La révolte du Rif

Depuis des mois la région du Rif dans le nord-est du Maroc connaît un mouvement de protestation de masse  qui ne cesse de prendre de l’ampleur malgré la violence de la répression  et pourrait s’étendre à tout le pays. La contestation est partie de la ville d’Al Hoceĩma après la mort atroce de Mouhcine Fikri, un vendeur de poisson, broyé vivant dans une benne à ordures sous les yeux des policiers qui venaient de lui confisquer sa marchandise pour avoir refusé de payer un pot de vin.

La révolte du Rif
(photo : Stringer / Reuters)

La révolte est désignée sous le terme de « Hirak » (la Mouvance) et porte des revendications sociales vitales pour la population, concernant les services de santé, d'éducation et les infrastructures qui font défaut.

Le Rif, terre de luttes et de révoltes

Ce n’est pas une coïncidence si ce mouvement est né dans la région du Rif : il s’agit de la région la plus pauvre du pays, qui a subi des décennies de répression et d'abandon économique, sans perspectives autres que la misère et le chômage ou le trafic de cannabis. C’est également traditionnellement une région qui lutte et se révolte contre l’oppresseur avec comme figure historique Abdelkrim Al Khattabi qui dirigea la République du Rif de 1923 à 1926 en luttant contre la domination espagnole et française ; C’est sur les Rifains que le futur roi, Hassan lâcha du napalm sur la population en 1959 pour écraser la révolte, faisant des centaines de milliers de victimes. En 1984, les « émeutes du pain » dénoncent l’augmentation des produits de base comme le blé, elles aussi furent durement réprimées par Hassan, le prince héritier.

Face à la répression

Pour étouffer la contestation qui ne faiblit pas depuis le mois d’octobre, le régime a procédé à l’arrestation de dizaines de militants, dont le leader Nasser Zefzafi emprisonné depuis le 29 mai dernier. Et chaque jour, des militants sont emprisonnés et torturés, des milliers de policiers et de militaires sont déployés, les rassemblements sont interdits, dispersés violemment.

En réaction, non seulement les Rifains ont manifesté en masse mais d’autres villes du Maroc sont descendues dans la rue pour soutenir Hirak, avec en point d’orgue la manifestation à Rabat du 11 juin. La marche « du million » à Al Hoceima le 20 juillet, interdite et férocement réprimée 1 marque encore un tournant dans l’escalade de la violence du régime contre les Rifains.

Modestes concessions

Après le Mouvement du 20 février 2 , issu du Printemps arabe de 2011, le roi Mohamed VI, pour contenir la protestation et éviter un embrasement, a concédé une modeste révision constitutionnelle en donnant un peu plus de pouvoir au premier ministre mais l’incapacité structurelle de ce régime népotiste et corrompu est, une nouvelle fois, contesté dans la rue.

Sous le joug du FMI

L’économie du pays est totalement inféodée au capitalisme international et aux grandes puissances impérialistes. Le montant de la dette publique est de 163 milliards de DH en 2013, soit 50 % du Budget général de l’État 3. Les Programmes d’ajustement structurel dictés par le FMI et la banque mondiale dans les années 1980-1990 avaient déjà appauvri la classe populaire. Les politiques d’austérité actuelles mises en œuvre par le régime afin de rembourser la dette suivent la même logique et continuent de jeter la population dans la misère : plus de 40 % des jeunes en milieu urbain sont au chômage et le secteur informel (trafic de cannabis ou contrebande) représente jusqu’à 25 % du produit intérieur brut et 2/3 des emplois en milieux urbains 4.

Le « Makhzen » réprime par la force la rébellion du Rif, car les Rifains constituent aujourd’hui « l'épicentre et l’impulsion de la protestation politique au Maroc. » 5

Plus que jamais, les Rifains ont besoin d’un fort courant de soutien international, d’appuis syndicaux de par le monde, pour rompre l’isolement et le silence des grands médias sur lequel mise le pouvoir en place avec la complicité des gouvernement « européens ».


Julie Charmoillaux,
25 août 2017




1 Imad Attabi, 25 ans, un jeune manifestant, touché à la tête a succombé à ses blessures dans un hôpital de Rabat après trois semaines de coma.

2 Le Mouvement du 20 février (2011) correspond à la date de la manifestation au cours de laquelle 5 jeunes ont trouvé la mort à Al Hoceĩma.

3 http://www.cadtm.org/La-dette-publique-marocaine-est

4 A. JAMAI, Au Maroc, le Rif défie le roi, le monde Diplomatique juillet 2017.

5 Hisham Aidi, professeur à Columbia University (School of International and Public Affairs) revient sur l'histoire du Rif depuis les années 20, et de sa famille, pour éclairer les enjeux des affrontements actuels. : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/070817/les-blessures-ouvertes-du-rif

Modifié le lundi 11 septembre 2017
Voir aussi dans la catégorie Maroc
La révolte du RifLa révolte du Rif

Depuis des mois la région du Rif dans le nord-est du Maroc connaît un mouvement de protestation de masse qui ne cesse de prendre de l’ampleur malgré la violence de la répression et pourrait...

Un protégé en difficulté

Au mois d'octobre, la visite de Chirac au Maroc s'est déroulée dans un contexte de crise politique et sociale aiguë qui fragilise le pouvoir féodal. Pour commencer sa visite Chirac, faisant...



HAUT