L'explosion sociale qui vient...

13 décembre 2013 | Chronique d'une fin de régime, LC n° 90, 13 décembre 2013L'explosion sociale qui vient...

La relative paix sociale dont bénéficiait le gouvernement s'est rompue depuis bien longtemps. Les directions syndicales et le front de gauche n'ont pourtant pas ménagé leurs efforts en vue de maintenir cet équilibre précaire. Ainsi, grâce à elles, la contre-réforme des retraites est passée "  comme une lettre à la Poste ". Jusqu'à ce que les lycéens, puis les salariés de Bretagne entrent en scène, sans directions, ni directives, de leur propre chef, à leur propre initiative. Le gouvernement et les institutions n'en sont que plus affaiblies.
 

Un rejet général


Jamais un gouvernement n'a été, à ce point, rejeté par la population. Les derniers sondages indiquent que le rejet de ce gouvernement a désormais gagné la base électorale du PS. Ils indiquent également que ce rejet ne profite pas à la droite institutionnelle, flanquée du FN. Les dernières élections partielles ont surtout été frappées du sceau d'une abstention ouvrière et populaire pulvérisant tous les records.
La décomposition du PS ne profite pas davantage au Front de gauche, lequel a été missionné pour monter en première ligne contre la mobilisation ouvrière et populaire qui a surgi spontanément en Bretagne, sur fond d'une rafale dévastatrice de plans sociaux, de restructurations et d'un appauvrissement de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes.

Dispositif de verrouillage


Jusqu'à présent, avons -nous dit, le gouvernement et le MEDEF ont pu trouver abri derrière le dispositif de verrouillage des directions syndicales, lequel a permis de faire passer, sans heurts, ou presque, la contre-réforme des retraites et de prévenir tout débordement des fausses actions initiées par Lepaon et Mailly, avec l'apport de Solidaires et de la FSU. Face à ce dispositif, le NPA n'a pas pesé car il avait signé la pétition nationale qui entérinait les précédentes réformes régressives des retraites et s'était ainsi lié les mains, tandis que le POI couvrait la direction de FO, y compris lorsque son Comité confédéral national ne s'est pas prononcé pour le retrait de la loi Hollande-Ayrault. Face à cette offensive contre leurs retraites, les salariés ont été privés du recours à leurs organisations, du fait des directions syndicales et, en particulier, de l'appareil de la CGT, intimement lié au Front de gauche.
 

l'illustration du vrai rapport de forces


Nous pourrions porter ce simple constat au compte d'un rapport de forces défavorable aux salariés qui ont, en effet, subi maints reculs dans la dernière période. Ce postulat n'est pas le nôtre. Tout indique, au contraire, que les directions syndicales ne prennent aucune initiative consistante de peur d'être débordées, de peur que même la désormais ancienne stratégie des " temps forts "  ne suffise pas à empêcher un débordement mettant la grève générale à l'ordre du jour, dans une situation où le gouvernement est particulièrement faible et, donc, singulièrement vulnérable. La soumission des directions ouvrières au gouvernement et au patronat devient de plus en plus évidente. Ne pas le comprendre, le minimiser ou le sous-estimer est la marque d'un aveuglement coupable. C'est précisément ce que révèle, à sa façon, la mobilisation des salariés en Bretagne.
 
Parce que les salariés en question se sont mobilisés par eux-mêmes et cherché directement à se tourner vers la population, les directions syndicales et le front de gauche se sont opposés frontalement - et, comment ! - à ce premier mouvement en rupture avec le gouvernement et sa politique dictée par l'Union européenne et le MEDEF. Bien sûr, on va encore nous dire que l'idée selon laquelle les masses voient l'issue dans l'action tandis que les directions syndicales cherchent à s'intégrer toujours plus dans les rouages de l'Etat et des entreprises est une vision grossière, schématique et sans nuances. Ben voyons...Avouons-le : nous avons la faiblesse de croire à cette loi de l'histoire que nos aînés ont décrite selon laquelle plus les masses vont à gauche, plus les appareils bureaucratiques vont à droite. C'est effectivement moins nuancé mais plus vrai que ceux qui croient qu'il est minuit dans le siècle ou pas loin, que les salariés ont la tête dans le sac et que, quoi que fassent ou ne fassent pas les directions syndicales le rapport de forces est en cette période " défavorable " ? Laissons donc les schémas de côté et partons des faits !
 

De quel côté est le corporatisme ?


Qui était à l'initiative des manifestations, le 2 novembre à Quimper, le 30 à Carhaix ? Le MEDEF du Finistère et la FNSEA ? Non : les salariés de l'usine Marine Harvest. Si la FNSEA et le MEDEF 29 ont pu se greffer sur cette mobilisation, c'est dans l'espace laissé vacant par les confédérations CGT et FO, la première optant, avec la FSU et Solidaires, pour des contre-manifestations peu suivies le 2, à Carhaix et le 23, dans plusieurs villes différentes,  histoire de bien morceler le tout          . Le MEDEF 29 ne pouvait laisser une partie du " petit patronat " entrer dans le sillage des salariés, sans rien dire. Mais, dès que le gouvernement a annoncé le report de l'Ecotaxe, le MEDEF 29 est retourné dans son poulailler et s'est abstenu d'appeler à la manifestation du 30. C'est à ce moment-là que la branche FO- Bretagne a alors " découvert " que la mobilisation des Bonnets rouges devenait subitement " corporatiste ". Or, répétons-le, y compris contre les assertions de la fraction lambertiste de FO (voir plus loin), la mobilisation s'est assignée deux objectifs : le combat contre les licenciements et contre l'écotaxe. Le POI est donc venu, lui-aussi, à son tour et à sa façon, à la rescousse des directions syndicales arc-boutées contre les Bonnets rouge. Voici comment.
Citation du conseil fédéral national du POI :
" Le Conseil fédéral national (CFN) du Parti ouvrier indépendant se réunit alors que la politique du gouvernement Hollande-Ayrault, tout entière au service de la classe capitaliste, sous l'égide de l'Union européenne, fait l'objet d'un rejet grandissant de tous les secteurs de la population.[...] C'est contre ce mouvement que - fait sans précédent depuis des décennies - la manifestation de Quimper a vu se mêler des organisations ouvrières et des organisations patronales revendiquant, ensemble, le " Pacte pour l'avenir de la Bretagne " dans une démarche corporatiste d'intégration préconisée par l'Union européenne. Tandis que d'autres organisations ouvrières, déclarant ne pas vouloir manifester avec les patrons, ont défilé à Carhaix en revendiquant, elles aussi, et en compagnie de représentants des partis du gouvernement, le " Pacte pour l'avenir de la Bretagne ".
 

Quand le POI couvre les directions syndicales


Le POI ment. Avec aplomb : La référence au Pacte pour l'avenir de la Bretagne se trouve exclusivement dans l'appel intersyndical aux manifestations du 23 novembre, scellant l'unité des directions CGT/CFDT contre les bonnets rouges. " Le pacte d'avenir est insuffisant "  lit-on dans cet appel. " Aux propositions économiques qu'il contient, il faut ajouter un volet social conséquent qui prenne en compte l'urgence des situations. Ce pacte doit dessiner un avenir pour  l'ensemble des filières et des  territoires des pouvoirs publics et des entreprises, ce qui passe également par un engagement fort des pouvoirs publics et des entreprises vis-à-vis des salariés ". La suite est éloquente :
" Les mutations industrielles, quand il est démontré qu'elles sont inévitables, doivent être anticipées pour permettre aux salariés  de se réorienter et se former dans un parcours sécurisé et ainsi éviter les suppressions d'emploi. La mobilité des salariés doit être accompagnée par des droits importants et pérennes " ; " Il en découle pour l'Etat la mission impérative de s'assurer que les employeurs mettent en oeuvre leurs obligations et que les droits des salariés soient effectivement respectés. Le contexte nécessite de nouveaux modèles articulant les exigences économiques, sociales et environnementales, pour sortir d'une crise dont les salariés ne sont pas responsables ".
Pourquoi mentionner la position du POI contre les Bonnets rouges ? (reprise quasiment mot-à- mot par la Tendance Claire dans le NPA) Tout simplement parce que cela permet de comprendre pourquoi FO Bretagne a retiré le tapis de son soutien à la manifestation de Quimper des Bonnets rouges : qui dirige FO Loire-Atlantique et influence donc fortement FO dans les départements bretons ? Poser la question, c'est y répondre...
S'il existe un germe de corporatisme, il est bien plutôt contenu dans ces quelques lignes de l'appel intersyndical. Ce germe du corporatisme et du poujadisme est véhiculé par les directions syndicales CGT-CFDT et CGC, UNSA, Solidaires et autres de Bretagne...Mais, la déclaration très solennelle du  Conseil fédéral national du POI ne mentionne pas cet appel, il concentre son tir contre la manifestation de Quimper qui, répétons-le, était une manifestation contre les licenciements et contre l'écotaxe et en aucun cas une manifestation pour le pacte d'avenir pour la Bretagne.

Quelle est l'orientation des masses ?


Que s'est-il passé ? En Bretagne, des salariés se sont mobilisés, sans directions, entraînant dans leur sillage des paysans et des petits patrons sacrifiés sur l'autel des restructurations sans fins et des taxes dignes de l'Ancien Régime, en rupture avec le gouvernement et sa politique, c'est-à-dire, en rupture avec la bourgeoisie. C'est contre ce mouvement profondément sain que Mélenchon est monté au créneau, pour le compte du gouvernement et du MEDEF, pour qu'il ne " déborde " pas sur l'ensemble du territoire. Le ridicule des " 100 000 " manifestants le 1er décembre en est la continuité. C'est le mouvement indépendant des masses elles-mêmes, - et non les parades du Front de gauche épaulant la réforme fiscale d'Ayrault - qui trace la perspective de la lutte prochaine. Comme l'indiquait notre programme de transition : " l'orientation des masses est déterminée, d'une part, par les conditions objectives du capitalisme pourrissant; d'autre part, par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs, le facteur décisif est, bien entendu, le premier : les lois de l'histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques "
http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran2.html

Modifié le jeudi 19 décembre 2013


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