Loi de programmation pour la recherche : nouvel épisode de la casse de l'université !

Tout comme pour l'hôpital, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n'ont eu de cesse de déconstruire le système public de l'éducation, à l'école comme à l'université. Tour à tour, Devaquet, Jospin, Allègre, Lang, Ferry, Pécresse et Fioraso ont remis en cause l'existence des diplômes nationaux, milité pour l'autonomie accrue des universités et organisé sa privatisation rampante. Avec la loi de la ministre Vidal , c'est le versant recherche qui, sous couvert de se conformer aux standards internationaux, est attaqué avec, à la clé, la remise en cause du statut national d'enseignant.e-chercheur.e et sa précarisation.

Loi de programmation pour la recherche : nouvel épisode de la casse de l'université !

Le 20 novembre 2020, le Parlement a adopté la loi de programmation pour la recherche, bloquée actuellement au Conseil constitutionnel1 suite à la saisine de parlementaires pour non-conformité constitutionnelle, atteintes aux principes d'égalité et d'indépendance des enseignant.e.s-chercheur.e.s.

Si la situation de la recherche en France dans les laboratoires et des universités faisait à l'origine l'objet d'un consensus et d'un constat partagé des chercheur.e.s et de leur ministre (budget insuffisant ; décrochage en terme de financement des laboratoires, des emplois et des carrières), force est de constater que les mesures envisagées vont aggraver la situation actuelle, précariser et privatiser encore plus ce secteur !

C'est donc une unanimité contre ce projet qui s'est dessinée au fil des mois dans la communauté universitaire et scientifique depuis l'annonce en février 2019 par Edouard Philippe de cette loi de programmation figurant dans le programme du candidat Macron : personnels, étudiants et leurs syndicats, directeur.e.s de laboratoires, associations (comme le collectif Facs et labos en lutte), instances représentatives du monde de la recherche (en particulier le Conseil national des universités), sociétés savantes, revues académiques, Conseil économique, social et environnemental (CESE), parlementaires …

Un budget en hausse ... mais qui baisse !

Tous s'insurgent contre une « réforme en trompe-l'œil » : le budget est annoncé comme augmentant de 30% en 10 ans, passant de 15 à 20 milliards d'euros par an entre 2021 et 2030. En réalité, les 25 milliards supplémentaires sur 10 ans sont une promesse qui n'engage que modérément le gouvernement. Le collectif RogueESR estime même que, compte-tenu de l'inflation, il n'y aurait même aucune augmentation des crédits, mais plutôt une baisse annuelle des moyens mis à disposition. Même le Conseil d'État pointe le risque d'insincérité à tel horizon : « Le Conseil d’État observe que la période de programmation budgétaire retenue (2021-2030) est particulièrement longue et paraît sans précédent à cet égard pour une loi de programmation ou, antérieurement à 2008, une loi de programme. Il souligne qu’avec un tel horizon, la portée de la programmation des crédits budgétaires ne peut être que limitée, spécialement en fin de période. »

« Professeurs juniors » et financement par projets : la précarité est la règle

Cachées sous la promesse d'un meilleur salaire pour les débutant.e.s (on passerait de 1,4 à 2 SMIC), d'une augmentation très légère des salaires des titulaires par des primes annuelles et d'une augmentation de 30% des allocations des doctorant.e.s, les attaques du statut d'enseignant.e-chercheur.e sont très graves. Sur le modèle anglo-saxon, est créé le contrat de 6 ans de « professeur junior » qui vient doubler le parcours des maîtres de conférence puisqu'il permet, à celle ou à celui qui a fait ses preuves, d'être titularisé.e directement comme professeur d'université. Selon le CESE, cette procédure de titularisation est « dérogatoire au droit de la fonction publique ». Avec elle, la concurrence entre les jeunes chercheur.e.s est démultipliée, sans compter la signature des CDI de mission scientifique ou de projet qui deviennent la règle de fonctionnement. Comme dans le reste de la fonction publique, le recrutement comme fonctionnaire titulaire est mis à l'écart au profit du contrat de projet, avatar moderne et qualifié du travail à la tâche ou à la pièce des ouvriers des XVIIIe et XIXe siècles. Selon le CESE, ce sont seulement 5 200 postes statutaires qui seront créés en 2021-2030 contre 15 000 de postes de contractuels !

Dans ce cadre, l'Agence nationale de recherche (ANR), créée en 2005, se taille la part du lion, faisant passer de 16% à 30% le nombre de projets de recherche validés par sa seule autorité. Elle est le fer de lance d'une logique et d'une gestion managériales de la recherche, aboutissant à une mise en concurrence des laboratoires, des universités et des chercheur.e.s à l'opposé total des conditions de stabilité et de liberté nécessaires à une recherche de qualité.

Liquidation du Conseil national des universités

Enfin, le passage de la loi au Sénat a été l'occasion d'amendements majeurs : le cadre national de recrutement des enseignant.e.s-chercheur.e.s est remis en cause puisque la loi permet désormais le recrutement direct des enseignant.e.s-chercheur.e.s par les universités sans passer par le Conseil national des universités (CNU). Le CNU, composé d'élu.e.s et de nommé.e.s par sections disciplinaires, valide normalement les dossiers des postulant.e.s avant l'examen par les commissions spécialisées. Sous forme d'une « expérimentation » (c'est toujours la même méthode), il est permis aux universités de déroger à l'obligation de recruter une personne qualifiée par le CNU. Tout comme dans la fonction publique où les Commissions administratives paritaires (CAP) sont désormais dépossédées des mutations et des promotions, le cadre paritaire et statutaire est remis en cause, les statuts des enseignant.e.s-chercheur.e.s ici clairement attaqués.

Dans le Journal du Dimanche, une quarantaine d'universitaires fustigent le coup grave porté à cet organisme, créé par une ordonnance du 2 novembre 1945, faisant partie des acquis de la Libération : « c'est une évolution désastreuse, qui ouvre la voie à des recrutements et à des promotions motivés par des préoccupations éloignées des mérites scientifiques et académiques qui, seuls, devraient en principe animer l'accès aux corps des enseignants-chercheurs, que garantit l'existence d'une instance nationale, indépendante et impartiale. Le primat du localisme sur les mérites individuels est ainsi consolidé. »

Pénalisation de l'intrusion et des blocages

De fait, c'est clairement le choix des « mandarinats » et des recrutements locaux. Pour la ministre Vidal, cette loi est clairement une « nouvelle étape dans la marche des établissements vers l'autonomie ». Cette fameuse autonomie que les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont à la bouche afin de mieux privatiser dans un deuxième temps ! L'indépendance des universités depuis leur origine, pour certaines dès le Moyen-Âge, sert de prétexte à l'autonomisation : ressources propres, recrutements locaux... Les présidents d'université décideraient en toute liberté vis-à-vis du pouvoir politique, au mieux des intérêts du terrain.... sauf pour ce qui concerne l'ordre public ! En effet, un des deux amendements sénatoriaux en question (ils ont été tous deux adoptés et votés1) concerne la création d'un délit d'entrave pénalisant les intrusions de personnes extérieures dans les universités en cas de trouble à la « tranquillité ou le bon ordre ». Ce nouveau délit serait ainsi puni d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende. Le Code pénal le permet déjà.... mais il s'agit d'en finir avec la fameuse « franchise universitaire » qui interdit depuis toujours l'entrée des forces de l'ordre sur les campus. Après les collèges et les lycées où l'intrusion est devenue en 2010 un délit et non plus une simple contravention, l'université devient elle aussi le terrain de chasse de la police ; ce qui requérait autrefois une décision du président de l'université et donc le jugement de ses pairs (intrusion policière, plainte contre des étudiant.e.s) est désormais dans la main du ministère de l'intérieur et du parquet ! L'autonomie universitaire, c'est quand Macron et son gouvernement le veulent, comme dans l'affaire de l'augmentation des frais d'incription des étudiants étrangers décidée unilatéralement par le gouvernement (fin 2018-début 2019).

Ainsi donc, avec la loi Vidal, après les nombreuses réformes de l'école, du collège, du lycée et de l'université, c'est la recherche qui est aujourd'hui dérégulée, précarisée, privatisée. Plus que cela même : le gouvernement Castex-Macron a clairement franchi un cap, il s'est attaqué à l'indépendance et à la liberté de la recherche. Adossées à la remise en cause générale des libertés publiques prises depuis neuf mois, ces mesures préparent la répression des mouvements de protestation des travailleuses et des travailleurs, des jeunes et des étudiant.es que ce gouvernement sait inéluctables.

Isabelle Foucher
19 décembre 2020

1. Dernière minute : le 21 décembre, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition instaurant un délit d'intrusion dans les universités et a émis une « réserve d'interprétation » sur la création des chaires de professeurs juniors.

Modifié le mardi 12 janvier 2021
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