Tsunami : une catastrophe évitable

Raz-de-marée en Asie du Sudl'année 2004 s'est terminée par une catastrophe qui a profondément marqué les esprits du monde entier : un raz-de-marée, accompagnant un séisme sous-marin dans l'Océan Indien dont l'épicentre se situait à l'ouest de Sumatra, une des principales îles de l'Indonésie. Depuis 1960 et un raz-de-marée parti des côtes chiliennes pour traverser le Pacifique jusqu'au Japon, on n'avait pas vu un si puissant tsunami. Le nombre très provisoire de victimes s'élèverait à plus de 160 000. l'impact émotionnel a été amplifié par la présence de nombreux occidentaux venus profiter des plages ensoleillées.A l'aune des catastrophes les plus meurtrières, et sous réserve de publication de bilans plus lourds, cette hécatombe ne vient qu'au 3e rang des catastrophes dites naturelles, après le typhon qui ravagea le Bengladesh en 1991 (près de 800 000 victimes) et le séisme du Nord-est de la Chine en juillet 1976 (287 000 morts dont tous les mineurs de fond de la ville de Tang Shan). Mais, ni le Bengladesh ni la Mandchourie n'étant des destinations touristiques, la couverture médiatique de ces événements fut infiniment plus modeste que dans l'exemple actuel.

Détection dans le Pacifique

Si les glissements de plaques dans l'écorce terrestre ne sont pas maîtrisables, il en va autrement des conséquences humaines. Il était possible de prévenir les populations et de limiter ainsi les pertes humaines et la portée de dégâts. Un dispositif de détection existe dans l'Océan Pacifique depuis 1976. Depuis 1990, des simulations numériques permettent de donner à temps l'alerte et de faire de la prévention en matière de construction. Ces modèles de simulation, le MOST américain (Method Of Splitting Tsunami) du laboratoire de l'environnement de Seattle aux USA, le Tohoku University's Numerical Analysis Model for Investigation de Tokyo et le modèle français du CEA sont tout à fait performants. Mais un tel dispositif n'a jamais vu le jour dans l'Océan Indien. Il y a eu un mépris total pour les populations autochtones, tout comme pour les touristes. Cette région est parmi les plus pauvres du monde et les ressources côtières, surtout au Sri Lanka et en Thaïlande, se résument à la pêche essentiellement, et au tourisme plus marginalement. Les observateurs de Tokyo et de Hawaï ont averti les gouvernements concernés de l'imminence du tsunami. Aucune mesure n'a été prise, on a délibérément laissé mourir des centaines de milliers de personnes. Le gouvernement thaïlandais a révoqué le directeur de la Météo, qui n'avait pas donné suite aux avertissements du Japon, prétextant que l'image du tourisme en pâtirait ! Il est difficile d'imaginer une vision plus stupide et étriquée et il est plus que probable que le gouvernement a désigné un bouc émissaire.

Prévention non rentable

La vraie raison est que l'arriération économique génère aux yeux des " décideurs " un désintérêt pour cause de non-rentabilité, à comparer avec l'attitude adoptée pour la prévention sur les rivages californiens : le scientifique Costas Synolakis dirige le Tsunami Research Group de l'université de Californie du Sud. " Son équipe, nous rapporte Le Monde 2, a la consigne, en cas de fort séisme en Alaska, de se rendre d'urgence au labo pour lancer les modèles afin de calculer la hauteur et la force de la vague générée ". Il faut prévoir en effet l'évacuation de 3 000 personnes à Los Angeles si la vague fait deux mètres, de 200 000 personnes si elle fait quatre mètres et de 500 000 au delà. Selon le lieu de l'épicentre, la population pourrait n'avoir que dix minutes pour être évacuée. En regard, les trois heures mises pour atteindre le Sri Lanka, les presque deux heures pour la Thaïlande, et la demi-heure d'écart pour l'arrivée de la vague constituent des délais considérables. Enfin, près de sept heures ont été nécessaires pour que le tsunami touche les côtes d'Afrique (Kenya et Somalie surtout), où plusieurs centaines de victimes sont aussi à déplorer. Le maître mot est celui de la rentabilité. Pour les impérialismes majeurs, les rives orientales de l'Océan Indien ne sont que des lieux d'exploitation touristique ou d'industries légères où les tarifs défient toute concurrence. La célèbre plage de Phuket, en Thaïlande, est à la fois le paradis des hôtels pour un tourisme de masse bon marché et rentable et le dernier lieu où se retrouve la jet-set quand elle n'est pas sur la côte espagnole à Marbella. Les hommes politiques ne dédaignent pas non plus ces lieux " paradisiaques ", puisque l'on compte Helmut Kohl parmi les Allemands en villégiature lors du tsunami, mais il est vrai que certains savent surnager. Au risque de nous répéter, posons la question : y aurait-il eu tant de battage médiatique si les Européens ne comptaient pas tant de membres parmi les victimes ?

Sensationnalisme, promesses et arrière-pensées

La recherche du sensationnel déguisé derrière la feuille de vigne du " droit à l'information " s'était déjà manifestée il y a presque vingt ans, en 1985, lorsque la coulée de boue consécutive à l'éruption du volcan Nevado del Ruiz, en Colombie, avait emporté des milliers de citadins de la ville d'Armero, et en particulier une fillette dont l'agonie s'est prolongée de manière insupportable sans que les sauveteurs parviennent à l'hélitreuiller hors de la couche de boue jaunâtre qui l'a finalement engloutie. Puis les média sont passés à autre chose, et les gens sont restés seuls avec leurs morts et leur misère. Plus près de nous, il y a un an jour pour jour à la date du tsunami, la ville de Baam, en Iran, était entièrement détruite par un séisme qui a fait entre 20 et 30 000 morts (les évaluations sont restées approximatives). l'ONU a juré ses grands dieux qu'elle réunirait deux milliards de dollars pour secourir les sinistrés. Un an plus tard, elle n'a toujours péniblement réuni que 17 millions, qui dorment d'ailleurs toujours à New York. Les victimes peuvent bien attendre ... Nous avons là la réalité sans déformation du mépris sans fonds et de l'immense indifférence des classes dirigeantes envers les masses. On voit en contrepoint G. W. Bush sortir le carnet de chèques et les rations de survie, dans une course échevelée au plus offrant : les États-Unis sont pour le moment médaille de bronze des promesses derrière l'Australie et le Japon, la France caracolant en huitième position. Tous les gouvernements qui, d'ordinaire, maintiennent les pays dits en développement la tête sous l'eau, si je puis dire, rivalisent d'effets d'annonce. Il y a une véritable surenchère, après quelques déclarations d'officiels sur la pingrerie de certains, dont Washington. Encore une fois, l'exemple de Baam est là pour nous rendre très prudents. Les millions de dollars annoncés ne sont qu'une petite miette en regard de la dette monstrueuse des pays potentiellement bénéficiaires.

Moratoire sur la dette : un faux cadeau

Commençons par la Thaïlande, dont le Premier ministre, qui se paie sur la peau des autres, affirme avec détermination que son pays honorera sa dette et qu'il ne veut pas entendre parler même de moratoire. En agissant ainsi, il imite le meilleur débiteur des années 80, un nommé Ceaucescu. Si ce ministre récuse l'idée de moratoire, c'est qu'un Chef d'État jamais à court de fausses solutions et de promesses qui n'engagent que les autres, Jacques Chirac, en a parlé. Or, que veut dire moratoire ? Tout simplement un sursis, un report avant de vider sa maigre escarcelle. En 2004, la dette de la Thaïlande s'élevait à 59,2 milliards de dollars (47 % du PIB), celle du Sri Lanka à plus de 9 milliards, celle de la Birmanie à 6,2 milliards (2001), celle de l'Inde (rappelons que l'État de Tamil Nadu, région de Madras, est très touché) à plus de 104 milliards (20,7 % du PIB), celle de l'Indonésie, le pays le plus durement atteint avec l'épicentre sur ses côtes, à 152 milliards de dollars (80 % du PIB). Tous ces pays, en particulier depuis l'effondrement de la bulle spéculative qui a touché l'Asie il y a 8 ans, n'ont aucune chance de pouvoir payer et ont donc tous, comme ailleurs en Afrique et en Amérique latine, rogné sur les dépenses de santé et d'éducation pour que les vampires du FMI, les Shylock du siècle nouveau, reçoivent leur poids de sang aux dates prévues. Complétons avec les États moins touchés : la Malaisie a une dette de 48,5 milliards de dollars, celle du Bengladesh, l'un des dix pays les plus pauvres de la planète, se monte à 16,5 milliards de dollars, celle des Maldives (petites îles de 350 000 habitants), à 270 millions, celle de la Somalie (exsangue suite à une guerre civile de douze ans) à 2,2 milliards, celle du Kenya à 5,9 milliards, celle de la Tanzanie à 6,8 milliards et celle des îles Seychelles à 752 millions. En face de ces montants, les 19 principaux créanciers, le Club de Paris étant le nom de leur regroupement, se réunissent en France le 12 janvier pour examiner les modalités de paiement. Et ce, six jours après la Conférence de Djakarta qui a réuni les principaux Chefs d'État, venus étaler leurs bons sentiments sur toutes les ondes.

Annulation de la dette !

Une seule mesure aiderait efficacement les peuples touchés : l'abrogation totale, immédiate et sans condition de la dette monstrueuse que l'ordre mondial capitaliste les a contraints à contracter. Au lieu de quoi, non seulement il n'en est pas question, mais chacun étale ses arrière-pensées sans pudeur. Schröder a fait annoncer qu'il ferait verser 665 millions de dollars d'aide. Un membre du Cabinet du chancelier a laissé entendre que l'aide se concentrerait sur le Sri Lanka et surtout l'Indonésie, car " ce pays ne nous soutient pas dans notre revendication d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et qu'il pourrait changer d'attitude " [cf. Le Monde du 8 janvier]. On ne saurait mieux dire. Mais ce qui peut sembler une évidence à des millions d'entre nous ne l'est pas pour tout le monde. Ainsi par exemple, un expert réputé, Olivier J. Blanchard, professeur d'économie à Cambridge, interrogé sur le fait de savoir si l'annulation de la dette serait une bonne chose, répond-il : " Les pays ont besoin d'une certaine crédibilité auprès des marchés financiers. Il n'est pas raisonnable d'avoir une politique qui consiste à pardonner systématiquement " (Le Monde du 12 janvier). Quant au déploiement des troupes occidentales et surtout américaines dans la province martyre d'Aceh, à l'extrême nord de Sumatra, et au Sri Lanka, comment ne pas y voir, en dépit des dénégations, une opportune manoeuvre de mise en place d'un dispositif pour exterminer les indépendantistes musulmans à Aceh et les tigres de l'Élam qui luttent dans le Nord-est du Sri Lanka pour l'indépendance du peuple tamoul, opprimé par le gouvernement de Mme Kumaratunga, de la majorité cinghalaise ?

l'un comme l'autre de ces partis sont inscrits sur la liste noire dressée par Bush " contre le terrorisme ". Ainsi, rations de survie dans une main, mitraillette en bandoulière, les GI ont étendu leur emprise sur l'Asie. Ils étaient déjà présents en Thaïlande, au Japon et dans plusieurs républiques asiatiques de l'ex-URSS. Autant de petits " Irak à ouvrir " ? Bas les pattes devant les peuples martyrisés par les éléments naturels et l'impérialisme ! Ouverture immédiate de la mise en place d'un système de prévention comme celui du Pacifique ainsi qu'a fini par le réclamer le vénézuélien Salvano Bricano, directeur de la stratégie internationale des Nations Unies pour la prévention des catastrophes ! Et, surtout, annulation intégrale de la dette ! Voilà ce que les marxistes exigent, parce qu'il n'est de véritable humanisme que dans ce respect du droit à la vie des peuples et des classes opprimées.

Humanisme et solidarité avec les peuples

A l'inverse de tous ceux qui voient dans le tsunami une punition divine, à l'heure où les aborigènes des îles Andama et Nicobar (îles indiennes au large de la Thaïlande), qui ne partagent pas cette vision culpabilisante, ont presque tous échappé à la mort en se réfugiant au coeur de la jungle après avoir entendu le grondement caractéristique du ressac des tsunamis, nous estimons qu'il n'y a ni humilité à éprouver, ni pleurnicheries à répandre, ni exploitation émotionnelle à honorer. Il y a très concrètement des mesures scientifiques à prendre, avec des crédits ad hoc et une décision que les dirigeants politiques ne veulent même pas envisager : la suppression intégrale de la dette, décision qui devrait être prise à la vitesse des vagues. Là et seulement là résident le véritable humanisme et la solidarité avec les peuples.

Quelques chiffres

Dette de l'Asie du Sud-est : 300 milliards de dollars, dont :
-Inde: 104 milliards
-Thaïlande: 59,2 milliards
-Malaisie: 48,3 milliards
-Sri Lanka: 9,6 milliards
-Birmanie: 4,1 milliards
-Maldives: 270 millions
-Seychelles: 252 millions

Aide totale de l'ONU : 977 millions de dollars, dont :
-Indonésie: 372 millions
-Sri Lanka: 167 millions
-Maldives: 66 millions
-Thaïlande, Birmanie et Bengladesh (total): 353 millions
-Somalie: 10 millions
-Seychelles: 9 millions
Modifié le samedi 25 juin 2005
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