Abstention et ingratitude
EditorialAinsi, au lendemain du second tour des législatives, la droite est majoritaire en sièges à l'Assemblée nationale. La " chambre bleu horizon " est en place. Mais le constat s'arrête là et la photo est bien trompeuse. La société n'a pas " viré à droite ", loin s'en faut. La couleur d'une assemblée ne donne pas la température d'un pays. Pourquoi la gauche parlementaire a-t-elle subi une telle Bérézina, après le Waterloo de Jospin le 21 avril ? Pour les mêmes raisons : son électorat ouvrier et populaire s'est détourné d'elle et de belle manière. 39 % d'abstention à l'échelle nationale qui font suite aux 36 % du 9 juin et aux 28,5 % du premier tour de la présidentielle. D'ailleurs, là aussi, la photo est trompeuse. Ces moyennes nationales, pour historiques qu'elles soient, et elles le sont, signifient qu'en réalité dans les villes et cités ouvrières, l'abstention atteint et dépasse les 50 %. Ainsi, à Forbach, en Moselle, abstention : 54 %. Glissement à droite des ouvriers et chômeurs mosellans ? Passivité ? Désintérêt, attirance pour le FN ? Ou autre baliverne fabriquée par nos grands politologues ? Que non. l'explication est bien plus simple. Sur la 2, un habitant de Forbach, abstentionniste, explique : " Je suis totalement déçu, par la gauche comme par la droite. " A Forbach, la dernière mine de charbon fermera, après toutes les autres, en 2005, laissant une région entière à l'abandon comme la Lorraine et sa sidérurgie liquidée par le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman. Gauche " plurielle " et droite se sont alliées pendant vingt ans pour désindustrialiser des régions entières. Pourquoi donc les mineurs, les sidérurgistes et leurs enfants iraient-ils voter pour leurs fossoyeurs ? Martine Aubry pleure. Elle a perdu. Elle ne comprend pas cette ingratitude de l'électorat. Pourtant, c'est bien à l'énorme abstention populaire et ouvrière qu'elle doit sa cuisante défaite. Et pourquoi donc ceux qui sont les victimes de " Madame 35 heures " et de sa loi de flexibilité du travail, ceux qui subissent les petits boulots et la précarité dont elle est responsable avec ses amis du PS et du PCF, pourquoi tous ces chômeurs, ces mères de famille qui ne savent plus comment commencer et finir le mois, auraient-ils dû voter pour elle ? Exit aussi Chevènement, les ex-ministres Trautman et Tasca (toutes deux responsables d'avoir livré la Culture au privé), Forni, ex-président de l'Assemblée, Vauzelle, Frêche, Voynet, plante verte des antichambres ministérielles, et tant d'autres, solidairement responsables de cinq années supplémentaires de régression sociale. Qu'ils nous donnent, tous ceux-là, une seule raison valable pour laquelle ouvriers, chômeurs et jeunes auraient dû se déplacer pour leur sauver leur juteuse mangeoire. Non, l'électorat de gauche n'a plus l'intention de voter pour une gauche qui fait une politique de droite. La droite est là pour ça. Pour les mêmes raisons, le soldat Robert Hue n'a pas été sauvé. Il paie des années de trahison de la classe ouvrière et d' application zélée avec Jospin d'une politique de soumission aux intérêts patronaux et à Maastricht. Et, miracle à Lourdes, le PCF, avec 3 % de suffrages au deuxième tour (4,5 % au premier), obtient 21 sièges, sauvant son groupe parlementaire de justesse grâce aux " bontés " d'un PS qui lui a laissé quelques candidatures uniques de la gauche. Seul Jack Lang se révèle un peu honnête : " La gauche a perdu la confiance populaire et celle de la jeunesse. " D'ailleurs, la droite ne pavoise pas. " Il faudra savoir maîtriser notre victoire ", affirme Alain Juppé. Ce n'est pas peu dire. Cette victoire par défaut de la droite ne lui évitera pas l'affrontement avec les travailleurs et jeunes bien décidés à ne pas se laisser piétiner. " Il faudra à Raffarin gouverner sans heurter l'opinion qui ne manquera pas de réagir lorsqu'il abordera les questions difficiles comme la retraite ", commentait une visiblement pas convaincue du virage à droite de la société. Et à gauche, il faudra bien se rendre à l'évidence : les 39 % d'abstentionnistes portent une exigence, celle d'un nouveau parti ouvrier pour se défendre.- Personne ne nous représente !
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