A la rescousse d’un régime en perdition
Surgi du mouvement des "indignés", en pleine crise politique de la monarchie, le nouveau parti Podemos n'a pas tardé à mettre ses pas dans ceux des appareils PCE et PSOE. Le processus pour une nouvelle Constitution qu'il proposait dans son programme fourre-tout originel, une fois dépouillé de ses oripeaux, ressemble à s'y méprendre à celui engagé par eux pour aboutir aux Pactes de la Moncloa assurant la continuité du franquisme.
De la crise des partis monarchistes aux candidatures « d'unité populaire »
Le résultat des élections régionales et municipales est éloquent. Le Parti Populaire au gouvernement perd 2,5 millions de voix, le PSOE 800 000, Izquierda Unida (néo-staliniens) 400 000 et disparaît des parlements régionaux, notamment de Madrid où plusieurs de ses dirigeants ont intégré les listes dites d'unité populaire, promues par Podemos, provoquant la débandade d'une majorité de ses cadres et de milliers d'adhérents. Cette hémorragie a provoqué une crise institutionnelle sans précédent et rendu ingouvernable la presque totalité de l'État espagnol. L'Andalousie en est le symbole. 80 jours après les élections régionales le PSOE ne pouvait toujours pas former le gouvernement autonome de la région, personne ne voulant les accompagner dans un gouvernement entièrement corrompu. Dans le reste des régions une situation similaire règne. A 6 mois, ou peut-être moins, si la situation force Mariano Rajoy à convoquer des élections générales (législatives) anticipées, la monarchie aux abois cherche une issue. Une mouture de Front populaire ferait son affaire. Podemos, avec ses candidatures d'unité populaire déjà en place à Barcelone et à Madrid, auxquelles se rallient peu à peu les cliques et factions issues de la crise d'IU, est à même de garantir la stabilité des institutions. Ce que le PSOE demande à corps et à cris depuis toujours peut déjà se réaliser. Il se dispose donc à intégrer partout ses candidatures avec la coalition Podemos comme il le fait à Barcelone et à Madrid. La direction de Podemos, son "conseil citoyen" "approfondira les conditions d'accords dans chaque région avec les socialistes" pour en assurer le succès. Ça a le mérite d'être clair !
Tous ensemble pour sauver le régime
Pour accompagner cette opération de sauvetage de la monarchie héritière du franquisme Podemos donne des gages de fidélité à ses institutions avant même de prendre possession effective de ses sièges.
La candidate à la mairie de la capitale, Manuela Carmena d'Ahora Madrid, devra obtenir l'accord du PSOE pour prendre toute décision importante. Investie avec son soutien elle comptera dans son équipe municipale l'ex-directeur de la justice du gouvernement basque de l'étape du lehendakari socialiste Patxi López. Les socialistes blindent ainsi leur pouvoir politique pour le reste du mandat
municipal, tenant la mairie à leur merci. Mme. Carmena vient d'effectuer des rencontres "très cordiales", selon le journal El País, avec les principaux responsables des patrons dont le président de
Bankia afin de "chercher des possibilités d'accords" pour essayer de freiner les expulsions immobilières corollaire de la bulle spéculative causée par la spéculation effrénée de ses dirigeants, parmi lesquels on trouve un certain Rodrigo Rato, ancien ministre du gouvernement
actuel et ex-président du FMI. La prochaine maire de Madrid a par ailleurs affirmé que "les patrons n'auraient rien à craindre". Pas étonnant, puisque le dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias, tenait plus ou moins les mêmes propos dans une interview à ce journal, en réponse à une question au sujet de l'inquiétude des grands patrons causée par la possibilité d'un gouvernement de Podemos que ceux-ci n'auraient aucun souci à se faire le cas échéant.
Alliance sans principes de tous les partis en crise derrière Podemos !
Ada Colau de la plateforme Barcelona en Comú, soutenue par Iniciativa, Esquerra Unida, Podem, Procés Constituent et Equo, aura aussi besoin d'Esquerra Republicana et du PSC pour gouverner la ville. Elle est intervenue dans le conflit existant entre Telefónica et les travailleurs sous-traitants en grève depuis plus d'un mois pour protester contre des conditions de travail précaires et des bas
salaires en paralysant de justesse le renouvellement du contrat avec la mairie tant que le conflit ne sera pas réglé. Elle sera enchantée cependant "de travailler avec les grandes entreprises" mais leur
"posera des conditions et exigera plus de retour sur la ville" (rapporte Le Monde du 5 juin). Elle a déclaré que "les seuls qui doivent avoir peur de moi sont les corrompus et les grands spéculateurs". On peut parier que cette engeance ne sera pas effrayée par des propos si terrifiants ! Pour mieux rassurer ces patrons elle vient de placer d'ailleurs à la gérance de la mairie un ex-dirigeant du Parti Socialiste Catalan.
Podemos abandonne l’idée d’annulation de la dette
À Valence, un pacte programmatique de gouvernement a été conclu entre les socialistes, Podemos et Compromís. Des alliances du même type ont été scellées à Cadix et dans de nombreuses autres municipalités. Les compromis pour assurer la stabilité des institutions de la monarchie ont bien le vent en poupe. Par ailleurs, une délégation de Podemos s'est rendue au siège du FMI afin de tranquilliser ses dirigeants sur leurs intentions de collaboration, Podemos abandonne l'idée d'une annulation de la dette pourtant mentionnée dans son programme pour les élections européennes qui lui valurent d'envoyer cinq députés à Bruxelles. Dans un climat de rencontre et reconnaissance "ils ont partagé avec les dirigeants du FMI une partie du diagnostic". Ses électeurs en sortiront-ils rassurés ?
"Nous tendons la main à tout le monde, et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde"
Le secrétaire général de Podemos en Aragon, Pablo Echenique, candidat à la présidence de cette région autonome, réclame dans un manifeste cosigné par 22 autres dirigeants, "une plus grande ouverture de Podemos pour les élections générales puisque ce parti n'est plus le seul instrument de changement suite à l'irruption d'importantes forces municipalistes" en référence aux candidatures de Barcelona en Comú, Ahora Madrid et Marea Atlántica en Galice, formées par un amalgame de forces, dont Podemos. Ils proposent donc de se prononcer pour une "candidature constituante".
Ces éléments "critiques" de Podemos se demandent "si Podemos aspire à devenir seulement un parti de plus qui contribuera au rafistolage d'un régime en crise ou si, au contraire, il profitera de l'occasion historique qui lui est offerte de contribuer à une transformation démocratique". On est tenté de lui demander : une plus grande ouverture à qui ?, et surtout, pour quoi faire ?
On peut donc se demander aujourd'hui ce qu'il reste du combat contre l'austérité imposée par "la caste politique" que ces mêmes dirigeants menaçaient de livrer aux gémonies dans leur programme originel. Comme le souligne le futur président du Parti Socialiste de la région Castilla-La Mancha, Emiliano García Pagés, qui sera élu avec les voix de Podemos, le programme de Podemos est bien compatible avec celui du PSOE. Íñigo Errejón, un autre dirigeant de Podemos, vient de le confirmer
en déclarant: "nous tendons la main à tout le monde, et quand je dis tout le monde, c'est tout le monde".
Le Front populaire face à la lutte de classes
Podemos, en effet, tout comme le PSOE ou Ciudadanos, la nouvelle marque issue de la crise des institutions, ne cherche pas autre chose que la "régénération démocratique" (leitmotiv de Ciudadanos qui, lui, assure les pactes avec le PP), c'est à dire la continuité du régime héritier du franquisme. Chaque fois que le régime du capital est en danger, comme en 1936, "l'extrême gauche" accourt à son secours. La lutte de classes est remplacée par des mesurettes "sociales". Pas l'ombre d'un appel à la mobilisation des travailleurs pour la satisfaction de leurs besoins, seule issue pourtant à la situation des masses paupérisées par la destruction des forces productives
provoquées par les "réformes" des gouvernements successifs depuis les Pactes de la Moncloa en 1977. Une seule issue à la barbarie de la dictature du capital: abrogation de toutes les lois anti ouvrières, celles d'abord sur les comités d'entreprises instaurant la collaboration de classes dans les entreprises, en continuité avec les décrets franquistes interdisant les libertés syndicales pour
discipliner les travailleurs au capital. Podemos n'a pas de réponse non plus aux revendications d'autodétermination incluant la séparation des peuples basque, catalan, galicien et des Îles Canaries, opprimés par l'État espagnol. Comme ses mentors du Front de Gauche et Syriza n'ont de réponse aux demandes pressantes de la classe ouvrière et des peuples soumis au chantage de la dictature du capital en crise. Sauf à capituler, comme vient à nouveau de le faire Stipras…
Domingo Blaya
6 juillet 2015
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