17 octobre 1961 : un crime d'État !

En 1954, commence la guerre d’indépendance du peuple algérien. Le gouvernement français mène la répression en Algérie mais aussi en métropole : chasse aux militants du Front de Libération Nationale (FLN) ; couvre-feu destiné aux seuls Français d’origine algérienne ... Face à cette violence coloniale, le FLN appelle les Algériens de la région parisienne à descendre dans la rue le 17 octobre 1961 de façon pacifique. La répression est féroce : des manifestants jetés dans la Seine et des milliers d’arrestations. Le déni et le mensonge d’État durent jusqu’à ce jour.

17 octobre 1961 : un crime d'État !

La guerre de libération

La défaite cuisante du colonialisme français en Indochine ouvre la voie aux peuples colonisés pour revendiquer ouvertement leur indépendance. Devenue colonie française en 1830, l’Algérie va être la première à se soulever. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, des nationalistes algériens organisent 70 attentats dans les Aurès. En 1955, l’état d’urgence est déclaré et l’armée française débarque en Algérie. Il va s’en suivre une guerre meurtrière : assassinats, tortures, disparition des opposants à la féodalité coloniale. La SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) est au pouvoir : Guy Mollet et François Mitterrand se couvrent les mains du sang des combattants du FLN. A partir de 1958, malgré les négociations, les tueries continuent, accentuées par les exactions de l’Organisation Armée Secrète (OAS), organisation clandestine composée de colons et de militaires. La chasse aux militants indépendantistes est quotidienne en Algérie mais aussi en métropole.

La guerre en métropole

Les dizaines de travailleurs algériens venus en métropole à la demande des capitalistes français sont majoritairement en faveur de l’indépendance. Le FLN décide d’élargir la lutte armée à la France métropolitaine. La résistance s’organise dans les usines et les bidonvilles pour soutenir le peuple algérien dans sa lutte révolutionnaire. Pendant l’été 1961, la guerre entre dans une phase particulière. Les négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue de l’indépendance algérienne entraînent des violences nouvelles dues en particulier à l’OAS. Depuis le 5 juin, le FLN parisien observe une trêve. Le 15 août, la trêve est rompue suite aux exactions des partisans de l’Algérie française et de la police parisienne (en partie héritière de Vichy). Le 15 août, 3 membres de la Force de police auxiliaire (dits les harkis de Paris) sont abattus. Du 29 août au 3 octobre, le FLN abat 13 policiers. La réaction du milieu policier ne se fait pas attendre. Les arrestations au faciès (déjà) sont légions. Les tabassages au fond des commissariats sont monnaie courante. Nombre de policiers jugent le régime trop faible et trop libéral, et le système juridique trop laxiste (comme quoi les choses se suivent et se ressemblent). Maurice Papon (celui qui envoya de nombreux juifs à la mort), préfet de police, demande aux services de répression d’accélérer les expulsions des Algériens jugés indésirables et de faire pression dans les bidonvilles soupçonnés d’être des repaires du FLN. La répression bat son plein. Entre janvier et novembre, le parquet comptabilise 245 morts chez les travailleurs algériens. Le conseil interministériel décide de mettre en place un couvre-feu pour les seuls Algériens. Le but est d’étouffer le FLN en lui interdisant de mener son travail politique.

Le 17 octobre 1961

Suite à l’établissement du couvre-feu, Zouaoui, le responsable parisien du FLN, décide du boycott du couvre-feu avec les responsables du comité fédéral du FLN réuni à Cologne. Le 14 octobre, Zouaoui transmet au comité fédéral le plan d’action : mouvement de masse dans la soirée du 17 octobre ; grève des cafés, commerces et hôtels le 18 ; une autre action le 19 ; une manifestation de femmes et enfants le 20 devant la préfecture de police. Les militants donnent les consignes à la base dans la journée du 17. Le boycott du couvre-feu raciste doit être pacifique. Ceci entraîne la mobilisation des femmes, hommes et enfants. Le port d’armes est totalement interdit. Une fouille des manifestants est organisée par les militants du FLN. La préfecture de police ne découvre les plans du FLN qu’à 16h20 lorsque ses services reçoivent un télégramme les avertissant que le FLN appelle à une manifestation le soir du 17. Papon mobilise 1658 hommes, dont 716 de la police municipale, de la gendarmerie mobile et des CRS. Les forces de répression vont être chauffées à blanc en recevant des messages mensongers faisant état, dès le début de la soirée, de policiers tués ou blessés à l’arme blanche par les Algériens.

Les manifestants arrivent par milliers. Le premier choc se déroule au pont de Neuilly. Les policiers laissent passer les femmes et les enfants, puis repoussent les manifestants. Ce sont les premiers morts de la soirée. L’Agence France Presse annonce deux morts certifiés par la préfecture arguant que les policiers ont agi en légitime défense. Les policiers tirent et jettent dans la Seine des manifestants des ponts de Neuilly, d’Argenteuil ou d’Asnières. D’autres cortèges se forment dans Paris, en particulier celui allant de la place de la République à Opéra. Le cortège est violemment réprimé par les CRS.

Des milliers de manifestants sont emmenés au Palais des Sports ou vers le stade de Coubertin. Les flics présents s’en donnent à cœur-joie. Des centaines de blessés sont conduits dans les hôpitaux après avoir été tabassés dans les lieux de détention. Dans la cour de l’île de Cité, les 1 200 détenus sont reçus par des « comités d’accueil » qui les reçoivent à coups de bidule (long bâton de bois farci de plomb). Ils en envoient plusieurs dizaines vers les hôpitaux avec des traumatismes crâniens.

Le bilan de la répression policière est à la hauteur de la violence employée. Entre 200 et 300 morts, et plus de 12 000 arrestations visiblement bien organisées. Ceci tend à prouver au moins deux choses : d’une part, la répression était pensée et organisée, et d’autre part, le nombre énorme d’arrestations montre l’ampleur des manifestations. Le rôle confié à la Force de police auxiliaire sur les principaux barrages, policiers recrutés en Algérie et opposés viscéralement au FLN, ne pouvait qu’entraîner les exactions des dites forces. Ce n’était qu’un encouragement à la violence.

Une véritable dissimulation

Malgré les condamnations internationales, le gouvernement ne pouvait accepter de reconnaître ce massacre organisé. Toutefois la découverte des corps charriés par la Seine ne pouvait rester sans réponse. Le gouvernement explique alors que ces corps sont l'œuvre du FLN contre les partisans de Messali Hadj. Cette pirouette ne tient pas très longtemps. Les preuves accumulées contre la police se font de plus en plus pressantes. Le gouvernement décide pour éviter toute procédure contre des policiers de confier les instructions à des juges dont la loyauté lui est acquise, et ce, sous la supervision d’un unique substitut du procureur. Ceci permet de traiter ces affaires de « repêchage » comme autant de dossiers individuels, sans établir aucun lien entre elles. Au bout d’un an, ces dossiers se concluent par des non-lieux ou sont clôturés en vertu de la loi d’amnistie qui suivit les accords d’Evian. Et pourtant les différents rouages de l’État, de De Gaulle à Debré (premier ministre) en passant par Roger Frey ministre de l’intérieur, étaient à l’initiative de ce massacre. Nous sommes bien en présence d’un crime organisé : un crime d’État.

Avec Macron le déni continue

Pour la première fois, un président de la République commémore physiquement les assassinats des manifestants algériens le 17 octobre 1961. Mais seulement un regard distrait sur les eaux de la Seine et pas un mot. Ce lourd silence est suivi d’un court communiqué, où Macron tient à « rendre hommage à la mémoire de toutes les victimes », en niant le nombre réel de morts. Il ajoute que « les crimes commis cette nuit-là par Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». Une façon de dédouaner l’État sur le seul préfet de police de l’époque, coupable idéal puisque collaborateur zélé des nazis. Qui peut prétendre soixante ans après que Papon a organisé la répression de son simple fait, sans que les dirigeants de l’époque en soient complices ? Ce serait dire, aujourd’hui, que Didier Lallement (préfet de police) organise seul les violences contre les manifestants du jour, sans que Macron, Castex et Darmanin ne soient au courant. Rappelons, pour l’histoire, que De Gaulle a décoré et félicité Papon pour « avoir tenu Paris ». Rien à ce jour ne peut dédouaner Macron. Mais présidentielle oblige, il ne faut pas froisser les nostalgiques de l’Algérie française, les Zemmour et consorts ouvertement islamophobes. Que dire sur le refus du même Macron de voir entrer au Panthéon Gisèle Halimi, avocate en son temps des militants algériens ? Comment expliquer l’ouverture au compte-goutte1 des archives aux chercheurs si ce n’est la peur de voir étalés les crimes de l’État en 1961 ?

17 novembre 2021

1.Dernière minute : Roselyne Bachelot annonce vendredi 10 décembre l’ouverture des enquêtes judiciaires de la guerre d’Algérie « avec 15 ans d’avance ». Tout en ayant en juillet dernier verrouillé l’accès à toute une série de documents, y compris sur la guerre d’Algérie, via une nouvelle loirelative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement !

Modifié le dimanche 16 janvier 2022
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