Voyage à Kiev VI : la Russie bâillonnée

Voyage à Kiev VI : la Russie bâillonnée

Depuis Moscou, Kazimierz Kryzhich

Immédiatement après l’invasion militaire de l’Ukraine par les troupes russes, une vague de protestations anti-guerre s’est répandue dans toute la Russie. Il ne s’agissait pas seulement de rassemblements et de manifestations, mais aussi de pétitions de masse de citoyens russes, d’appels publics et de lettres ouvertes de personnalités du monde de la culture et de l’art, de leaders de l’opposition politique, de militants syndicaux, de représentants du monde des affaires et de nombreux piquets de grève de simples citoyens.

La guerre est condamnée par plusieurs partis, et certains députés sont même exclus du parti du stalinien pro-Poutine Zyuganov et privés de leurs mandats. Les autorités russes, qui ont une expérience claire de la répression des manifestations populaires et de la destruction de la société civile au Belarus, ont immédiatement réagi par des mesures de répression massives.

Le 3 mars, le bureau du procureur général de Russie a déclaré qu’en participant aux manifestations contre la guerre, les Russes « s’engagent dans les activités d’organisations radicales, dont la participation entraîne une responsabilité pénale en vertu de la partie 2 de l’article 282.2 du code pénal de la Fédération de Russie » (participation aux activités d’une organisation extrémiste). Sanction : une amende pouvant aller jusqu’à 600 000 roubles ou une peine d’emprisonnement de 2 à 6 ans.

Le 4 mars, la Douma d’État et le Conseil de la Fédération ont adopté des projets d’amendements au Code pénal de la Fédération de Russie, qui introduisent des amendes et une responsabilité pénale pour les Russes qui diffusent des « informations sciemment fausses » (« falsifications ») sur l’armée russe, pour les appels à des actions anti-guerre, ainsi que pour les sanctions contre la Russie. La Douma d’État a également adopté en première lecture un projet de loi du gouvernement permettant au bureau du procureur d’avoir accès aux données personnelles, non seulement dans le cadre de la surveillance, mais aussi dans l’exercice d’autres fonctions.

Le gouvernement russe a déchaîné toute la puissance de son appareil répressif et de sa machine de propagande sur le mouvement anti-guerre naissant. Les menaces de mort, les agressions, les détentions, les arrestations et les procès ont contraint de nombreux Russes à fuir le pays, et ceux qui sont restés ont dû abandonner les formes légales de lutte et de militantisme contre la guerre.

Aujourd’hui, on peut dire qu’en Russie, comme au Bélarus, toutes les institutions de la société civile ont été détruites. Toute manifestation d’une position de désaccord avec la politique du Kremlin est immédiatement mise en justice et sévèrement punie. Les étiquettes « ennemi du peuple », « traître », « espion », « extrémiste », « néo-nazi » et autres sont largement utilisées par la propagande russe pour détruire et discréditer toute personne qui déclare son opposition à la guerre.

La fascisation de la société russe progresse rapidement, couvrant toutes les sphères de son existence, des jardins d’enfants aux institutions de la plus haute direction politique du pays. Pour l’instant, il est difficile d’envisager des protestations populaires de masse dans de telles conditions. De plus, psychologiquement, de nombreux Russes acceptent « l’opération spéciale » de Poutine, compensant ainsi l’infériorité de la vie dans la pauvreté et l’anarchie par l’idée de la « grandeur de la nation russe ». Cependant, ce soutien peut s’effondrer en un instant, dès que l’on comprendra que la guerre avec l’Ukraine peut s’éterniser. On peut déjà constater que le mécontentement de la population à l’égard de la guerre devient de plus en plus évident, à commencer par les sanctions. Les fermetures d’usines, les licenciements de travailleurs, les pénuries de produits importés, la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, les réductions des dépenses sociales, le flux constant de soldats russes tués et mutilés par la guerre de Poutine, obligent beaucoup de gens à se demander : à quoi servent ces souffrances et ces privations ?

La lutte du peuple russe contre la clique fasciste de Poutine ne s’est pas arrêtée. On peut voir de plus en plus de symboles « Russie libre » ainsi que des tracts et des affiches anti-guerre dans les villes russes. Dans différentes régions de Russie, des comités anti-guerre clandestins se créent, le mouvement se structure progressivement, s’adapte aux conditions de la terreur du Kremlin.

Modifié le jeudi 21 juillet 2022
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