La monarchie sur la sellette

État espagnolLa visite du roi aux enclaves de Ceuta et Melilla en territoire marocain, places fortes espagnoles depuis cinq siècles au service des entreprises d'expansion coloniale impérialiste, puis en juillet 1936, camp retranché d'où le dictateur Francisco Franco, s'embarqua avec 20 000 mercenaires des " tercios " (légion étrangère) contre la révolution ouvrière qui commençait, et son intervention fracassante et ubuesque au sommet ibéro- américain de Santiago du Chili : deux événements qui marquent ll!approfondissement de la crise de la monarchie franquiste.Attaqué par la montée des forces centrifuges des peuples qui réclament leur droit à l'autodétermination et miné par le combat engagé par l'Église qui craint pour la fin de ses privilèges (les médias liés à l'épiscopat espagnol mènent une campagne pour l'abdication de Juan-Carlos au profit de son fils, le prince héritier Felipe), le monarque essaie de se refaire une santé en exploitant de rances réflexes impérialistes éculés et en se rendant, pour la première fois, dans les anciennes places fortes nord-africaines pour se faire acclamer par ses troupes encore fidèles. Il utilise sa visite pour discipliner les partis, et au premier chef le PSOE, actuellement au gouvernement, lui-même en proie à des divisions résultants de ses positions en contradiction avec les aspirations des masses.

Deux monarchies complices

Au Maroc, sa visite avait été soigneusement préparée, quelques centaines de manifestants bien encadrés par les services de sécurité se sont rassemblés aux portes des deux enclaves pour amuser la galerie, en accord avec Mohamed VI, impliqué dans sa collaboration avec l'Union européenne et dans la répression des travailleurs immigrés, tandis que Zapatero, chef du gouvernement espagnol, multipliait des déclarations rassurantes sur les relations entre les deux monarchies. Ceuta et Melilla, ces deux enclaves sont fermées par un double grillage de plusieurs mètres de haut, les immigrés y sont pris comme dans une souricière où les polices et les armées espagnoles et marocaines traquent les travailleurs immigrés de toute l'Afrique. Pour accomplir cette tâche, la monarchie marocaine perçoit, tout comme l'espagnole, une aide financière substantielle de l'Union européenne.

Les récentes élections législatives marocaines se sont soldées par une abstention record de 81% et la victoire à la Pyrrhus de la formation nationaliste Istiqlal, les masses abandonnant toute illusion pour les formations réformistes et staliniennes de l'UNFP et du PPS, contraignant le roi à former un gouvernement d'union nationale pour affronter une population de plus en plus paupérisée et qui ne doit sa survie qu'à l'immigration de sa jeunesse travailleuse. Gageons que devant un pareil panorama Mohammed VI ne pouvait pas ne pas être de concert avec son " frère "Juan-Carlos Ier.

Les raisons d'État

Le Maroc a quand même présenté une protestation formelle, rappelant son ambassadeur à Madrid. En effet, la revendication sur les territoires de Ceuta et Melilla est une manoeuvre politique que le gouvernement chérifien utilise pour les besoins de sa politique intérieure dans les moments de crise sociale et politique du régime, afin d'endiguer la mobilisation des masses qui aspirent, elles, légitimement à la complète souveraineté nationale du Maroc. La provocation de la famille royale espagnole est d'autant plus grave que la visite s'est effectuée alors que le Maroc célébrait l'anniversaire de la " marche verte ", marquant la récupération de la souveraineté marocaine sur l'ex-Sahara espagnol, en novembre 1975, à l'instant même où le dictateur Franco passait de vie à trépas.

Tout cela ne pèse cependant pas lourd face aux énormes avantages que le royaume tire de sa politique de collaboration avec l'Espagne, depuis son indépendance en 1956. Rappelons que les Forces Armées Royales, une fois épurées des combattants révolutionnaires de l'Armée de Libération Nationale qui menèrent la lutte pour l'émancipation nationale contre les armées impérialistes espagnole et française, ont été refondées par des officiers espagnols et français, comme le général Mezziane, bourreau de la Révolution espagnole à la tête des troupes mercenaires des " tercios ", et qu'elles dépendent pour leur armement de la France, de l'Espagne et de l'impérialisme US. Nul doute donc que leurs étroites relations vont se poursuivre vaille que vaille.

Ferme ta gueule

Intervenant inopinément au sommet ibéro-américain de Santiago du Chili pour empêcher le président du Venezuela de s'étendre sur la participation d'Aznar et des entreprises espagnoles dans la préparation du coup d'État manqué de 2002 contre son gouvernement, le roi a ordonné de façon fracassante à Chávez de se taire et a quitté momentanément la salle. Zapatero s'est alors livré à une défense pathétique d'Aznar et des patrons espagnols, ce qui ne va sûrement pas l'aider dans sa prochaine campagne électorale. Ce que confirme le journal El País dans un article de son correspondant à Montevideo, sous le titre " Chávez défie le Roi de révéler s'il était au courant du coup d'État de Caracas en 2002 ", ajoute : " La pire des hypothèses diplomatiques attendue par l'entourage du président du gouvernement après l'incident au Chili entre le Roi, José-Luis Rodriguez Zapatero et le président vénézuélien, Hugo Chávez, est devenue réalité ... ". Zapatero et son minis­tre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, bien embarrassés, essayent maintenant de minimiser l'affaire et suggèrent aux médias de tourner la page pour ne pas envenimer les choses. Il ne faut pas oublier que de nombreuses entreprises espagnoles ont investi au Venezuela. Citons REPSOL (entreprise pétrolière) et Telefónica. La monarchie semble s'être tirée d'affaire pour le moment, le Bourbon faisant profil bas une fois rentré de son consternant voyage. Mais rien ne peut plus être comme avant puisque le roi a été contraint d'intervenir ouvertement en politique, ce qu'il avait réussi à éviter jusqu'ici. Sans le chercher, Chávez, en se défendant, a mis à nu la monarchie héritière du franquisme, prise en flagrant délit d'ingérence dans les affaires intérieures d'un autre pays, puisque le roi ne pouvait pas méconnaître les agissements d'Aznar et des entreprises espagnoles contre les travailleurs et le peuple de la République du Venezuela.

La monarchie affaiblie

La polémique autour de son geste de colère ne peut donc qu'affaiblir davantage la monarchie espagnole, qui assiste maintenant à un débordement de la fronde intérieure à l'extérieur du pays, ni plus ni moins qu'en Amérique latine où elle avait pourtant réussi à garder jusqu'ici une position favorable auprès de tous les gouvernements, de Kirchner en Argentine, de Lula au Brésil ou même de celui de Daniel Ortega au Nicaragua, en particulier. C'est ainsi que, selon une dépêche de l'agence espagnole EFE publiée dans El País, le secrétaire des relations internationales du Parti des Travailleurs brésilien, Valter Pomar, a publié un article dans sa page web où il attaque les hommes politiques brésiliens, l'ex-président José Sarney entre autres, qui critiquent Hugo Chávez, et associe la monarchie espagnole au fascisme. Cet article paraît au cours d'une semaine de discussions tendues sur la passe d'armes entre Juan-Carlos Ier et Hugo Chávez, et spécialement à cause de la défense de ce dernier par Lula. Toujours selon la même agence, Pomar ajoute que " pour qui ne s'en souviendrait pas, la République espagnole fut écrasée par un soulèvement fasciste, qui restaura la monarchie. Après la mort de Franco, Juan-Carlos Ier fut couronné et joua un rôle pour le moins controversé " dans le processus démocratique (sic).

Dans les bas-fonds

Pour ne pas couler, la monarchie devra donc se servir jusqu'au bout de son valet actuel, José-Luis Rodriguez Zapatero, successeur de Felipe Gonzalez englué dans la fange des Gal qui revient dans l'actualité avec le procès contre l'ex-secrétaire d'État à la Sécurité, Rafaél Vera, condamné à nouveau pour corruption. Il avait remis 1,5 million d'euros aux policiers condamnés aussi pour la même affaire, afin qu'ils ne parlent pas et impliquent ainsi d'autres hautes mystérieuses personnalités de l'État. Ce sont toutes les affaires étouffées jusqu'ici qui refont surface, plongeant le Régime dans un cloaque nauséabond. La monarchie montre ainsi sa véritable face corrompue et chaque vaine tentative pour l'en sortir ne l'enfonce que davantage, entraînant dans son sillage tous les partis qui l'ont appuyée et réduisant du même coup ses chances de survie.

En ligne de mire

La tragédie, celle de la guerre civile et du massacre qui s'ensuivit et qui restaura la monarchie par le biais de la dictature franquiste, s'est transformée en farce au sommet ibéro-américain, avec le spectacle ubuesque d'un Bourbon congestionné de rage en entendant l'accusation de " fasciste ", portée contre son ex-chef de gouvernement José-Maria Aznar du Parti Populaire, comme instigateur d'un coup d'État manqué, une accusation qui l'implique lui aussi, puisque selon la Constitution monarchique le roi dirige la politique extérieure de l'État. Par ailleurs, l'article 64 de la Constitution de 1978, titre II, qui fait référence à la Couronne, souligne que "les actes du Roi sont contresignés par le président du gouvernement ou, le cas échéant, par les ministres compétents". Va-t-on rendre responsable le président du gouvernement, José-Luis Rodriguez Zapatero, ou son ministre des Affaires Étrangères, Miguel Ángel Moratinos, responsables de l'agression verbale contre le dirigeant vénézuélien ?
Modifié le lundi 03 décembre 2007
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