Main basse sur l'information

Auteur : Laurent Mauduit – septembre 2016

Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart, auparavant chef du service économique de Libération et directeur-adjoint du Monde, livre dans ce nouvel essai, paru aux Éditions Don Quichotte en septembre 2016, intitulé Main basse sur l’information, les résultats d’une vaste enquête sur les principaux médias d’information français, presse nationale, régionale, radios et télévisions.

Main basse sur l'information

Son constat est sans appel : « dans le climat crépusculaire de cette fin de quinquennat, l’état d’asservissement dans lequel ont été placés la plupart des grands médias français mérite assurément une attention particulière. Car jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la liberté et le pluralisme de la presse n’ont été à ce point menacés ; jamais le droit de savoir des citoyens n’a à ce point été malmené… une poignée de milliardaires contrôlent à eux seuls, la quasi-totalité des grands médias nationaux, de presse écrite et audiovisuels. C’est dire à quel point la concentration de la presse et des médias s’est accentuée ces dernières années. Des milliardaires qui ont de surcroît presque tous comme point commun de ne pas avoir la presse ou l’information comme métier. Des milliardaires qui ont presque tous acquis des journaux non selon des logiques professionnelles mais d’influence ou de connivence . »

Médias sous contrôle de l’oligarchie financière

Chapitre après chapitre, le tableau, décrit par Laurent Mauduit, est saisissant. Afin que chacun puisse se faire une rapide idée de l’étendue du contrôle des médias exercée par une dizaine d’oligarques, nous vous en livrons une synthèse graphique 1 .


Médias : qui contrôle quoi ?

Vincent Bolloré

(groupe Bolloré)

10e fortune française

(7,3 milliards d’euros)

Patrick

Drahi

(Altice group, principal actionnaire de SFR Group, de Virgin Mobile…)

9e fortune française

(7,5 milliards d’euros)

Pierre Bergé

363e fortune française (0,18 milliard d’euros)-

Xavier Niel (Iliad/Free)

11ème fortune française

(7,2 milliards d’euros)-Mathieu Pigasse

(banque Lazard)

Bernard Arnault

(LVMH)

2e fortune française (30,3 milliards d’euros)

Iskandar Safa

(groupe Privinvest)

(CMN)

71e fortune française

(1 milliard d’euros)

Arnaud Lagardère

(groupe Lagardère)

305e fortune française

(0,22 milliard d’euros)

Martin Bouygues

(groupe Bouygues)

30e fortune française (2,3 milliards d’euros)

Serge Dassault

(groupe industriel Marcel Dassault)

5e fortune française

(20 milliards d’euros)

François Pinault

(Kering, ex groupe Pinault-Printemps-Redoute)

7e fortune française

(11,3 milliards d’euros)

Les Bettencourt

(L’Oréal)

1re fortune française (31,2 milliards d’euros)

Canal +

C8

CNews

CStar

CNews matin (ex Direct matin, ex Matin plus)

Libération

L’Express

L’Expansion

L’Étudiant

Lire

A nous Paris

Studio

Point de vue

NextRadioTV (BFM-TV, BFM-Business, RMC)

Classica

I24 news

Le Monde

M

La Vie

Le Monde des religions

Télérama

Courrier international

L’Obs

(Pigasse)

Inroks (Pigasse)

Radio Nova (Pigasse)

Les Echos

Le Parisien

Aujourd’hui en France

Radio classique

Connaissance des arts

Le Journal des finances

Investir

Valeurs actuelles

Europe 1

Paris Match

Le JDD

France dimanche

Elle

Version Fémina

Ici Parisien

Public

Télé 7 jours

Gulli

MCM

Mezzo

Virgin radio

RFM

TF1

TMC

NT1

HD1

LCI

Tv Breizh

Histoire

Ushuaïa Tv

Le Figaro

Le Point

L’Opinion

Chiffres et données 2016




L’ouvrage alterne les chapitres détaillant les titres de la presse écrite ou audiovisuelle, leurs propriétaires, leurs rapports avec les politiques et leurs intermédiaires-experts, et les chapitres esquissant une rapide histoire de la presse française jusqu’à nos jours.

1944 : « redonner au pays une presse libre »

En trois chapitres, Laurent Mauduit fait le récit et l’histoire de la presse en France, de la naissance de l’opinion publique au siècle des Lumières et pendant la Révolution française, en passant par le musellement de la presse sous les deux empires et sous le pouvoir gaulliste, ses luttes jusqu’à la IIIe République pour faire reconnaître sa liberté et la protection du secret des sources des journalistes (loi du 29 juillet 1881), ses compromissions avec le milieu des affaires et celui de la politique jusqu’à la deuxième guerre mondiale avant le sursaut salutaire au moment de la Libération

En août 1944, le gouvernement provisoire prend une ordonnance « visant à sanctuariser la presse vis-à-vis des puissances, quelles qu’elles soient, politiques ou financières ». C’est à cette époque que s’impose l’idée d’une presse libre et indépendante qui trouve sa source « dans la lutte contre l’occupant nazi et la volonté de la Résistance de redonner au pays une presse libre et honnête ». Fleurissent alors des journaux dirigés par des coopératives ouvrières (comme Le Parisien libéré, Le Courrier picard). Dans les années suivantes seront créées des sociétés de journalistes afin de garantir leur indépendance (comme, en 1951, la Société des rédacteurs du Monde). Ce modèle est depuis, tout comme celui de la Sécurité sociale, la proie de toutes les attaques. C’est ainsi que pour Laurent Mauduit, nous vivons une « véritable période de régression démocratique », un « retour à la presse du temps du Comité des forges 2 », quand la presse était chargée de contrôler et de museler toute information non conforme aux intérêts de la bourgeoisie dirigeante.

Les empires médiatiques

Les autres chapitres détaillent avec de nombreux exemples les empires médiatiques des grandes fortunes françaises : Vincent Bolloré, champion de la Françafrique, s’appuyant sur « d’immenses possessions issues du capitalisme néocolonial français », qui censure tout sujet non-conforme à ses intérêts dans Matin Plus (devenu Cnews Matin), à Canal+ 3 ; Patrick Drahi, entrepreneur fou, achetant et vendant tout, en permanence au bord de la banqueroute (comme le spéculateur du roman de Zola, Aristide Saccard qui participe à la curée, au dépeçage de Paris) qui possède, entre autres, Libération et la chaîne BFM-TV ; le trio BNP du nom des trois requins Bergé, Niel et Pigasse qui ont réussi à s’emparer du journal Le Monde qui avait déjà perdu son indépendance depuis son achat antérieur par le groupe Lagardère.

C’est à l’évocation du quotidien Le Monde qu’apparaît l’un des intermédiaires les plus sulfureux, en permanence en embuscade afin de réaliser les plus improbables coups financiers, politiques et médiatiques : Alain Minc. Et son porte-serviettes inattendu, Emmanuel Macron, avocat à titre gracieux de la Société des rédacteurs du Monde (SRM) au moment de la vente du quotidien en 2010 : on y apprend à cette occasion que Macron a alors joué double-jeu, faisant mine de conseiller la SRM (qui avait choisi le trio BNP) mais œuvrant en sous-main pour Claude Perdriel, le candidat soutenu par Alain Minc et Nicolas Sarkozy !

Le « système oligarchique français »

Laurent Mauduit n’épargne pas plus le trio BNP, ce dernier ayant en effet racheté Le Monde afin de préparer la mise sur orbite du futur candidat à la présidentielle de 2012, Dominique Strauss-Kahn (dont Pigasse a été le conseiller ministériel à Bercy). Les censures et partenariats contre-nature imposés au Monde et au Nouvel Observateur sont détaillés par de nombreux exemples illustrant la progressive normalisation économique et éditoriale subie par ces journaux. C’est le même destin que connaissent les quotidiens Les Echos et Le Parisien, rachetés respectivement en 2007 et 2015 par la deuxième fortune de France, Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH.

Laurent Mauduit étend son enquête à l’ensemble de l’audiovisuel public, toujours sommé d’être à la botte du pouvoir et à l’audiovisuel privé, soumis aux mêmes dérives que la presse écrite. L’État a ainsi fait un cadeau royal, la cession gratuite des chaînes de la TNT, au secteur privé qui s’est empressé de les revendre et de s’en mettre plein les poches sans que quiconque, ministre de la Culture ou Conseil Supérieur de l’Audiovisuel n’y trouvent à redire 4 ...

En conclusion, Laurent Mauduit pointe la responsabilité du gouvernement Hollande : « Avec l’aggravation de la crise de la presse, c’est une vaste braderie qui a commencé. A prix cassé, les milliardaires ont fait leur marché dans des conditions plus avantageuses qu’avant. Et le pouvoir socialiste s’en est accommodé, sans jamais rouvrir le débat sur les lois anti-concentration… Pire : dans cet insupportable marigot où la presse est vendue à l’encan, le pouvoir socialiste n’est pas seulement responsable de n’avoir rien fait, il participe du même système... En vérité, ces deux mondes sont poreux et ont des intérêts partagés… C’est le système oligarchique français qui est consanguin. Et les élites socialistes en sont l’un des rouages ».



Isabelle Foucher,
10 avril 2017



1. Aux dix oligarques présents dans le tableau, il faut ajouter Bernard Tapie (La Provence), Jean-Michel Baylet (La Dépêche, Le Midi libre) et pour finir la banque Crédit Mutuel qui détient une majorité des quotidiens régionaux (dont L’Est républicain,Les Dernières nouvelles d’Alsace, Le Dauphiné libéré, Le Républicain lorrain…)
2. Créé en 1864 par les maîtres des forges, en particulier Schneider et de Wendel, organisation de défense des patrons de la sidérurgie, l’équivalent de l‘actuelle Union des industries et des métiers de la métallurgie, UIMM. C’est en 1929 que le quotidien Le Temps devient officiellement la propriété du Comité des forges (dont le président François de Wendel est le président en même temps qu'il est le régent de la Banque de France).
3. Depuis la parution de l’ouvrage de Laurent Mauduit, Bolloré a mené une véritable purge à Itélé (devenu Cnews), non sans avoir essuyé en octobre-novembre 2016 une grève du personnel de 31 jours, la plus longue dans l’histoire de l’audiovisuel français depuis mai 1968.
4. L’exemple de la spéculation sur la chaîne Numéro 23 de la TNT est très clairement décrit.

Modifié le vendredi 14 avril 2017
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