ou pas voulu faire - la distinction entre la victoire politique des masses contre l’UE ; les illusions saines et compréhensibles qu’elles ont investies en Syriza et en son « plan d’urgence ; et la politique capitulatrice de Tsipras et de son gouvernement Syriza.

Pour notre part, nous avions fait toutes ces distinctions dans notre analyse politique de la situation et nous interprétions comme il se doit les premières déclarations de Tsipras qui, dès le 27 janvier, affirmait qu’il n’était pas question d’exiger l’annulation de la dette mais sa « restructuration » ou « son rééchelonnement », tout comme il déclarait qu’il n’était pas question de rompre avec la Troïka, l’UE et ses institutions, mais de « trouver une solution viable, juste et mutuellement utile » avec ses « partenaires », le nouveau vocable pour définir les membres de la Troïka. Tsipras, fort de son mandat électoral, veut négocier. Comme si les intérêts du peuple grec pouvaient converger avec ceux de ses bourreaux.

Les lois de l’histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques

Sans rupture avec l’UE et ses institutions, avec la Troïka, sans l’exigence de l’annulation de la dette, il est impossible de rompre avec l’austérité.

De reniements en viols de son programme, Tsipras et Syriza en sont naturellement arrivés à la trahison. Entre février et juin, Tsipras a tourné le dos à la classe ouvrière grecque et a craché sur son « plan d’urgence ». Couard, il a agi en parfait féal de la Troïka et de l’UE, faisant participer son gouvernement à tous les « rounds de négociations » avec la Troïka et à toutes les réunions avec la Commission ou l’Eurogroupe. Il a donné à l’UE toutes les preuves de son adaptabilité et de sa compatibilité à appliquer la politique exigée par les capitalistes.

Malgré cette « bonne volonté », il a néanmoins dû se faire une triple raison : 1/ la Troïka veut recouvrer ses créances jusqu’au dernier centime ; 2/ il n’y aura pas de « restructuration » ou de « rééchelonnement » de la dette ; 3/ l’UE et les bourgeoisies européennes veulent briser l’échine du peuple grec et faire de son cas un exemple politique destiné à intimider les peuples qui auraient la mauvaise idée de s’en inspirer.

Or, le mandat que les masses avaient confié à Tsipras et à Syriza, c’est précisément la fin de l’austérité. C’est à ce moment, le 27 juin, que Tsipras dénonce « l’ultimatum » imposé par la Troïka. Il déclare, martial, que la Troïka tente « d’humilier tout un peuple » et annonce l’organisation, pour le 5 juillet, d’un référendum sur l’adoption du plan de la Troïka.

Défaut de paiement

Malgré la mise en place immédiate d’un contrôle des capitaux, la fermeture des banques et la limitation à 60 euros par jour le montant des retrait aux distributeurs automatiques, malgré la campagne médiatique déchaînée de la bourgeoisie pour le « OUI », les masses grecques n’ont pas flanché et ont asséné le 5 juillet une seconde défaite politique majeure à l’UE et au capitalisme financier.

Le peuple grec a répondu « NON » au plan d’austérité de la Troïka par 61,37 % des voix.

.Au soir du 5 juillet, Tsipras estime que le « NON » lui « donne le droit de renégocier » et pas d’engager une « rupture » avec l’UE.

« Tsipras a trahi 62 % des grecs. » (Varoufakis)

Au matin du 13 juillet, tout juste une semaine après la victoire du « NON » au référendum, Tsipras annonce à l’issue d’une séance marathon de négociations d’un sommet de chefs d’Etats (Tsipras, Merkel, Hollande) qu’un accord a été trouvé avec la Troïka et les gouvernements.

Mais ce qu’il faut immédiatement préciser, ce que n’a justement pas fait Tsipras, c’est que les mesures qu’il a acceptées sont bien pires que celles qui lui avaient été faites en juin par la Troïka, celles qui ont été soumises au référendum ! Tsipras a bu le calice jusqu’à la lie. Elles prévoient notamment : une hausse et un élargissement de la TVA ; la poursuite, l’accélération et l’élargissement des privatisations ; une réforme des retraites ; des coupes dans les dépenses publiques, la mise en place de « règles d’or » budgétaires… et une ratification de tous ces principes par le Parlement grec !

C’est le 16 juillet, contrairement aux mandats de rompre avec l’austérité et au « NON » ouvrier et populaire au référendum du 5 juillet, que le Parlement grec adopte par 229 voix pour, 64 voix contre et 6 abstentions, « les mesures » de la Troïka et des gouvernements conformément aux engagements pris par Tsipras.

Syriza se disloque

En réalité, l’adoption le 16 juillet par le Parlement grec des « mesures » Tsipras-Troïka-UE marque le début de l’explosion politique de Syriza ainsi que la perte de sa majorité parlementaire (Syriza et Anel ont 162 sièges sur 300).

En effet, pas moins de 39 députés du groupe Syriza ont fait défaut : 32 ont voté contre, 6 se sont abstenus, 1 était absent. Parmi les députés qui ont voté contre figurent : Zoé Konstantopoulou, Présidente du Parlement, Varoufakis, ancien ministre des Finances, et Panagiotis Lafazanis (aile gauche de Syriza), ministre de l’Environnement et de l’Energie (qui va « être démissionné » par la suite). Il faut ajouter à cette liste la défection Nadia Valavani, ministre adjointe des Finances, démissionnaire la veille du vote. Celle-ci explique dans une lettre adressée à Tsipras : «Je ne vais pas voter en faveur de ce projet de loi et je crois qu'on ne peut pas rester au gouvernement si on vote contre » car «la solution imposée à la Grèce » par la Troïka « n'est pas viable ». Après le vote, Zoé Konstantopoulou a dénoncé un « génocide social », Varoufakis a comparé le texte au traité de Versailles, et Lafazanis a accusé Tsipras de « trahir » le programme de Syriza et de céder devant la Troïka et l’UE.

Tsipras « jette ses camarades aux chiens »

A partir de l’adoption par le Parlement de ces « mesures », la Troïka, l’UE et les gouvernements, ont poussé l’avantage jusqu’au bout et ont synthétisé leurs exigences dans un « mémorandum » de 400 pages. Et décidément, parce que la nuit porte conseil, au matin du 11 août, Euclide Tsakalotos, le nouveau ministre grec des Finances, annonce qu’un accord a été trouvé sur un mémorandum conditionnant un prêt d’environ 86 milliards d’euros sur trois ans. Le fameux « Troisième plan d’aide ».

Re-belotte, le Parlement doit de nouveau être consulté pour valider ce mémorandum rebaptisé pour l’occasion « projet de loi sur le troisième plan d’aide financière ». La loi est adoptée par le Parlement le 14 août à l’aube par 222 voix pour (dont 120 voix de l’opposition !), 64 voix contre, et 11 abstentions. Cette fois, 47 députés Syriza (15 de plus que le 16 juillet) sur 149 n’ont pas suivi Tsipras. Konstantopoulou, la Présidente du Parlement, déclare qu’elle « ne soutiendrait plus » un Premier ministre « qui a rejoint la cohorte de ses prédécesseurs ayant accepté les mémorandums, en jetant ses camarades aux chiens ».

Après les trahisons des 13 juillet et 11 août, la majorité parlementaire Syriza a explosé en plein vol. Pour gouverner, Tsipras a dorénavant besoin des voix d’Anel, son allié au gouvernement (parti d’extrême droite, islamophobe, anti-sémite, homophobe, anti-avortement et fervent soutien de l’Eglise orthodoxe, que préside Panos Kammenos, ministre de la Défense), du PASOK, de Nouvelle Démocratie, et de To Potami. Il a donc un besoin vital des partis de la bourgeoisie pour appliquer… sa politique bourgeoise !

« A chacun son boche » ?

Comment les staliniens, crypto-staliniens, antilibéraux et autres « marxistes » du dimanche expliquent-ils la situation ? Ce n’est pas difficile : c’est la faute à ces salauds de « boches » et à Angela Merkel ! Laissons la parole à leur champion français, Jean-Luc Mélenchon. Le 13 juillet, après l’annonce de l’accord, il déclare : « On ne parle pas de la même idéologie [le nazisme] mais c'est toujours le même esprit de système, la même arrogance, le même aveuglement qui fait qu'on en est là. Pour la troisième fois dans l'histoire, l'obstination d'un gouvernement allemand est en train de détruire l'Europe ». Bigre, digne de Clémenceau et de Thorez réunis !

Evidemment, ces outrances de langage ne peuvent masquer le fond de la manœuvre : le peuple grec a été trahi, d’abord et avant tout, par Tsipras et Syriza, pas par Merkel.

Mais au fait, quel est le représentant de commerce de tous ces gentils patriotes français ? Ah oui, François Hollande, celui-là même dont Mélenchon oublie systématiquement de caractériser la politique : celle d’un agent zélé de l’impérialisme. Décidément, social-démocratie et stalinisme sont bien les deux faces de la même médaille, celle de la contre-révolution et de la trahison.

Donc, personne mieux que Tsipras n’avait cette capacité à pouvoir duper la classe ouvrière grecque et à lui faire croire qu’il était possible de sortir de la misère et de l’austérité sans rompre avec l’UE. Son rôle unique était de se dresser en principal obstacle face aux masses et, par sa nature couarde, opportuniste, traître et petite bourgeoise, expliquer et justifier son incapacité intrinsèque à rompre avec le capitalisme, l’UE et ses institutions. Ses maîtres.

Démission, scission et élections

Les capitalistes peuvent être contents des services de leur valet Tsipras : les plans de super-austérité sont votés ; la normalisation de la classe ouvrière est à l’ordre du jour ; la crise politique est totale. Dans ces conditions, le 20 août, Tsipras annonce sa démission du poste de Premier ministre ce qui force l’organisation de nouvelles élections législatives – annoncées le 20 septembre prochain.

Tsipras s’est présenté au suffrage du peuple grec en janvier 2015 pour mettre un terme à l’austérité, il se présentera en septembre en tant que héraut de son application… et trouvera certainement avec le Pasok et Anel des partenariats politiques privilégiés.

Le 21 août, 25 députés (dont 4 anciens ministres) sur les 149 de Syriza, scissionnent et annoncent la formation d’un groupe parlementaire indépendant et d’un parti nommé « Union populaire », qui sera dirigé par Lafazanis, (l’ex-ministre de l'Environnement et de l’Énergie). Aile gauche d’un parti sans rivage à droite, la lutte de classes va très rapidement révéler si Union Populaire devient un point d’appui pour les masses dans leur bras de fer avec Syriza et la Troïka. Ne spéculons pas : wait and see…

De ce point de vue, on peut faire confiance aux masses qui, nous le voyons, procèdent toujours par éliminations successives ;

Et en attendant ce moment, Syriza est d’ores et déjà à ranger au rayon des antiquités.

Wladimir Susanj, 28 août 2015

Modifié le jeudi 03 septembre 2015
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