Accord Cuba-Etats Unis : Un triomphe pour Cuba, une perspective incertaine
L’annonce de l’accord passé entre les gouvernements d’Obama et Raul Castro avec l’aide et le concours du Vatican, a amené toute une série de débats. Avant de nous y référer, nous partageons avec le peuple cubain et avec les militants antis impérialistes de par le monde, d’avoir gagné la liberté pour les héros cubains prisonniers des geôles des Etats-Unis. Notre parti était partie prenante de la campagne internationale pour leur libération, il y a quelques mois Alejandro Bodart fit un voyage à Cuba pour renforcer cette revendication. C’est pour cela que nous partageons avec les familles des prisonniers et tout Cuba la joie de leur retour, une victoire concrète face à l’ennemi impérialiste qui durant des années les avait privés illégitimement de liberté.
Nous partageons aussi avec le peuple cubain, le constat de ce que la politique d’embargo et d’isolement de Cuba pendant plus de 50 ans, a été défaite en laissant la place à une nouvelle situation et à des relations politiques différentes. L’héroïsme, la capacité de résistance et l’énorme conscience anti-impérialiste du peuple cubain, ont abouti à ce que l’impérialisme yankee n’a pu le défaire après tant d’années. Tout ceci, représente un triomphe politique très positif, les USA doivent renoncer à suivre leur politique antérieure d’étranglement, et ceci nous motive pour réaffirmer comme conclusion politique et sociale, que les peuples quand ils luttent de toutes leurs forces, ont d’énormes possibilités pour vaincre et empêcher que les puissances impérialistes les écrasent. En ce sens toute notre reconnaissance va au peuple cubain et à sa riche histoire.
Les raisons du changement des USA
En même temps, l’accord passé entre les gouvernements de Cuba et des USA s’est transformé en un fait de niveau mondial et en un motif de tout type d’analyses. Le changement dans la politique des USA et d’Obama envers l’île a pour base, comme nous le disons plus haut, l’échec de leur politique antérieure et de plusieurs autres raisons. Les USA connaissent aujourd’hui toute une série de manifestations et de revendications à l’intérieur de leurs frontières et sont frappées par un contexte mondial qui aiguise leur propre crise; nous avons devant nous un impérialisme dont le pouvoir hégémonique est affaibli et qui a besoin de nouvelles politiques pour tenter de poursuivre comme avant et ne pas perdre plus de pouvoir face aux autres puissances en pleine ascension du point de vue commercial, à l’instar de la Chine ou de la Russie. Dans le contexte de cette crise globale, ce n’est pas par hasard si l’Eglise intervient avec plus de force, avec une politique et des initiatives propres, c’est ce qu’elle vient de faire ici. Et comme nous le savons, ce n’est pas en fonction d’intérêts socialistes qu’elle agit mais en défense du capitalisme pour le sauver.
De son côté, les USA avaient besoin de changer de politique par rapport à Cuba pour que cela ait des conséquences sur sa politique en Amérique latine, où son objectif est de récupérer une partie du terrain perdu dans la dernière décennie. Ce n’est pas un hasard si Obama, dans son explication sur l’accord a inclut la phrase : « Aujourd’hui nous allons rénover notre leadership sur le continent américain ». Réaffirmant que c’est un de ses objectifs avec cet accord.
Les USA veulent récupérer économiquement Cuba
Dans le même temps, ce ne sont pas ces seuls éléments qui rendent possible cet accord. Il entre aussi en jeu la nécessité pour les USA d’être partie prenante du processus d’ouverture économique en cours dans l’île. Sur le plan économique dans ses relations avec Cuba, un secteur important de sa grande bourgeoisie entend être partie prenante des affaires qui s’ouvrent dans l’île, des affaires qui, jusqu’à aujourd’hui, bénéficiaient aux puissances européennes, à la Chine, à la Russie et au Brésil. Ces secteurs veulent en finir avec le blocus pour faciliter leur stratégie. L’accord marque, de ce point de vue, un changement en faveur de ces intérêts économiques yankees pour commencer à entrer dans les échanges commerciaux de l’île, et, comme à nouveau le dit Obama face à la presse, « je veux peser sur les changements qui viennent à Cuba ». Manifestant clairement le danger que recouvrent ses intentions.
Où va désormais Cuba ?
Avec cet accord, il y a un débat sur l’avenir de Cuba. Les mesures économiques prises depuis plusieurs années et qui ont connu un bond en 2014 avec la loi sur les investissements étrangers font peser une incertitude sur l’orientation prise. On a commencé par ouvrir les portes de Cuba à différents acteurs économiques européens, chinois et brésiliens, et avec la normalisation des relations avec les USA, cette ouverture commence à concerner des entreprises d’origine américaine.
Ceci ouvre de nouvelles interrogations et nous devons nous poser d’importantes questions. Est-ce que ces mesures renforcent la révolution cubaine ? Ou bien l’affaiblissent avec le risque qu’ouvre leur dynamique ? De notre point de vue, le plus probable, c’est cette dernière hypothèse qui prévaut ; le poids des capitaux étrangers va agir comme une pression constante sur le caractère socialiste de la révolution et engendrer de nouvelles inégalités sociales. Cela peut aller y compris jusqu’à un type analogue au capitalisme d’état. Cette dynamique a déjà commencé à se ressentir et engendrer le début d’inégalités sur l’île, bien que toutefois cela reste dans le cadre de grandes conquêtes sociales comme la santé et l’éducation, mais le problème essentiel n’est pas de voir le passé glorieux ou le présent plus contradictoire, mais de se tourner vers la dynamique du processus général et de l’accord ratifié en particulier, ceci est le plus préoccupant d’un point de vue socialiste.
Quand Cuba devient un enjeu
L’autre débat logique et actuel est le suivant : ces mesures d’ouverture sont-elles partielles et tactiques dans une conjoncture nationale et internationale difficile ? Ou bien est-ce un tournant qui va aller en se renforçant vers un autre projet politico-économique ? La réponse à cette question n’est pas simple, elle ne se résout pas par des déclarations depuis Cuba réaffirmant « le socialisme cubain ». Pour donner un seul exemple, le gouvernement chinois encore aujourd’hui parle de socialisme et se dit communiste, cependant le capitalisme est entré par tous les pores de ce géant, impulsé et contrôlé par l’appareil d’état et du Parti Communiste Chinois. Bien sur la Chine et Cuba ont d’énormes différences, il ne s’agit pas de les mettre sur un même plan. Mais au moins comme hypothèse assez probable, il faut voir si sur le fond, il y a une orientation similaire concernant le modèle économico-social et si les investissements chinois dans l’île encouragent cette similitude de modèle.
De plus, la situation internationale qui combine une crise systémique du capitalisme en l’absence de pays socialistes sur lesquels s’appuyer, présente un horizon de difficultés qui ne peuvent être minimisées et ceci rend nécessaire la recherche d’issues diverses à des situations difficiles, issues qui devraient être débattues et approuvées démocratiquement par le peuple cubain. Logiquement, Cuba ne peut défaire tout seul l’impérialisme ni avancer de la même façon vers le socialisme, il a besoin de l’action de la lutte des classes au niveau international et latino-américain, et du soutien d’autres pays. La question est : est-ce qu’il profite correctement de ce contexte où non ? Nous pensons que cette même crise globale et le processus latino-américain ouvrent d’autres possibilités qui malheureusement ont été ignorées jusqu’à maintenant.
Une autre voie est possible
Dans le contexte de la crise capitaliste mondiale et dans le cadre d’une Amérique latine avec des processus nationalistes et à gauche, se sont ouvertes ces dernières années les portes d’un autre chemin, celui du projet ALBA avec au premier plan le Venezuela et son président Chavez. Durant ces années la coopération Cuba-Venezuela s’est développée, elle a eu un rôle positif pour la santé, l’éducation et l’aide pétrolière pour Cuba. Malheureusement, même s’il existe encore des éléments de cette coopération, le bond prévu dans le projet ALBA n’a pas eu lieu ; ce projet devait mettre en place une nouvelle architecture politique et économique indépendante, regroupant le Venezuela, Cuba, l’Equateur, la Bolivie, le Nicaragua et d’autres. Ce projet s’est évaporé et a laissé la place à la CELAC qui est une communion de gouvernements de tout type, en même temps priorité a été donnée au poids économique du Mercosur comme reflet de la bourgeoisie régionale, où la bourgeoisie brésilienne et d’autres ont pris plus de poids économique alors qu’elles n’ont rien à voir avec un véritable modèle indépendant, souverain et anti-impérialiste.
Quelles mesures en défense de la Révolution cubaine ?
L’orientation actuelle de Cuba est-elle un sous-produit victime de cette situation ? Nous pensons que non, malheureusement le propre gouvernement Cubain a encouragé ce cheminement, alors qu’avec le Venezuela il aurait pu proposer une voie de radicalisation anticapitaliste pour le continent en profitant de la faiblesse de l’impérialisme. Et bien que cette opportunité est perdue, aujourd’hui il pourrait essayer de la reprendre dans ce nouveau contexte, de là l’importance qu’il y a de débattre sur les meilleures mesures à prendre en défense de la révolution cubaine. Nous proposons que sur la base de l’échec de la politique impérialiste, au lieu de se centrer sur une plus grande ouverture capitaliste on reprenne le chemin de l’ALBA, ceci aiderait non seulement Cuba dans sa situation économique difficile mais aussi le Venezuela, la Bolivie et tous les pays qui veulent rompre avec le modèle capitaliste de spoliation, d’entreprises transnationales qui nous pillent et de places financières qui nous étranglent. Cette voie est possible, la question est veut-on la prendre en s’appuyant sur la force sociale des peuples ou non.
Pour une vraie démocratisation de Cuba
De plus, nous croyons qu’il faut à l’intérieur de la révolution cubaine une démocratisation, pas la fausse démocratie hypocrite que demande l’impérialisme au service de ses intérêts. Mais une réelle démocratie, qui permette que chaque travailleur et jeune cubain puissent s’organiser politiquement comme ils le veulent et avoir d’autre option que le PC, pour, qu’avec ce droit ils puissent s’exprimer en faveur de la révolution. Une démocratie réelle avec la liberté d’opinion, dans l’accès aux moyens de communication et à la diffusion des idées. Une démocratie syndicale indépendante de l’état et du PC, autonome pour que s’exprime librement l’opinion des travailleurs. Nous pensons que la meilleure façon de défendre la révolution cubaine est d’en finir avec le monolithisme politique et de l’armée, et d’encourager la plus grande démocratisation, pour que toutes les mesures économiques et politiques soient débattues et décidées à fond au sein du peuple cubain.
Cuba continue d’être un pays indépendant et en ce sens au-delà des débats face au cours actuel nous continuerons à le défendre contre toute agression extérieure. Nous exigeons avec son peuple la fin du blocus qui frappe encore l’économie cubaine…. .
Nous défendons inconditionnellement Cuba contre l’Impérialisme
Nous défendons Cuba contre l’impérialisme, comme nous défendons le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur. Cette défense ne nous empêche pas d’alerter face à des politiques que nous considérons incorrectes, l’exemple du Venezuela est le plus clair à ce sujet ; aujourd’hui celui-ci navigue entre sa crise très profonde fruit du manque de changements anticapitalistes dans sa structure économique et de méthodes bureaucratiques de ses sommets officiels, ceci l’éloigne et non le rapproche d’un futur socialiste.
C’est pour cela que tandis que nous continuons d’affronter les plans impérialistes sur notre continent, les militants de gauche et toutes les organisations se doivent de débattre à fond de cette réalité et de ses conséquences, de proposer des mesures et des campagnes anti-impérialistes et anticapitalistes, et chercher à renforcer la construction d’alternatives unitaires de caractère anti-impérialiste et anticapitaliste combattant pour le pouvoir dans nos pays. Nous impulsons sur notre continent la coordination de ces forces politiques et sociales et le soutien à chaque lutte en cours.
Direction Nationale du MST
Traduction Paul Dumas, le 2 janvier 2015
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